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Le match cheminots contre salariés du privé (cadres sup’ inclus) : qui est privilégié, qui l’est moins ?
©FRED DUFOUR / AFP

Avantages

Le rapport Spinetta sera donc suivi (en partie) à la lettre par Edouard Philippe. Conséquence : la suppression prochaine du statut de cheminot. Un statut "d'avantagé" de moins ou une injustice ?

Thomas Carbonnier

Thomas Carbonnier

Thomas Carbonnier est Avocat, fondateur & coordinateur pédagogique du diplôme Start-up Santé (bac+5) à l'Université Paris Cité. Il est également Président de l'UNPI 95, une association de propriétaires qui intervient dans le Val d'Oise. Il est titulaire du Master 2 droit fiscal, du Master 2 droit financier et du D.E.S. immobilier d’entreprise de l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne.

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Jean-Philippe Delsol

Jean-Philippe Delsol

Jean-Philippe Delsol est avocat, essayiste et président de l’IREF, l'Institut de Recherches Economiques et Fiscale. Il est l'auteur de Civilisation et libre arbitre, (Desclée de Brouwer, 2022).

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Atlantico : Quelques semaines après la publication du rapport Spinetta, le Premier ministre Edouard Philippe a pu annoncer l'extinction progressive du statut de cheminot en France, au travers de la fin du recrutement​ sous ce statut par la SNCF. Alors que le débat politique se focalise régulièrement sur la question des inégalités, comment faire la part des choses entre les avantages octroyés au cours d'une vie, et non les revenus, aux "10%" majoritairement composés de cadres du privé et de profession libérales, et à un statut comme celui des cheminots, du temps de travail à la durée de carrière, de la retraite aux différentes primes ? 

Jean-Philippe Delsol : Le statut dont profitent la quais totalité des 150 000 cheminots est très avantageux : l'emploi à vie, congés payés supérieurs aux autres salariés, RTT au-delà de 7heures de travail journalier, soit en moyenne 22 jours de RTT pour les conducteurs et contrôleurs de trains et même 28 pour ceux qui travaillent de nuit, départs à la retraite dès 50 ans pour les conducteurs de trains et 55 ans pour les autres passant progressivement à 52 et 57 ans à partir de 2024, retraite établie sur les six derniers mois de salaires, comme les fonctionnaires. Les cheminots ont des salaires bruts mensuel très supérieurs à la moyenne française, soit 3 900 €, contre 2 998 euros bruts dans le privé,  auxquels s’ajoutent la gratuité des voyages pour eux et seize voyages annuels gratuits pour leurs conjoints et enfants qui au-delà ne payent que 10% du billet, soit un coût de 100 millions d'euros par an. Leurs cotisations salariales sont inférieures à celles des salariés privés. La retraite moyenne à la SNCF est de 23 616 euros et donc très au-dessus de la moyenne nationale de 14 480 euros dans le secteur privé. Comme il y a environ 270 000 retraités, et que les cotisations des actifs sont très insuffisantes pour payer leurs retraites, l’Etat doit mettre la main à la poche :  l’IREF a calculé que les contribuables payent chaque année la moitié de la pension d’un ancien agent, soit plus de 12 200 euros par retraité.

Et c’est là toute la différence avec le statut des salariés du privé. Ceux-ci, et notamment les cadres peuvent obtenir des avantages importants, mais en général ils en supportent le prix. S’ils ont des retraites complémentaires facultatives, ils en payent les cotisations avec leur employeur. Certes, certaines professions ont accordé de vrais privilèges à leurs employés qui relèvent pourtant d’un statut privé. Par exemple les banques assurent à leurs employés des RTT extrêmement confortables et des retraites qui ne le sont pas moins. Mais ça n’est pas le contribuable qui supporte les avantages qui leur sont octroyés. La SNCF est sous perfusion d’argent public. Le système ferroviaire français représentait en 2016 un coût brut pour les finances publiques, toutes administrations confondues, de 10,5 milliards d’euros, auxquels il faut ajouter 3,2 milliards d’euros de subvention d’équilibre au régime de retraite SNCF. En dépit de ces subventions, le système demeure déficitaire, de l’ordre de 3 milliards d’euros chaque année.

