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Quand les interventions de Jean-Marie Le Pen font réaliser à quel point le FN est devenu une extrême-droite normalisée
©JOEL SAGET / AFP

Dédiabolisation

A sa création, le FN s’inscrivait dans une histoire très française, trouvant ses racines dans l’anti-gaullisme, entre anciens partisans du Maréchal Pétain et soutiens de l’Algérie française. Aujourd’hui, le parti a perdu cette spécificité pour ressembler aux autres partis populistes européens.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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​Alors que Jean-Marie Le Pen publiera le premier tome de ses mémoires​ de 1er mars, tout en ayant annoncé ne pas vouloir se rendre au prochain congrès du Front national, pour ne pas "être complice de l'assassinat du Front national qui va s'y dérouler, comment analyser l'évolution de ce parti, passant d'un statut ancré singulièrement dans l'histoire politique française (au travers de l'Algérie notamment) une "normalisation" faisant du FN un parti populiste parmi d'autres en Europe ? 

Replaçons-nous en 1965, lorsque Tixier-Vignancour se présente contre le Général de Gaulle et obtient 5% des voix. Son directeur de campagne s’appelle Jean-Marie Le Pen. Alors que l’on sort à peine de la guerre d’Algérie et que la Seconde Guerre mondiale est finie depuis vingt ans seulement, un parti qui tente de rassembler les nostalgiques de Vichy et de l’Algérie française ne fait pas plus de 5% des voix. Notons aussi que Tixier-Vignancour appelle à voter Mitterrand contre de Gaulle. François Mitterrand, qui n’oubliait jamais ceux qui lui avaient rendu service, s’en est souvenu, au début des années 1980, lorsqu’il a facilité l’accès de Jean-Marie Le Pen aux médias. Ne tombons pas cependant dans une histoire de manipulations réussies. Personne ne pouvait deviner que Jean-Marie Le Pen allait effectuer une telle percée. Mitterrand était l’homme des petites manoeuvres, non des visions stratégiques; de plus, viscéralement anti-gaulliste, homme du ralliement à la politique du franc fort, il est le principal responsble, sinon le seul, de la fracture sociale, toujours plus marquée, dans laquelle a prospéré, comme une mauvaise herbe, le Front National.
En effet, le gaullisme s’était effondré mais peu d’observateurs en pressentaient les conséquences. Pompidou avait conservé sa force au mouvement gaulliste et il permit même un ralliement de toutes les droites. Txier-Vignancour se rallia à lui alors qu’il avait haï de Gaulle. Mais tout se défait après 1974: arrivée du centrisme au pouvoir avec Giscard; abandon progressif du gaullisme par Chirac. Jean-Marie Le Pen saisit sa chance et devient, en 1983-1984, celui qui,récupère le thème de la nation. Il le confisque en même temps, ce qui arrange bien la gauche, qui peut crier au retour de l’esprit de Vichy, tandis que la droite ne pourrait s’allier avec cet homme qui sent le soufre sans perdre des bataillons d’électeurs au centre. La droite s’abandonne à la bonne conscience européiste puisque le thème de la nation, autrefois porté par un Jaurès ou un de Gaulle, est devenu un repoussoir. En fait, pas grand monde ne comprend ce qui se passe. Simplificateur, xénophobe, souvent scandaleux dans ses propos, Le Pen, cependant, rallie à lui un autre bout d’électorat qui lui reste absolument fidèle: les électeurs déçus par l’évolution du PCF, de moins en moins révolutionnaire et patriote. 

Quels ont été les moteurs de cette évolution, aussi bien endogènes qu'exogènes au parti ? En quoi le Front national a pu suivre le mouvement vers ce qu'il est aujourd'hui ? 

