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Le petit manège aussi efficace que discret des voleurs à la caisse du supermarché
©Reuters

Bonnes feuilles

En quinze années de BAC à Paris, Sébastien Fedeli a passé des heures voire des nuits à les chercher, à les suivre et à les observer : il connaît leurs trucs par cœur et a pu passer les menottes à nombre d’entre eux. Pour la première fois, un policier livre les plus grands secrets de leurs « basses » œuvres. Extrait de "Aux voleurs" de Sébastien Fedeli, publié aux éditions de l'Opportun (2/2)

Sébastien Fedeli

Sébastien Fedeli

Sébastien Fedeli est policier de terrain

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Vous ne les voyez pas, pourtant ils sont là. Ils sont trois. Il s’agit de deux hommes et d’une femme, non loin de vous, pendant que vous patientez à la caisse de cet hypermarché, les coudes en appui sur la barre de votre Caddie. Si vous étiez un peu attentif, si vous releviez le nez de votre téléphone nouvelle génération, vous pourriez assister à un joli petit manège. En plus, cela vous permettrait de vous aguerrir. Pour plus tard. Quand vous serez plus vieux. Quand vous ne disposerez plus de votre corps jeune et de votre esprit vif. Quand vous serez devenu une « proie » facile, comme cette mamie qui règle ses achats juste devant vous.

La caissière vient de lui annoncer le montant total de ses achats. Plusieurs dizaines d’euros. Mamie tire à elle le petit sac à main qu’elle porte toujours en bandoulière, la tête et l’épaule passées au travers de la sangle – et jamais, son fils avait lourdement insisté là-dessus, jamais avec la sangle passée simplement sur l’épaule à cause des vols à l’arraché.

De son sac, elle extrait son portefeuille qu’elle ouvre en deux. Apparaissent alors quelques photos de sa famille – le fameux fils notamment, tout sourire –, ainsi que sa carte bleue, aujourd’hui l’objet de sérieuses convoitises.

Nous y sommes. Voici venir « le moment magique », cet instant où un code secret à quatre chiffres rejoint une carte bancaire, cet instant où ces deux clés enfin réunies permettent l’accès à un compte, quelque part dans une banque, et autorisent la sortie du cash. Attention, Mamie arrive dans cet instant. Les voleurs le savent; ils se rapprochent.

Sous le pavé numérique, une phrase est inscrite: « Taper votre code à l’abri des regards indiscrets. » Une mise en garde. Mais comment faire? Comment taper correctement son code en s’assurant dans le même temps que personne ne vous observe?

Il s’agit là d’un tour de force quasi impossible. Tentez de composer votre code en regardant ailleurs et trois tentatives plus tard, il y a fort à parier que votre carte sera bloquée. Et alors, point de moment magique. On devine alors que la solution efficace consiste à placer sa seconde main en écran sur la première qui tape le code. Mais voilà, il s’avère que l’on rechigne à agir de la sorte. Placer sa main pour masquer son code secret signifie à nos voisins que l’on se méfie d’eux, que l’on se sent en insécurité, pire, qu’on les soupçonne d’être malhonnêtes. Il s’agit d’une attitude hostile que l’on se refuse à adopter.

Heureusement, la majorité d’entre nous est bienveillante et ne veut pas de mal à son prochain. Aussi, chacun ayant connu ce malaise au moment de taper son code sait comment il doit agir pour aider la personne qui entre dans son moment magique : il suffit de se détourner. C’est simple, ça met tout le monde à l’aise, et cette attitude clame votre absolue honnêteté. Regarder ce que l’on veut, le sol, le plafond, la caissière ou son téléphone, mais surtout, surtout pas, en direction du secret. Un code, c’est personnel. À chacun son moment magique.

