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Touaregs, terroristes et trafiquants d'armes... qui est qui au Mali ?
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Sympathique assemblée

Au Mali, les gênants partenaires des Touaregs que sont plusieurs groupes islamistes, pourraient profiter du chaos pour bénéficier d'un sanctuaire sécurisé. Et si la mise en échec de ces réseaux liés à Al-Qaïda se trouvait dans la mise en place d'un Etat fédéral au sein duquel la rébellion touareg trouverait toute sa place ?

Emmanuel Dupuy

Emmanuel Dupuy

Emmanuel Dupuy est enseignant en géopolitique à l'Université Catholique de Lille, à l'Institut Supérieur de gestion de Paris, à l'école des Hautes Études Internationales et Politiques. Il est également président de l'Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE). 

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La grave crise sécuritaire et l’instabilité politique qui secoue le Mali, suite au coup d’état du 22 mars dernier, ainsi que la perte de la moitié du pays au profit des rebelles touaregs et de leurs « alliés » islamistes, ouvre, comme de nombreux analystes l’ont déjà exprimé, une « boîte de pandore » aux effets déclics dans une zone déjà particulièrement tourmentée. Les effets induits ne sont néanmoins pas seulement là où on a bien voulu les voir !

Le Mali sera-t-il notre Afghanistan ?

Demeure un risque certain d’installation d’une zone grise, bastion à partir duquel des mouvements terroristes en quête de re-légitimisation de leur action combattante depuis le mouvement d’autonomisation et son affaiblissement induits par la mort d’Oussama Ben Laden pourraient agir, vers la Mauritanie, l’Algérie, le Nigéria, le reste du Mali lui-même...

Les Etats-Unis ont toujours considéré la menace comme sérieuse et craint cette perspective qui verrait une continuité territoriale entre cellules sahélo-sahariennes éparses d’AQMI, à cheval entre le Nord et le Nord-Est du Mali et l’Ouest du Niger, le mouvement Boko Aram qui sévit au Nord du Nigéria et plus à l’est, nettement plus à l’est, les islamistes somaliens du mouvement Al Chabab.

Ils y ont, du reste, installés depuis quelques années des forces spéciales qui dépendent d’un commandement militaire dédié (SOCAFRICA, Special Operations Command Africa) qui a formé les militaires maliens et nigériens à ce dessein.

La mise en place d’exercices conjoints avec les militaires maliens, algériens, nigériens, mauritaniens, burkinabès par le truchement du programme Enduring Freedom Trans Sahara lancé en 2007, tout comme les 500 millions de dollars qu’ils consacrent depuis 2005 à travers le Trans-Saharan Counterterrorism Initiative et leur plan pan-sahel, sur un volet plus économique, depuis 2002, confirme leur vigilance quant à ce scénario du pire.

Perspective crainte qui leur fait parfois comparer ce qui est en train de se dérouler sous nos yeux à ce qui s’est passé dans l’Afghanistan des talibans vis-à-vis d’Al Qaeda (entre 1996-2001), dans les zones tribales pakistanaises, et à ce qu’il craignaient pouvait devenir le Yémen pour AQPA (Al Qaeda en Péninsule Arabique), d’où leur soutien au régime - pourtant vacillant sous la pression de ses forces sociales et société civile - du président Saleh.

Peu d’observateurs directs peuvent en tout cas témoigner de ce qui se passe réellement en amont du fleuve Niger, au Nord de la ville de Mopti, encore aux mains de l’armée malienne qui s’y est replié.

L’on peut cependant constater que les échos alarmants reçus de Gao et Tombouctou, tombés aux mains des islamistes du mouvement Ansar al Dine, dirigé par une ancienne figure de la rébellion touareg, Iyad Ag Ghaly, et qui constitue une des nombreuses cellules d’AQMI (Al Qaeda au Maghreb Islamique) rejoints, depuis la prise de la ville le 2 avril dernier, par des éléments du mouvement djihadiste nigérian Boko Aram, préfigure ce que d’aucuns, à l’instar du Président de la République Nicolas Sarkozy, qualifient déjà d’état terroriste au cœur de la bande sahélo-saharienne. Le contraste est tout état de cause saisissant à quelques encablures de l’espace euro-méditerranéen dans lequel la transition démocratique s’est ancré depuis le printemps 2011 et à quelques milliers de kilomètres d’un Sénégal post-électoral exemplaire dans sa transition politique.

Après la reconnaissance de jure du Soudan du Sud en juillet dernier, sommes-nous à l’orée de la reconnaissance de facto de l’Azawad, comme le 57ème état sur le continent africain ?

