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Protection des secteurs stratégiques : pourquoi la ligne Maginot juridique imaginée par le gouvernement risque d’avoir la même efficacité que l’originale
©Reuters

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Depuis l'Acte unique de 1992 et le passage des accords du Gatt à ceux de l'OMC, tous les secteurs économiques sont en ébullition. ‬‬‬‬‬‬‬‬‬Clairement, la recherche de la croissance organique s'estompe au profit d'une économie où les fusions-acquisitions prennent une place de plus en plus importante.‬

Jean-Yves Archer

Jean-Yves Archer

Jean-Yves ARCHER est économiste, membre de la SEP (Société d’Économie Politique), profession libérale depuis 34 ans et ancien de l’ENA

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Depuis l'Acte unique de 1992 et le passage des accords du Gatt à ceux de l'OMC, tous les secteurs économiques sont en ébullition. ‬‬‬‬‬‬‬‬‬Clairement, la recherche de la croissance organique s'estompe au profit d'une économie où les fusions-acquisitions prennent une place de plus en plus importante.‬
Avec l'aide affutée et de plus en plus omniprésente des banques d'affaires, de nombreux groupes sont en quête d'opérations de croissance externe pour réussir l'obtention de quatre objectifs distincts et complémentaires. 
Tout d'abord, s'assurer une part croissante d'internationalisation et donc de présence sur différents marchés. Puis, gagner d'un coup des parts de marché par le rachat effectif de clientèles. Troisième élément : la mainmise sur des technologies développées par les concurrents devenus des cibles. Enfin, améliorer la qualité de son bilan en gérant habilement l'équilibre entre le financement par la dette et la valorisation des actifs. Avant son rachat par Bolloré, Vivendi valait moins de 14 milliards : désormais, la valeur flirte avec les 30 milliards.
Le climat dominant est par conséquent aux opérations de croissance externe ce qui peut poser des questions d'indépendance nationale et de secteurs stratégiques. Citons par exemple l'aéronautique avec des sous-traitants majeurs d'Airbus ou de Dassault Aviation. Même remarque dans les biotechs où l'effervescence est à son comble : il suffit de relever le nombre de rachats de start-ups confirmés du type MedTech et autres.
La France doit être attractive selon le président Macron : oui, évidemment mais à condition qu'il s'agisse d'investissements de capacités (construction de nouveaux sites) et non pas tant d'investissements financiers via des rachats hostiles.
Dominique de Villepin, alors premier ministre, avait montré son attachement à la notion finalement assez ambigüe de " patriotisme économique " mais l'Histoire a surtout retenu le décret Montebourg relatif à la protection des secteurs qualifiés de stratégiques.
Le tout étant de s'entendre sur le contenu de cette notion que le Gouvernement d'Edouard Philippe veut précisément élargir en étoffant la liste des entités visées.
L'objectif est louable car il serait de triste destin que la France ne se fasse piller par des prédateurs peu enclins à notre développement national par opposition à leurs gains personnels et immédiats.
L'économie casino n'est pas loin de certaines pratiques et des exemples récents ont montré à quel point nous sommes finalement démunis. Les rachats d'Alcatel par Nokia, de Lafarge par Holcim (présenté faussement comme une alliance au départ) d'Alstom par Siemens ne sont pas des exemples qui plaident pour le bien-fondé systématique et incontestable de la virulente croissance externe.
Soumettre à une forme de veto étatique les opérations de fusions-acquisitions n'est pas une véritable nouveauté. Claude Bébéar " himself " avait été quérir le feu vert du président Jacques Chirac lors de la prise de contrôle de l'UAP par AXA.
Près de vingt ans après, le rôle de l'Etat est toujours aussi omniprésent mais la France ne se donne guère les moyens de défendre ses intérêts. BpiFrance a annoncé, il y a moins de quinze jours, qu'elle allait mettre sur pieds un fonds de 3 milliards destiné à préserver certaines pépites nationales.
Le chiffre parait mince même si les intentions sont louables et que Nicolas Dufourcq et ses équipes sauront finement régater.
A ce stade, je souhaite rappeler au lectorat le cas insensé d'Arcelor. Le 26 juillet 2006, Arcelor était absorbé par Mittal faute d'une réponse européenne intelligente et appropriée. En effet, il faut se souvenir que l'offre publique d'achat hostile de Mittal se chiffrait à 18,6 milliards d'euros dont un simple quart payé en cash. Or, les fonds propres d'Arcelor s'élevaient à 17,6 mds d'euros ce qui démontre que si l'Europe avait voulu, elle aurait pu (et dû…) surenchérir de quelques milliards ce qui n'était pas injouable pour les fondateurs d'Arcelor : Espagne, France, Luxembourg.
Au lieu de cela, nous nous sommes enlisés dans des querelles de clocher, avons fait resurgir le mythe de la nationalisation, etc. Le résultat est connu, plus de 10 ans après : des centres de recherches ont été délocalisés en Inde, des restructurations ont eu lieu au détriment des sites européens tandis que les aciers spéciaux sont bel et bien devenus des produits nobles et stratégiques pour plus d'un secteur industriel, notamment l'automobile.
Etant donné l'endettement conséquent du groupe Mittal, rien ne dit qu'il ne sera pas lui-même l'objet d'une tentative de rachat hostile.
Cet exemple, planqué sous le boisseau par les élites administratives et politiques, rappelle qu'il faut des munitions sonnantes et trébuchantes pour répondre à une opération de croissance externe.
Des groupes comme Véolia ou Engie ou Publicis sont parfaitement intéressants et à la portée de capitaux chinois ou autres. Même remarque pour Carrefour qui aurait, dit-on, déjà été regardé par Amazon ou AliBaba.
Il me semble donc raisonnable de penser que la place de Paris va connaître une bataille d'importance d'ici 18 mois et que le texte de veto étatique aura l'épaisseur d'un papier journal face à ce futur clash boursier.
En ayant recours à ce type de défense textuelle par opposition avec la constitution d'un vrai Fonds souverain, l'Etat se donne bonne conscience davantage qu'il ne répond à la question. Toujours ce syndrome de la ligne Maginot en version juridique amoindrie.
Toujours ce goût pour les " Commissions parlementaires " vilipendées par Clémenceau ( nom de la dernière promotion de l'ENA…) et adulées par le député LR Olivier Marleix.
Comme certains de ses propos sont loin de la réalité que l'on nomme, selon son gré, le capitalisme contemporain ou la vraie épine dorsale de la mondialisation. D'ici 10 ans, plus d'une opération majeure sur 3 de M&A en Europe sera initiée par un groupe originaire du Sud : de quoi réfléchir face au miroir et non face à nos rêves de puissance évanouie.

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