Ainsi, quand Mamie réajuste ses lunettes et se penche sur le pavé numérique pour en distinguer les chiffres, tout le monde, sentant venir le moment magique, se détourne naturellement: les passants regardent ailleurs, la caissière se penche sur sa caisse, et vous, vous vous penchez sur la couverture du magazine TV en attendant que ça passe. Dommage. Un des voleurs est là. Un homme plutôt grand, portant des lunettes légèrement fumées. Il patientait depuis dix minutes derrière la rangée de caisses. Il tient un journal dans la main. L’air de rien, il s’est rapproché de Mamie. Maintenant, il se trouve derrière elle, son corps légèrement décalé. Il a une vue parfaite sur le pavé numérique. Mamie est concentrée, elle attend le moment de composer le code. Vous, vous êtes à un mètre, mais vous regardez ailleurs. La caissière également. Personne ne regarde Mamie, donc personne ne voit l’homme derrière elle. La pauvre femme est abandonnée, seule, en compagnie de ce voleur en plein moment magique.

À cet instant, le client qui vous suit dans la file se permet une petite intervention auprès de la caissière. Ce monsieur a un doute sur une série de piles qu’il tient en main, une question compliquée : il veut savoir si les piles de type LR6 sont toujours à 1,5 volt, ou s’il en existe un autre modèle dans une tension différente pour son poste radio ? Il vous regarde.

Vous ne savez quoi répondre. La caissière non plus. Vous n’avez jamais rencontré ce problème auparavant et aucun de vous deux ne peut le renseigner. L’homme vous remercie et s’en retourne vers les travées du supermarché. C’était l’instant diversion. Au cas où… De l’autre côté, Mamie en a fini avec son moment magique. On entend la caisse enregistreuse qui imprime le ticket. L’homme aux lunettes fumées n’est plus là. Tandis que Mamie replace sa carte de crédit dans son portefeuille, lui s’éloigne tranquillement en se répétant mentalement les chiffres 6, 1, 4 et 3. Mamie reçoit son ticket de caisse. Elle salue puis part avec son Caddie en direction de la sortie et du parking. « Au revoir, madame ! » À présent, Mamie est sur le parking du supermarché. Elle charge ses achats dans sa voiture. Elle se place derrière le volant et s’apprête à mettre le contact lorsqu’une femme se porte à sa hauteur et lui fait remarquer que son pneu arrière gauche est crevé.

Mamie descend de son véhicule et constate en effet les dégâts: le pneumatique est complètement à plat. Quelle guigne! Mamie n’a pas le temps de décider de ce qu’elle va faire: la jeune femme prend les choses en main:

— Mon mari va vous aider, explique-t-elle. On ne peut pas vous laisser comme ça!

Mamie sent bien que la jeune femme est pressante, mais comment refuser ? Elle sait qu’elle ne pourra pas réparer toute seule. Elle songe à appeler son fils, mais déjà le mari de la jeune femme arrive sur les lieux. Si vous aviez été là à ce moment-là, vous l’auriez reconnu : il s’agit de monsieur LR6.

— Je vais vous aider, ne vous inquiétez pas, c’est vite fait. Mamie accepte l’aide avec plaisir.

Monsieur LR6 l’invite à ouvrir son coffre pour qu’il puisse avoir accès à la roue de secours. Mamie obéit. Il faut ressortir toutes les courses pour attraper la roue et le cric. Cela prend un peu de temps. Mais c’est bien plus qu’il n’en faut à la jeune femme pour entrer dans la voiture de Mamie, ouvrir le sac à main qui se trouve sur le siège passager, trouver le portefeuille, sortir la carte bancaire, replacer le portefeuille, refermer le sac à main et ressortir du véhicule. Mamie est impressionnée. Monsieur LR6 semble s’y connaître dans le domaine de la roue crevée, comme s’il avait fait ça toute sa vie. Pourtant non, il n’est pas mécanicien. Mais, oui, ça lui est déjà arrivé, plusieurs fois. Et si ses mains sont sales, ce n’est pas grave, il ira se les laver à la station-service.

Un dernier coup de manivelle… C’est fini ! Merci. Mille fois. C’est merveilleux. On remet la roue crevée et toutes les courses dans le coffre. Chacun remonte alors dans sa voiture et se sépare sur de joyeux au revoir. Quelle chance d’avoir rencontré de jeunes gens si sympathiques…

Extrait de "Aux voleurs" de Sébastien Fedeli, publié aux éditions de l'Opportun

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