C’est du moins ce que réclame le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA dont le Secrétaire General est Bilal Ag Achérif) qui a su profiter habilement d’un coup d’état approximatif à Bamako, pour conquérir les trois régions septentrionales et leurs capitales - Kidal, Gao, Tombouctou - en quelques jours, réalisant ainsi son dessein de séparation avec le Sud, revendiqué depuis mai 1958, soit deux années avant l’indépendance du Mali en1960.

La mise en alerte de 2000 hommes par la Communauté Economique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO et son président en exercice, Allassane Ouattara), composante ouest-africaine des Forces Africaines en Attente (FAA, processus ardemment soutenu par la France dans le cadre d’une nouvelle architecture de sécurité nettement moins bilatérale et définitivement multilatérale) - prévus depuis le Sommet de l’Union africaine tenu à Durban en 2002, n’y changera sans doute pas grand-chose.

La négociation avec les Touaregs sera avant tout politique.

C’est du reste en misant sur le sécularisme du MNLA, du moins sur ses priorités qui résident moins dans l’instauration de la charia comme source de droit dans les territoires désormais sous son contrôle, que dans la poursuite de son agenda politique visant à la reconnaissance d’une plus forte dose d’autonomie que demeurent des marges de manœuvres. De là à considérer que le MNLA peut être une carte particulièrement utile pour affaiblir le mouvement Ansar Al Dine ?

Les responsables du MNLA se plaisent, en toute occasion, à rappeler que si le mouvement salafiste contrôle bien les villes de Gao et de Tombouctou, ce sont ses troupes qui en assurent l’accès et contrôlent le reste du territoire conquis sur les troupes de Bamako. C’est sur cette base politico-militaire que le MNLA a accepté de dialoguer avec la médiation algéro-burkinabaise qui est en cours de constitution.

Le respect de l’intangibilité des frontières maliennes, comme le réclame à juste titre l’Union africaine et la communauté internationale, réside peut-être dans cette nouvelle répartition, plus fédérale, plus décentralisée des pouvoirs, tenant compte de nouveaux rapports de force entre centre et périphérie.

On ne reviendra pas non plus sur les raisons qui ont poussé la junte militaire emmené par le capitaine Amadou Haya Sanogo, a déposer - à quelques semaines du scrutin du 29 avril - le gouvernement d’Amadou Toumani Touré, accusé de mollesse face à la rébellion touareg et pour certains de trop grande « tolérance » vis-à-vis de la mouvance islamiste, activement présente à la frontière avec l’Algérie et la Mauritanie.

Il convient néanmoins de rappeler que certaines récriminations du Comité national pour le redressement de la démocratie et la restauration de l'État (CNRDR) rejoignent, du reste, celles répétées d’Alger - qui a fait face à une attaque il y a quelques semaines de son état-major chargé de la lutte anti-terroriste à Tamanrasset -, ou du régime militaire de Nouakchott, aux prises avec des katibas d’AQMI qui se jouent de la porosité des frontières.

Critiques modérées certes, mais venant parfois aussi de Paris, toujours préoccupé par le sort des six otages français encore aux mains d’AQMI depuis leur enlèvement au Niger en septembre 2010.

Néanmoins, force est de constater que cette sortie hasardeuse des militaires maliens de leurs casernes, n’incite guère à prendre en compte sa justification initiale qui était d’en découdre avec une rébellion touareg, rengaillardie par l’arsenal récupéré sur les stocks d’armes libyens.

A ce sujet, l’ancien président du Comité militaire de l’Otan, l’Amiral Gianfranco Di Paola, devenu depuis ministre de la Défense italien, avait évoqué le chiffre de 10 000 missiles sol-air dont l’OTAN a perdu la trace ; évidemment tous ne sont pas entre les mains du MNLA et/ou d’AQMI, beaucoup sont déjà hors du continent africain !

Une seule certitude, cependant, celle de la récupération de nombre de véhicules blindés, approximativement une trentaine, laissés par l’armée malienne en déroute après dix jours de combats.

En outre, si les touaregs ont constitué depuis une composante supplétive des forces de sécurité sur lequel le colonel Kadhafi a su compter jusqu’à sa fin tragique, ces derniers ont su aussi demeurer fidèles à leur agenda visant à obtenir davantage d’autonomie vis-à-vis du pouvoir central malien.

C’est du reste, potentiellement sur cette exigence, à la fois territoriale, culturelle, en tout état de cause nettement plus séculaire que celle de leurs désormais encombrants alliés militaires que constituent les islamistes solidement installés à Gao et Tombouctou, que réside peut-être les fondements de la sortie de crise.

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