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SNCF : Pourquoi la mise en concurrence ne sera pas le remède miracle
©LUDOVIC MARIN / AFP

Opinion

Jean-Cyril Spinetta a remis un rapport explosif au premier ministre Edouard Philippe sur la SNCF.

Loïk Le Floch-Prigent

Loïk Le Floch-Prigent

Loïk Le Floch-Prigent est ancien dirigeant de Elf Aquitaine et Gaz de France, et spécialiste des questions d'énergie. Il est président de la branche industrie du mouvement ETHIC.

 

Ingénieur à l'Institut polytechnique de Grenoble, puis directeur de cabinet du ministre de l'Industrie Pierre Dreyfus (1981-1982), il devient successivement PDG de Rhône-Poulenc (1982-1986), de Elf Aquitaine (1989-1993), de Gaz de France (1993-1996), puis de la SNCF avant de se reconvertir en consultant international spécialisé dans les questions d'énergie (1997-2003).

Dernière publication : Il ne faut pas se tromper, aux Editions Elytel.

Son nom est apparu dans l'affaire Elf en 2003. Il est l'auteur de La bataille de l'industrie aux éditions Jacques-Marie Laffont.

En 2017, il a publié Carnets de route d'un africain.

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Exercice difficile que de rédiger un rapport avec une liste de questions précises, on limite les surprises mais on n’a pas à s’interroger sur la pertinence des interrogations.

Ayant constaté que la voie du ferroviaire en faisait un "monopole naturel", on répond immédiatement que la concurrence demandée par la Commission Européenne allait permettre de remettre de l’efficacité dans notre système ferroviaire !

Ayant présidé deux monopoles naturels, celui du gaz et du fer, et conseillé le troisième celui de l’électricité jusqu’en 2014, je souhaite que dans le grand remue-ménage actuel sur l’avenir de l’Europe on se réinterroge sur la compatibilité d’un monopole naturel et d’une concurrence efficace. Dans l’électricité sur laquelle je me suis exprimé la semaine dernière nous sommes dans le bazar à la charge du contribuable et du consommateur. La concurrence imaginée par les économistes et la séparation des fonctions dans des sociétés distinctes a conduit à une perte de compétitivité de la France et une désorganisation européenne sans précédent ! Partir une nouvelle fois dans cette dynamique c’est du déni de réalité et de l’aveuglement.

Nous avons un système ferroviaire, imparfait à bien des égards, et plutôt que de faire le diagnostic des réformes passées faites pour obéir  aux principes de la  déréglementation, on estime qu’il faut utiliser les « vertus de la concurrence ». Le fait de la vouloir, un peu plus loin dans le texte,  « réelle et équitable »  montre bien que l’on n’y croit guère, on va au bout de l’exercice demandé, mais on connait le résultat : à l’impossible nul n’est tenu .

Personne ne s’étonnera que je propose un autre mode de raisonnement, une rupture,  pour ne pas sombrer dans la spirale des échecs à répétition.

Le train cela doit marcher, être à l’heure, assurer les dessertes dans les agglomérations et entre les villes, on accepte les embouteillages des routes, les cohues dans les aéroports, mais le propre du train c’est d’être précis au départ comme à l’arrivée. Lorsque les plaisanteries commencent à fuser sur l’anormalité que les  horaires soient  respectés, sur  le désordre dans les gares, sur  l’absence d’informations…le ferroviaire est en danger. La première interrogation doit donc être : pourquoi le système s’est ainsi déréglé ? On observera que chacun a désormais sa réponse et que c’est « l’autre » qui est en cause. D’un système qui fonctionnait avec une sorte d’idéal « cheminot » et qui avait la volonté de faire marcher les trains, on est passé à une séparation des fonctions conduisant à des responsabilités dispersées à travers des hiérarchies différentes et des établissements pour partie antagonistes ! On obéissait ainsi aux règles européennes qui allaient permettre la concurrence, mais on perdait l’esprit de corps qui assurait le fonctionnement. A mesure que le temps passait le « réseau » et les « mobilités » se renvoyaient la balle avec la complicité d’une agence de régulation qui tirait son pouvoir des rivalités.

C’est en observant qu’on allait au mur que la réforme de 2014 a voulu mettre de nouveau les gens ensemble, deux EPIC chapeautés par un troisième pour recréer une unité mise à mal. Un déménagement et une vie commune à trois établissements n’a pas permis de retrouver le chemin de la solidarité, d’autant que dans le même temps une tranche d’âge disparaissait et que la transmission du savoir, de la cohésion indispensable entre les métiers, n’était pas réalisée. Les anciens voyaient leur univers s’en aller sans avoir pu expliquer comment « on fait marcher les trains » et les nouveaux venus ne comprenaient pas les rivalités des « chefs » les contraignant à choisir leur chapelle. Tandis qu’on leur expliquait que l’introduction du numérique allait moderniser leur quotidien, c’est un antique fonctionnement en silos qui perdurait tandis qu’une armée mexicaine dirigeait des équipes de terrain de moins en moins fournies.

L’avenir de la SNCF, c’est d’abord celui des hommes et des femmes qui y travaillent et qui se sont engagés pour que les trains marchent, qu’ils partent et arrivent à l’heure avec des voyageurs satisfaits et donc une fierté légitime dans l’entreprise. Ils ne sont pas venus là pour raser les murs et subir les quolibets de leurs proches quand ils avouent leur profession. Un cheminot est d’abord fier de son emploi, de son train, de son entreprise. Ce n’est plus le cas aujourd’hui et c’est dans la recherche d’une transformation nécessaire redonnant de l’espoir au personnel que réside l’avenir du rail national.

A questions technocratiques, réponses technocratiques, mais le résultat humain est connu d’avance, l’enthousiasme ne sera pas au rendez-vous d’une juxtaposition de mesures toutes justifiables. C’est l’idée que la concurrence allait être le remède miracle qui a conduit depuis des années à voir se dégrader la qualité du service ferroviaire. C’est, au contraire la cohésion des « cheminots » qui a permis à cette entreprise de résister. C’est de là que je propose que l’on reparte pour faire évoluer le train national, et cela veut dire une redéfinition des objectifs européens en matière ferroviaire, moins d’idéologie et plus de pragmatisme, plus d’humain et moins de structures empilées budgétivores .

Une réalité, le train ne peut fonctionner qu’avec des corps de cheminots complémentaires et coresponsables, ceci conduit irrémédiablement dans un contexte de monopole naturel à une entreprise pivot, c’est la SNCF. La concurrence ne peut exister qu’à la marge de ce système central qui garantit la compétence des métiers et la transmission des savoirs. Autrement dit la présence d’aiguillons est loin d’être interdite pour éviter le sommeil et les habitudes. Tous les items soulevés par le rapport existent et doivent être pris en compte, mais la question essentielle à se poser aujourd’hui, avant qu’il soit trop tard , dans le ferroviaire comme dans l’électricité et le gaz, c’est la relation entre le monopole naturel et la concurrence : pour moi les échecs permanents pour les contribuables et les consommateurs conduisent à rouvrir les dossiers, à organiser  en grand les débats. Puisque beaucoup de « principes européens «  sont reconsidérés aujourd’hui à la lumière de nos échecs et des poussées électorales contraires, ne perdons pas l’occasion de nous interroger de nouveau sur les « vertus de la concurrence » !

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