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Croissance, mode d’emploi : ce que les chiffres actuels révèlent de notre véritable potentiel économique
©Pixabay / RaphaelaFotografie

Bon à savoir

La croissance n’étant pas, loin de là, qu’un phénomène "magique", comprendre ce qui se passe actuellement est la meilleure manière d’aider ceux qui en ont le moins profité.

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue est professeur d'économie à l'université de Lille. Il est le co-auteur avec Stéphane Ménia des livres Nos phobies économiques et Sexe, drogue... et économie : pas de sujet tabou pour les économistes (parus chez Pearson). Son site : econoclaste.net

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Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot est économiste et chercheur associé à l’IRIS. Il se consacre aux défis du développement technologique, de la stratégie commerciale et de l’équilibre monétaire de l’Europe en particulier.

Il a poursuivi une carrière d’économiste de marché dans le secteur financier et d’expert économique sur l’Europe et les marchés émergents pour divers think tanks. Il a travaillé sur un éventail de secteurs industriels, notamment l’électronique, l’énergie, l’aérospatiale et la santé ainsi que sur la stratégie technologique des grandes puissances dans ces domaines.

Il est ingénieur de l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace (ISAE-Supaéro), diplômé d’un master de l’Ecole d’économie de Toulouse, et docteur de l’Ecole des Hautes études en sciences sociales (EHESS).

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Atlantico : Selon les chiffres publiés par l'INSEE, la croissance française a atteint le seuil de 2% pour cette année 2017, avec une accélération en fin d'année puisque la croissance annuelle entre le T4 2016 et le T4 2017 atteint 2.5%, et ce, dans un environnement de faible inflation (croissance nominale de 3.36% entre ces deux mêmes périodes). Pourtant, selon une note du 28 septembre 2017, la Direction Générale du Trésor indiquait que la croissance potentielle française était de 1.25% entre 2017 et 2020. La situation actuelle n'indique-t-elle pas que le potentiel français est plus important que ne semblait le penser la DG Trésor ? Avec quelles conséquences sur l'emploi ? 

Alexandre Delaigue : On peut effectivement se demander ce qui a conduit à avoir cette idée d'une croissance potentielle de 1.25%. Mais il faut voir que les calculs de croissance potentielle sont toujours influencés par les résultats récents. Donc, dès lors que l'on a eu une croissance plutôt faible depuis la crise, cela a tendance à abaisser les prévisions de croissance potentielle alors que l'on pourrait, peut-être, en avoir un petit peu plus. Plusieurs points sont à prendre en compte. La question de l'emploi, c’est-à-dire de faire travailler plus de gens, ce qui permet de produire plus et aussi un aspect relatif à l'investissement des entreprises, ce qui est relativement difficile à prévoir et qui est aussi lié à l'environnement technologique. Il y a donc pas mal de raisons de penser que l'on pourrait envisager un petit peu plus de croissance et que l'on est en effet sur un biais un peu pessimiste qui pourrait avoir des conséquences. Et si on pouvait avoir plus de croissance, cela serait une bonne nouvelle pour l'emploi et cela signifierait que cette idée que le chômage structurel serait à un niveau de 9% pourrait commencer à être critiquée, et pour le moins battue en brèche.

De plus, le fait qu'il n'y ait aucun signe de redémarrage de l'inflation, en dehors des éléments conjoncturels, montre qu'il n'y a pas de surchauffe de l'économie. Et si on veut aller voir à l'étranger, on peut constater qu'aux États-Unis, avec un chômage beaucoup plus faible que le nôtre, ils sont encore très loin d'avoir des pressions inflationnistes.

Rémi Bourgeot : La croissance potentielle est une notion relative. Elle repose sur l’estimation de la croissance à pleins facteurs (capital et travail), et naturellement elle repose sur une prévision en ce qui concerne l’évolution de la productivité, tout comme sur l’évolution du stock de ces mêmes moyens de production. La croissance potentielle est une estimation à un moment donné et il convient donc effectivement de ne pas la considérer comme une donnée fondamentale de l’économie, loin de là. Lorsque la croissance effective s’écarte de la croissance potentielle dans la durée, la croissance potentielle suit alors la tendance de la croissance effective, par accroissement des moyens de production (et de la productivité) pour répondre à la demande.

La croissance française est actuellement portée par l’investissement qui suit une tendance très dynamique et a pour la première fois dépassé son niveau d’avant crise, en particulier dans le contexte de très forte relance monétaire des dernières années, avec l’écrasement des taux d’intérêt et les liquidités massives.