Thomas Carbonnier : Depuis l’élection du Président Macron, la France semble être entrée une ère totalement inédite jusqu’à présent : le soviétisme libéral. Ces deux idéologies, autrefois radicalement opposées, sont en voie d’être réconciliés grâce à un français marchant sur l’eau.

Ce programme révolutionnaire comporte un volet qui ne manquera pas de susciter des émotions : la réforme du statut des cheminots de la SNCF. Mais avant d’entrer dans le vif du sujet, avez-vous déjà pris le 1er train de la journée au départ de PARIS et à destination de TOULOUSE à la gare d’Austerlitz ? Quand la locomotive n’a pas été oubliée, c’est le conducteur qui a été oublié… et quand ce n’est pas l’aspirateur Dyson en démonstration à côté de la 1ère classe qui vous casse les oreilles, c’est le conducteur qui vous rassure en vous annonçant qu’il vient de sortir le manuel d’urgence du train. 

Et d’ailleurs, combien de fois votre train est-il arrivé à l’heure ? Pour la SNCF, en dessous de 15 minutes de retard, le train est à l’heure. Tout va bien, tout est normal. Au Japon, lorsque le train arrive 6 secondes après l’heure prévue, c’est un retard ! Au-delà de ces nuances culturelles, peut-on vraiment comparer le statut du salarié SNCF à l’abri du licenciement, quelle que soit la qualité du travail effectué, avec celui du salarié privé qui connaîtra plusieurs fois dans sa vie des périodes de chômage ?

Le salarié SNCF prendra sa retraite entre 53 et 57 ans sans avoir pris le moindre risque dans sa carrière alors que le salarié du privé se battra avec ses caisses de retraite pour faire valoir ses droits à la retraite vers 67 ans au mieux. Le salaire moyen brut serait de plus de 3 000 € à la SNCF contre 2 900 € dans le privé.

Certains cheminots seraient obligés de découcher, ne pourraient pas prendre leurs vacances quand ils veulent, travailleraient en horaires décalés, les week-ends comme les jours fériés, par tous les temps, notamment par -5 °C. A ne pas en douter, ils auront bien mérité la médaille d’honneur du travail !

Et côté le secteur privé… peut-on vraiment prendre ses vacances quand on veut ? N’y-a-t-il jamais des jours de vacances imposés par l’employeur ? Naturellement, aucun cadre ne travaille 35h de travail hebdomadaire. Quant au chef d’entreprise qui travaille dans la construction immobilière travaille sans jamais s’abimer les mains, bien au chaud. Quant au cadre d’entreprise, c’est bien connu, il peut se permettre d’arriver 15 minutes après l’heure fixée du rendez-vous sans difficulté. Plus encore, l’avocat ne se réveille jamais en pleine nuit pour aller assisté un citoyen placé en garde à vue. Il n’a jamais à plaider en plein mois d’août ou pendant les ponts du mois de mai. Quant à la femme, cadre d’un grand groupe d’audit et de conseil financier, elle n’a pas non plus à craindre d’être envoyée en Arabie Saoudite en mission et de devoir porter le voile intégral...

Bref, il y a d’un côté les salariés de la SNCF qui ont un rythme de travail effréné et de l’autre des salariés du secteur privé qui se la coulent douce n’est-ce pas ? Il y a ceux qui gagnent 3 000 euros bruts pour 35h par semaine (rythme effréné) et ceux qui gagnent 2 900 euros bruts pour seulement 50h par semaine (!). Et quand les premiers se mettent en grève, à l’instar de décembre 1995, les franciliens peuvent naturellement se la couleur douce en allant à pied, par un hiver neigeux, à leur travail.

En définitive, comme toujours, il y a deux mondes que tout oppose mais qui, cette fois-ci, seront, fort heureusement, bientôt réconciliés par la grâce de Jupiter. 

​Quels sont les principaux risques auxquels sont confrontés les premiers et qui n'affecteraient pas les seconds, notamment sur les risques de voir une carrière interrompue ?

Jean-Philippe Delsol : Le principal risque que supportent les salariés du privé par rapport à aux agents de la SNCF est celui de la perte d’emploi. Ils sont toujours en risque à cet égard, en fonction de leurs performances et de la situation économique de leur employeur,  alors qu’il faut vraiment qu’un cheminot ait tué père et mère pour qu’il soit licencié. Les cheminots ont eut sans doute des métiers très difficiles au début de l’aventure ferroviaire, notamment les conducteurs de locomotives, qui pouvaient justifier des avantages spécifiques, comme pour les pilotes des premiers avions. Ces privilèges ne sont plus de mise aujourd’hui.