Le premier facteur c’est la disparition du gaullisme. Chirac mais aussi Balladur, Juppé et bien d’autres responsables du RPR abandonnent au plus tard au début des années 1980 la défense de la souveraineté française. Ils se rallient progressivement au libéralisme dominant et appellent à voter oui à Maastricht en 1992. Le deuxième facteur, c’est, plus encore que l’Europe fédérale, la mise en place de la mondialisation. La mise en place du libre-échange généralisé, à partir des années 1970 a provoqué une première vague de désindustrialisation; une deuxième vague a suivi aussitôt lorsque la politique du franc fort puis l’euro sont venues diminuer encore les capacités d’adaptation de l’appareil de production français. Jean-Marie Le Pen ne comprend pas plus que le reste de la classe politique ce qui se passe; il désigne un bouc émissaire, l’immigré, qu’il rend responsable de tous les maux qui ravagent le tissu social. Tels Tartuffe les partis de gouvernement, les médias, le monde intellectuel poussent des cris indignés et se bouchent les oreilles quand Le Pen parle. Mais ils refusent de voir que leurs choix économiques, politiques et sociaux, qui creusent les inégalités, sont le terreau où vient s’enraciner le Front National: montée des inégalités, malthusianisme des employeurs accablés de charges et d’impôts, délocalisations d’emplois, réduction des moyens affectés aux compétences régaliennes sous la pression budgétaire de Bruxelles, système éducatif inadapté au monde professionnel issu de la révolution de l’information etc...
Leur rapport à la démocratie est profondément hypocrite: c’est un peu comme s’ils s’écriaient: « Cachez-moi ce peuple que je ne saurais voir! » tout en briguant avidement ses suffrages tous les cinq ans. La sincérité que l’on met dans la détestation de Le Pen se mesure à l’empressement que l’on montre à traiter les maux qui rongent la société française.  Le moins que l’on puisse dire c’est que l’on n’a pas vu beaucoup de personnalités politiques désireuses de vraiment combattre le Front National depuis trente ans. Les partis de gouvernement s’en sont accommodés comme d’un moyen de verrouiller leur emprise sur l’appareil d’Etat. Evidemment, il vient un moment où le jeu est devenu dangereux pour les partis de gouvernement eux-mêmes: c’est Jospin éliminé du premier tour en 2002; ou Fillon en 2017. 

Quels sont les avantages et les inconvénients de cette situation particulière du Front national comparativement à ses homologues européens ? 

Nicolas Sarkozy fait refluer un temps le Front National. Il a décidé de s’approprier certains thèmes du parti de Jean-Marie Le Pen: lutte contre l’insécurité, contrôle de l’immigration. Mais il ne veut pas mettre en cause la clé de voûte du système néo-libéral européen, la monnaie unique. Sa marge de manoeuvre est donc au bout du compte faible et devient même nulle: l’homme qui avait dénoncé l’insécurité finit par réduire les effectifs de la police pour rester dans les critères du pacte de stabilité monétaire européen! Après la défaite de Sarkozy en 2012, Marine Le Pen, qui a succédé à son père à la tête du parti, combine plusieurs options en fait incompatibles. D’un côté, elle garde le « ni droite ni gauche » de son père, un vieux refrain d’extrême droite qu’elle tente de repeindre aux couleurs de la République sous l’influence de Florian Philippot; d’un autre côté, elle aimerait bien devenir le premier parti à droite. Mais il lui faudrait alors abandonner ses tirades anti-bourgeois, accepter de soutenir la « Manif pour Tous » - ce qu’elle ne fait qu’après de longues hésitations et du bout des lèvres.
Aux élections de 2017, elle obtient, au premier tour, une victoire à la Pyrrhus: elle devance certes François Fillon mais elle est loin, avec 21%, des 30% que lui avaient promis les sondages du début de la campagne. En Europe, vous avez deux types de mouvements protestataires victorieux: ceux qui sont ancrés dans une région, comme la Ligue du Nord ou le Vlaams Blok; ou bien ceux qui choisissent d’être clairement soit à droite (la majorité actuelle au gouvernement en Pologne) soit à gauche (Podemos, Syriza etc...). Au deuxième tour de l’élection présidentielle de 2017, Marine Le Pen n’a pas joué la seule carte à sa disposition: rassembler une partie de la droite assommée par la défaite de Fillon. Elle a poursuivi une chimère: le ralliement des électeurs de Mélenchon. Au bout du compte, avec un tiers des votants, Marine Le Pen n’a pas réussi à s’imposer comme la première opposante à Emmanuel Macron. Elle est condamnée à disputer le leadership d’une droite dure à Nicolas Dupont-Aignan, à Laurent Wauquiez et, sans doute, à sa nièce Marion Maréchal-Le Pen. La mue du Front National en parti de gouvernement n’est pas pour demain. 

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