La croissance potentielle ne doit pas donner une lecture fataliste de l’évolution économique. La conjoncture mondiale connaît une dynamique forte actuellement mais sur la base d’une situation déprimée et de failles importantes, aussi bien sur le plan social que de l’organisation industrielle et de la productivité. L’atonie de la productivité contraint la croissance sur le plus long terme mais c’est justement l’enjeu de la remise en cause actuelle que de redéployer les bases technologiques nécessaires à une croissance plus forte et plus durable.

La reprise actuelle se fait, en France et dans la plupart des pays européens, avec un retard important par rapport aux Etats-Unis en particulier, du fait d’une réponse inadaptée à la crise, tout particulièrement sur le plan de la gestion de la crise bancaire et de la réponse monétaire à la contraction du crédit, qui s’est prolongée durant plusieurs années de façon inutile. La situation actuelle est marquée par la relégation d’une génération d’actifs qui ne bénéficie que modérément de la reprise du fait du stigma de la crise et de l’exclusion souvent arbitraire du marché de l’emploi, une tendance particulièrement importante dans le contexte des tendances bureaucratiques françaises.

Dans quelle mesure ces chiffres pourraient être un signal indiquant aux dirigeants français, mais également européens, que la croissance du continent pourrait être structurellement plus forte que les dernières années ne peuvent le laisser le penser ? La notion de stagnation séculaire n'a-t-elle pas plus "contaminé" les esprits par un effet de renoncement que la réalité ? 

Rémi Bourgeot : La notion de stagnation séculaire illustre le décalage entre l’importance des innovations en cours sur le plan technologique et l’atonie de la productivité, dans le contexte d’une organisation mondiale de la production qui sépare assez artificiellement la conception, la production et la consommation. On constate une dynamique économique mondiale relativement forte, avec des failles financières toutefois omniprésentes, qui sont dans un certain nombre de cas liées aux politiques de relance massive certes nécessaires, soit de nature budgétaire soit monétaire. La stagnation séculaire recouvre ainsi une certaine réalité, mais il est vrai que cette notion ne devrait pas conduire à un fatalisme qui consisterait à s’accommoder d’une croissance modeste et de failles sociales béantes. Les évolutions technologiques ouvrent de nouvelles possibilités de déploiement industriel et de regain de compétitivité pour les sociétés qui, comme la France, en auraient les moyens scientifiques et techniques.

La reprise de la conjoncture se produit sur une base fortement déséquilibrée, en particulier entre pays européens autour de l’économie allemande. Cette réalité est illustrée notamment par l’aggravation du déficit de la balance commerciale française qui tend à indiquer le manque de rééquilibrage productif ; une tendance que la vision administrative des « réformes structurelles » a grand mal à inverser.

Alexandre Delaigue : La situation pourrait amener à dire cela, mais il est un petit peu tôt pour en tirer des conclusions sur les prochaines années. La conjoncture est déterminée par beaucoup de choses et retirer de la situation récente le fait que l'on pourrait envisager de manière durable une croissance beaucoup plus forte, c'est probablement aller un petit peu vite en besogne. Mais cela est quand même quelque chose que l'on ne devrait pas forcément exclure. Du point de vue des dirigeants européens et des perspectives européennes, je ne suis pas certain qu'ils soient "contaminés" par l'idée de stagnation séculaire, qui peut être caractérisée de plusieurs manières. Parce qu'elle peut aussi signifier qu'il faut beaucoup plus soutenir la demande dans le contexte actuel que ce qu'on a pris l'habitude de faire. Il ne faut donc pas prendre cette idée que d'une manière pessimiste. C'est le cas de l'expérience japonaise, avec un pays qui a toutes les caractéristiques pour aller vers la stagnation séculaire en particulier en termes de vieillissement de la population et qui pourtant arrive à faire baisser fortement son niveau de chômage, sans inflation, le tout avec un régime monétaire qui est extrêmement stimulant et qui n'a pas l'air d'être parti pour s'arrêter.

Le problème de la stagnation séculaire qui vient justifier la nécessité de "faire des réformes" doit être compris plus largement, parce que ce qui est terrible, c'est que toute situation vient justifier de "faire des réformes". En cas de récession, il faut faire des réformes, la dette augmente, il faut faire des réformes, la situation s'améliore, il faut faire des réformes…ce discours n'a pas de prise avec la réalité. Quel que soit le réel, ce discours sera tenu. C'est une idéologie qui tourne en boucle et que la réalité a du mal à modifier.