Thomas CarbonnierDésormais, le statut de cheminot ne s’appliquerait plus aux nouveaux entrants. Heureusement, ils devraient encore bénéficier d’un statut confortable. Les salariés de la SNCF n’ont pas de risque réel de perte d’emploi pour faute lourde. Le motif de licenciement économique n’existe pas. Leur statut très protecteur, comparable à celui des fonctionnaires. Le salarié du privé doit tous les jours faire ses preuves pour conserver son emploi. Pire, il se peut que son employeur rencontre des difficultés économiques importantes et soit dans l’obligation de le licencier… 

Dans le secteur privé, les jeunes, une fois diplômés, doivent souvent affronter un marché du travail fort difficile à pénétrer. A l’âge de 20 ans, les actifs sont vus comme trop jeunes et n’ont pas de diplôme. A 30 ans, ils manquent d’expérience. A 45 ans, ils sont trop vieux… et à 65 ans, ils n’ont pas assez travaillé pour prendre leur retraite. En définitive, les salariés du secteur privé subissent donc une véritable double peine. 

Dans quelle mesure l'évolution du climat économique au cours de ces dernières années et décennies a-t-elle pu renforcer ce décalage entre les avantages octroyés aux uns par rapport aux autres ? 

Jean-Philippe Delsol : L’évolution économique des ces dernière années a  mis en relief l’injustice et l’incohérence de ces privilèges dont bénéficient encore indument des salariés d’une entreprise à capitaux entièrement publics dans une période ou tous les autres salariés ont été mis à l’épreuve de la crise de 2008. Imaginez qu’il faudrait supprimer au moins 40 000 postes en France pour que la SNCF ait la même productivité que la Deutsche Bahn ! Il suffit de prendre souvent le TGV et de constater qu’il y a au moins deux contrôleurs par rame et souvent plus pour des contrôles qu’ils font de moins en moins fréquemment et qui leur prennent bien peu de temps quand ils les font.

A cet égard, la réforme que veut engager le Premier Ministre pour ne plus embaucher les cheminots sous le bénéfice du statut est courageuse et souhaitons qu’elle aille jusqu’au bout. Le rapport Spinetta a enfoncé des portes ouvertes, mais il a au moins eu ce mérite,- et peut-être n’a-t-il été commandé qu’à cet effet-, de sensibiliser l’opinion à la nécessité de faire évoluer le statut de la SNCF et des cheminots.  Certes, il peut paraître curieux que ce soit le Premier Ministre qui annonce ainsi des décisions relevant normalement de la direction générale de la société employeur, ce qui montre la fictivité, en l’état, de l’autonomie de la SNCF.  Mais « en même temps », il est vrai que la société ne pouvait pas prendre seule cette décision dont la mise en œuvre exigera une totale fermeté du gouvernement pour ne pas céder à la pression syndicale des cheminots. Sans cette décision la privatisation de la SNCF aurait été quasiment impossible. Avec elle, elle reste très difficile mais devient possible et c’est le meilleur moyen, et peut-être le seul, pour rendre à la SNCF l’efficacité et la productivité d’une entreprise normale confrontée au marché comme elle le sera après l’ouverture du rail à la concurrence à partir de 2022.

Thomas Carbonnier : Le fossé n’a cessé de croître avec l’aggravation des difficultés économiques et de l’envolée du chômage dans le secteur privé. Le statut des cheminots fait régulièrement l’objet de réformettes. 

Les actifs du secteur privé ne ménagent pas leurs efforts au quotidien, souvent au prix de leur santé, acquérir un certain niveau de vie. Pendant ce temps là, les cheminots se battent non pas pour améliorer la qualité de service de la SNCF mais pour gagner plus en travaillant moins. La dégradation du climat économique a accru les incompréhensions résultant des différences culturelles. Alors que les actifs du secteur privé doivent affronter le parcours du combattant, ils doivent également affronter les grèves SNCF… . Lorsque le secteur privé sera ruiné, qui financera la SNCF ? Pour l’heure, la guerre froide entre privé et public ne semble pas vouloir laisser place à la détente.

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