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Opération trou de souris réussie pour Silvio Berlusconi : radioscopie des ficelles d’un come-back époustouflant
©Piero CRUCIATTI / AFP

Come Back Bambino

Malgré sa condamnation pour fraude fiscale, et bien qu'il ne pourra pas devenir le prochain président du Conseil, le "Caïman" a réussi à se hisser de nouveau au premier plan de la politique italienne.

Marc Lazar

Marc Lazar

Marc Lazar est professeur d’histoire et de sociologie politique à Sciences Po où il dirige le Centre d’Histoire. Il est aussi Président de la School of government de la Luiss (Rome). Avec IlvoDiamanti, il a publié récemment, Peuplecratie. La métamorphose de nos démocraties chez Gallimard. 

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Atlantico : Alors que les élections générales italiennes se tiendront ce 4 mars, le retour de Silvio Berlusconi, 81 ans, surprend encore. Si la coalition formée par l'ancien président du Conseil est actuellement en tête des sondages, Silvio Berlusconi ne pourra occuper ce poste en raison de sa condamnation pour fraude fiscale datant de 2013. D'un point de vue politique, comment expliquer le retour de Il Cavaliere  malgré tous les scandales qui ont pu l'entourer, de la corruption au Bunga-Bunga ? Quels sont les ressorts ayant permis un tel retour au premier rang de la politique italienne ? 

Marc LazarAttention. Le Berlusconi de 2018 n’a plus grand-chose à voir avec l’homme flamboyant qui se lançait en politique en 1994 - il y a presque un quart de siècle ! -, en révolutionnant la communication, en utilisant pleinement le pouvoir d’attraction de ses télévisions, en s’appuyant sur son entreprise pour lancer son parti, ForzaItalia, en promettant de libéraliser et de moderniser le pays. Il n’a plus grand-chose à voir non plus avec le Berlusconi qui occupa la Présidence du Conseil, en 1994, durant huit mois, puis de 2001 à 2006, enfin de 2008 à 2011, où il dût présenter sa démission alors que la crise économique et financière déstabilisait profondément l’Italie et l’Union européenne et sous la pression, entre autre, du président de la République, Giorgio Napolitano, de la Banque centrale européenne, du président de la République Nicolas Sarkozy et de la chancelière Angela Merkel. Alors, il alternait la figure de l’outsider politique, celui qui ne respectait pas les codes et levait tous les tabous, et, dans le même temps, celle du grand chef d’Etat, un titre qu’il ne cessait de se délivrer lui-même. Il n’est plus le même et pas simplement parce qu’il a vieilli en dépit de tous ses efforts pour apparaître toujours éternellement jeune. Silvio Berlusconi est affaibli politiquement. Les sondages avant l’interdiction de leur divulgation, le créditaient de 16 à 18% des voix, ce qui, si cela se vérifiait dimanche soir, constituerait le plus mauvais score de l’histoire de son parti.  La coalition de centre droit qu’il a mis sur pied, se droitise au profit de la Ligue Nord et de Frères d’Italie. Il conserve néanmoins des atouts et des soutiens, malgré tout ce que vous rappelez. Il a su revenir tactiquement dans le jeu politique. Par exemple, lorsque Matteo Renzi a organisé un référendum sur les institutions en décembre 2016, qu’il a d’ailleurs perdu, Silvio Berlusconi a rejoint le camp fort hétérogène de ceux qui appelaient à voter non. Il s’est efforcé, et en partie a réussi, à s’ériger en figure de l’opposant, parmi d’autres, aux gouvernements de centre gauche qui ont gouverné l’Italie depuis 5 ans. Or à chaque élection depuis 1994, les électeurs ont choisi l’alternance.  Et puis il y a sa base électorale. Erodée, mais toujours là, dans le nord et le sud de l’Italie. Une partie le suivra jusqu’au bout. Une autre pense que dans le contexte actuel, il représente une solution raisonnable malgré tout.

Selon la politologue Sofia Ventura de l'Université de Bologne, citée par The Atlantic; Silvio Berlusconi serait toujours en scène parce qu'un grand nombre de centristes, qui se refuseraient à voter pour le parti démocrate de Matteo Renzi, et sans être capables de voter pour la ligue du Nord, n'auraient pas d'alternative autre que celle offerte par Silvio Berlusconi. Comment expliquer ce vide entre centre gauche et extrême droite ?  

En effet, les électeurs modérés sont tentés de voter pour Berlusconi. D’abord, par opposition structurelle à la gauche fut-elle réformiste.  Une opposition quasiment anthropologique, surtout dans le nord du pays, qui s’ancre dans l’histoire de l’Italie. Pour ces électeurs-là, la gauche c’est les communistes, Berlusconi n’a cessé de le dire dans le passé quand bien même le Parti démocrate aujourd’hui n’a plus rien de commun avec l’ancien Parti communiste qui fut le plus puissant du monde occidental. La gauche c’est les syndicats honnis par les chefs de petites entreprises. La gauche c’est l’Etat dont on se méfie et qui ne fonctionne pas. Enfin, la gauche c’est les impôts. Ensuite, les électeurs modérés se disent qu’après 5 ans de centre gauche il faut de nouveau donner sa chance à ForzaItalia. Enfin, tous les électeurs de centre droit qui refusent l’extrême droite de la Ligue Nord et de Frères d’Italie et l’autre populisme du Mouvement 5 étoiles, se retournent vers Berlusconi. Un moindre mal en quelque sorte. D’autant que l’homme est habile. Il n’a jamais vraiment institutionnalisé son parti, fait par lui et pour lui seul. En outre pour cette campagne, il couvre un espace politique qui va des confins de la droite extrême - par exemple contre les immigrés clandestins- au centre, en proclamant sa foi en l’Europe, avec même des propositions, voire des promesses intenables financièrement dans un pays où la dette publique demeure considérable, en direction des catégories les populaires, celles qui souffrent de la situation économique et sociale notamment dans le Mezzogiorno.

Selon l'éditorialiste de The Atlantic, Rachel Donadio, le retour de Silvio Berlusconi a également été rendu possible par la relative amnésie "des classes dirigeantes" à son égard. Quelle est la responsabilité des "élites" vis à vis de ce retour ?

Il y a en partie une responsabilité des « élites ». Il n’y a pas une vraie loi sur le conflit d’intérêt. Le centre gauche a souvent pensé qu’il fallait conserver Berlusconi comme adversaire parce que cela permettait de rassembler les troupes en en appelant à l’antiberlusconisme. Parce que des convergences objectives pouvaient se réaliser avec lui contre le Mouvement 5 étoiles, par exemple en adoptant cette loi électorale qui est un instrument de guerre contre ce parti mais qui se révèle aussi un piège pour le Parti démocrate et ForzaItalia, allié à des partis qui le menacent et l’emmènent trop à droite. Mais la vraie responsabilité d’une partie des élites politiques italiennes, pas toutes, loin de là, c’est de ne pas être en mesure d’affronter les formidables défis économiques, politiques, sociaux, culturels, démographiques, qui affectent l’Italie au point de la menacer d’un déclin dangereux. Et dans ces cas-là, la voie reste plus que jamais libre pour les démagogues. Surtout celui qui possède des télévisions, lesquelles sans former pour autant une télécratie irrésistible, conservent un pouvoir de séduction et de fidélisation.

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