Il n'est pas évident que la situation actuelle puisse permettre une évolution de la mentalité des dirigeants, pour cela il faudrait plutôt des problèmes arrivent dans des pays réputés "austéritaires", qui se trouveraient en position d'avoir besoin de soutenir l'activité.

Dans un contexte ou Jens Weidmann, président de la Bundesbank, apparaît de plus en plus comme un candidat crédible à la succession de Mario Draghi à la tête de la BCE, n'y-a-t-il pas un risque de voir l'Europe refuser de prendre en compte ce potentiel de croissance ? 

Alexandre Delaigue : Il y a ici un risque relativement net. Il y a vraiment cette idée qu'il y a eu une parenthèse Mario Draghi qui était un peu inacceptable et qui pourrait être close avec l'arrivée d'un Jens Weidmann. Il est quand même un peu paradoxal, et très symptomatique de la situation en Europe, que quelqu'un qui se soit trompé avec une telle constance pendant les 7 dernières années soit aujourd'hui le premier candidat pour devenir le président de la BCE. Cela en dit quand même assez long sur un certain degré de dysfonctionnement dans la procédure de choix.

Après, sur les pratiques, c'est toujours un peu pareil, on voit Weidmann adoucir un peu ses propos pour être plus consensuel. Mais il ne faut pas considérer que la personne à la tête d'une Banque centrale a autant d'importance que cela, le contexte institutionnel détermine pas mal de choses. Il ne faut pas oublier non plus que la Bundesbank, historiquement, a toujours été plus pragmatique que son discours. C'est peut-être la différence avec la politique à la française avec un Jean Claude Trichet par exemple qui a toujours voulu avoir l'air plus royaliste que le roi et a toujours eu tendance à en faire plus que ce qui était véritablement nécessaire. Il ne faut pas être entièrement pessimiste. Mais malgré tout, on sent bien que le contexte maintenant est de vouloir fermer la parenthèse des politiques monétaires expansionnistes. Le climat est donc quand même un petit peu inquiétant. Si jamais on se retrouvait dans une situation avec une nouvelle crise cela pourrait être embêtant mais surtout on pourrait revenir à une situation dans laquelle, je le répète, en comparaison avec le Japon et même les États-Unis, le régime de politique monétaire est durablement trop restrictif par rapport à ce qui pourrait être obtenu. Et dans ce cas-là, avec le cocktail politiques budgétaire et monétaire qui vont dans un sens restrictif, l'Europe va se retrouver avec un retard de croissance qu'elle va accumuler pendant longtemps.

Rémi Bourgeot : La résignation croissante face à l’imposition de la candidature Weidmann repose sur l’idée que maintenant que Mario Draghi a rendu possible la reprise économique et empêché l’explosion de l’euro, la zone euro peut se permettre de donner des gages à l’électorat allemand et en particulier aux retraités qui souhaiteraient de nouveau jouir de taux d’intérêt non négligeables. Ce pari semble pour le moins optimiste, car on ignore ce que ferait Monsieur Weidmann en cas de récession mondiale par exemple. On peut difficilement imaginer qu’il s’engage sur une pente plus néfaste que celle suivie par Monsieur Trichet, alors tétanisé précisément par les critiques allemandes. Mais il est à peu près acquis qu’il serait très loin de déployer les ressorts d’ingéniosité rhétorique de Mario Draghi, ni encore moins de se lancer sur la voie d’une relance monétaire conséquente. Weidmann avait en 2014 signalé son soutien à l’idée des achats de titres obligataires par la BCE de façon à ne pas complètement se marginaliser dans le jeu européen et avait été jusqu’à défendre l’indépendance de Draghi face aux violentes invectives de Wolfgang Schäuble, qui imputait alors l’envolée de l’extrême droite allemande à la politique monétaire de la BCE.

La politique monétaire n’est pas le moteur de la croissance sur le long terme mais il est évident qu’en temps de crise il s’agit d’un amortisseur indispensable. C’est ainsi que la reprise européenne a été retardée de plusieurs années. Ce retard est d’autant plus dommageable qu’il pèse démesurément sur ceux qui ont alors été écartés du système économique, notamment parmi les gens les plus prometteurs. En cela les blocages européens s’avèrent mortifères et ont des conséquences profondes sur la croissance de long terme et surtout sur le développement et la cohésion de nos sociétés.

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