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Ovidie : "Comment expliquer que si un kiosquier oublie de ranger en hauteur les magazines pour adultes il risque 3 ans de prison alors qu’en un clic des enfants ont accès via leur smartphone à des millions de vidéos gratuites ?"
©Ethan Miller / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

Sans réaction

Alors que la France dispose de lois censées réglementer l'accès à la pornographie, à la télévision, dans les kiosques et sur Internet, elles ne sont pas appliquées sur les sites gratuits de streaming. Des millions d'heures de contenus sont accessibles à tous, sans restriction d'âge ou de contrôle de la violence du contenu.

 Ovidie

Ovidie

Ovidie est auteure, réalisatrice, et productrice de films pornographiques destinés aux femmes.

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Atlantico : Les chiffres de la pornographie sur internet que vous citez dans votre livre "A un clic du pire" donnent le tournis. En 10 ans, l'humanité aurait regardé l'équivalent de 1,2 million d'années de vidéos pornographiques. La France sixième consommateur de contenus pornographiques dans le monde selon la revue statistique 2017 du site internet Pornhub, l'accès facile à la pornographie pour un public mineur n'est pas sans poser de question. Comment lutter efficacement contre ce phénomène et en quoi l'accès aux contenus pornographiques à un jeune âge peut être problématique pour la construction des individus.

Ovidie :Personnellement j’ai une approche froide et pragmatique. En France nous avons des lois censées règlementer l’accès aux contenus pour adultes et protéger les mineurs. La diffusion de contenus pornographiques est soumise à règlementation (double cryptage pour la télévision, code parental, carte bleue pour la plupart des sites payants). La plupart des acteurs légaux de l’industrie du X respectent ces règlementations. Mais depuis une dizaine d’années, ce qu’on appelle « les tubes », à savoir les sites de streaming construit sur le même modèle que Youtube, diffusent du contenu en accès libre et gratuit, sans aucun système de vérification de l’âge, et ne respectent pas la loi française. Pourtant, personne ne s’en offusque. On va taper par principe sur la poignée de producteurs français qui vont rester le plus souvent dans les clous de la loi, tout en faisant semblant de ne pas voir ces sites détenus par des gigantesques tech-compagnies qui sont parfois plus fréquentés encore que les sites d’Apple ou Microsoft. Comment expliquer que si mon kiosquier en bas de chez moi oublie de ranger en hauteur les magazines pour adultes il risque 75000 euros d’amende et 3 ans de prison alors qu’en un seul clic des enfants ont accès via leur smartphone à des millions de vidéos gratuites ? Pour moi, commençons déjà par faire appliquer la loi. Ensuite penchons-nous sur la question de l’éducation sexuelle en France.

Extrait de "A un clic du pire" : Accès à la pornographie : quand des fournisseurs d’accès Internet s’opposent à une quelconque régulation

Face à cette démocratisation des contenus pornographiques, que penser du débat public sur les questions d'accès à la pornographie et de l'image de la femme véhiculée par ces contenus? La juste-mesure des intervenants n'est-elle pas rare et les propos souvent caricaturaux ?

Tout le monde a un avis sur ce qu’on appelle « le porno », comme s’il s’agissait d’un tout homogène. En réalité, il serait plus juste de parler de « pornographies » au pluriel. Il existe une multitude de pornographies, de la plus éthique à la plus violente, de la plus féministe aux mises en scènes de viol. On trouve de tout. Je pense qu’il serait contre-productif de s’égarer dans des considérations trop floues, de parler à tout va de « l’image de la femme » et de tomber dans une forme de panique morale. La question n’est plus d’être pour ou contre la pornographie mais simplement de faire appliquer la loi.

Enfin, comment expliquez-vous l'absence d'implication de la sphère politique face à un phénomène qui touche toute les couches de la société ? N'est-ce pas pourtant un thème qui mérite que l'on s'y intéresse 

Plusieurs raisons peuvent expliquer cela. La première est que la pornographie est un genre qui n’est pas pris au sérieux. La simple évocation du sujet entraîne soit des réactions viscérales, soit des rires. C’est pourtant une industrie qui nécessite d’être étudiée avec la plus grande attention, en tant que secteur économique à part entière. Mais cela renvoie à tellement de tabous qu’à ce jour aucun gouvernement n’a pris la peine de s’entourer de consultants qui connaissent parfaitement bien le secteur. Je ne vois pas comment il serait possible d’agir avec justesse sans bien connaître tous les tenants et aboutissants, sans connaitre avec précision les différents modes de diffusion, des plus légaux au plus illégaux, comme je les détaille par exemple dans mon livre. Personne n’y comprend rien ni ne fait la différence entre « le porno » et les « tubes ». Tout le monde s’embourbe dans des lieux communs, condamne à l’unisson ce genre tout en continuant à se palucher devant.

La seconde raison pour laquelle il ne se passe rien, c’est que, mine de rien, même si ce secteur est rejeté par l’ensemble de la société, personne ne veut sacrifier sa petite branlette. On parle de centaines de milliards de connexions dans le monde, cela concerne toutes les catégories sociales, tous les âges, hommes comme femmes. Et la plupart des gens ont pris l’habitude de se soulager gratuitement. Payer ne serait-ce que 3 euros sur un site légal et non accessible aux mineurs ? Certainement pas, les gens ont trop de mépris pour cette industrie pour sortir leur carte bleue. Les premières victimes des tubes ont justement été les personnes qui travaillaient au sein de l’industrie du porno et en particulier les actrices. Cela fait des années que certaines d’entre elles tirent la sonnette d’alarme mais personne ne les écoute. Leur parole n’a aucune valeur. On s’en fout de savoir que la plupart n’ont pas consenti à atterrir sur ces sites de streaming, on s’en fout de savoir qu’elles sont livrées en pâture sans aucun droit à l’oubli. À l’heure actuelle, elles n’ont aucun moyen légal de faire retirer leur image de ces plateformes qui exploitent illégalement du contenu piraté. Seuls les ayant-droits le peuvent, or beaucoup d’entre eux ont tout bonnement disparu. Lorsqu’on connait la stigmatisation qui entoure le métier d’actrice X, on peut aisément imaginer à quel point se retrouver sans restriction et aux yeux de tous sur Pornhub peut transformer votre quotidien en véritable cauchemar.

"A un clic du pire" d'Ovidie, publié aux Editions Anne-Carriere © Editions Anne-Carriere 

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