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La crise de la masculinité, l’autre crise qui se cache derrière les tueries de masse aux États-Unis
©MARK WILSON / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

Crtière

Au-delà de la problématique du contrôle des armes, le profil des auteurs de tuerie de masse présente un point commun : des hommes de tous horizons et de toutes origines mais mal dans leur peau et fragilisés par les injonctions contradictoires de la société contemporaine vis-à-vis des hommes.

Pascal Neveu

Pascal Neveu

Pascal Neveu est directeur de l'Institut Français de la Psychanalyse Active (IFPA) et secrétaire général du Conseil Supérieur de la Psychanalyse Active (CSDPA). Il est responsable national de la cellule de soutien psychologique au sein de l’Œuvre des Pupilles Orphelins des Sapeurs-Pompiers de France (ODP).

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Atlantico : Alors qu'une nouvelle tuerie de masse vient d'endeuiller les Etats-Unis, plusieurs analyses tendent à montrer un lien entre tueries de masse et violences domestiques celles-ci pouvant être liées à une notion de crise de la masculinité. Quelle est la pertinence d'une telle approche ? 

Pascal Neveu : Cette étude ne prend en considération que les cas de tueries de masse où l’épouse (ou petite amie) fait partie des nombreuses victimes. Elle est donc totalement contestable ! C’est un très gros raccourci même si certaines études rapportent que dans 54% des cas (entre 2009 et 2016) les tueurs avaient déjà fait l’objet de déclaration de violences domestiques, sur femmes et enfants. Pour autant elle souligne une caractéristique psychologique retrouvée chez tous les tueurs : ils ont tous soufferts d’un sentiment de dévalorisation identitaire et d’humiliations multiples durant l’enfance. Cette forme de passage à l’acte est en partie favorisée par l’accès aux armes, aux drogues et à des sites d'informations spécialisées sur les armes. A ce sujet, un clip vidéo de sensibilisation, diffusé aux Etats-Unis courant 2017, destiné aux établissements scolaires (la rue et les établissements scolaires sont les principales cibles des tueurs) retraçait la genèse d’un futur tueur, dont l’identité ne se lit pas sur le visage, mais ces traits psychologiques. Il ne faut pas non plus occulter que cette récente étude est publiée en plein débat sur les armes aux Etats-Unis et une recrudescence des homicides et tueries de masse. En quasi 40 ans, c’est plus de 120 actes tuant plus de 1000 personnes, à travers le monde, qui ont eu lieu, en retirant de ces chiffres les attentats djihadistes.

Quels sont les effets de cette crise de la masculinité ? Celle-ci prend-elle une forme différente entre Etats-Unis et France ?

Aux Etats-Unis, dans les cas de meurtres domestiques avec arme, le FBI présente les chiffres de 41% d’homicide sur l’épouse, contre 1,5% sur l’époux. Les tueurs de masse sont des hommes dans 96% des cas. Très rares sont les tueuses, sauf si elles forment un « binôme » avec leur compagnon et ce de manière très active dans leur passage à l’acte. Ils sont généralement vêtus d’une tenue de combat et des tranches d’âge ont pu être définies : ils ont 26 ans en moyenne, mais en ont plus de 40 (âge de la crise de milieu de vie) si l’on exclut ceux qui frappent en milieu scolaire (16 ans en moyenne). Le passage à l'acte est à la fois une recherche de réparation des offenses collectives (réelles ou fantasmées), d'un besoin immense de reconnaissance publique et de revendication d'un statut de victime. À travers ce massacre, il recherche par conséquent la célébrité et souvent le coït ultime. Car le tueur de masse espère effectivement un plaisir puissant qui se conclura dans une majorité des cas par sa mort, qui n’est en fait qu’un suicide déguisé. Le tueur est donc à la fois dans une logique de frustration mais également une logique « d'héroïsation », saupoudrées d’une pulsion de haine et d’une recherche de vengeance. Bien évidemment on pourrait en faire une analyse sauvage de la masculinité, de la virilité retrouvée via un phallus explosif. Ne dit-on pas que l’orgasme, c’est la petite mort ? Quid de des expressions « tu as du feu ?», « allume-moi… », « je vais te mettre une cartouche… »… ? Même si l’accès aux armes à feu est plus facile aux Etats-Unis, les tueries de masse ont également lieu en France, en Allemagne, en Grande-Bretagne, en Australie…

Cependant il est vrai que les relations homme-femmes aux Etats-Unis sont plus sujettes à questionnements, notamment via les courants féministes. Par exemple la journaliste américaine Cristina Nehring, dans son ouvrage « L’amour à l’américaine, Une nouvelle police des sentiments » (ed. Premier Parallèle) décrit la menace de l’interaction entre hommes et femmes, dans une société américaine sécuritaire et prude. A tel point qu’un homme ne prend plus l’ascenseur seul avec une femme… par crainte d’être poursuivi pour un regard, un mot, un geste… Cela ne crée pas des tueurs de masse, car chacun d’entre eux porte un profil psychopathologique singulier, mais le contexte actuel encourage certains à vouloir faire un lien entre crise de la masculinité et passage à l’acte. Je pense qu’avant toute chose le tueur de masse est un sociopathe qui va parfaitement orchestrer son acte meurtrier. Il est pleinement conscient du plan criminel qu’il va perpétrer, cherchant à réaliser le plus célèbre moment de sa fin de vie. Nous sommes actuellement préservés en France, mais la fragilité de notre société, l’égoïsme général et l’absence d’observation et d’identification de souffrances psychiques ne pourra pas nous épargner. Repensons au lycéen de Grasse en 2017, mais également Richard Durn à l’Hôtel de Ville de Nanterre en 2002, qui ne sont que des contemporains de Louis Michel Rieul Billon qui perpétra l’attentat de Senlis en 1789 contre la Garde Républicaine… Les tueurs en masse ont toujours existé !

Quelles en sont les causes ? 

C’est bien là l’unique problème… en dehors des caractéristiques psychologiques décrites, très souvent les tueries arrivent dans des sociétés où l’individualisme est important et où on valorise les dominants. Les tueurs de masse, eux, vont d’échec en échec. De fait, ils se retrouvent isolés et se sentent de plus dévalorisés et s’isolent de plus en plus socialement, car ils ne rentrent pas dans les codes. Plutôt que de retourner leur haine contre eux, ils se retournent contre des «coupables désignés » afin de les punir. Une fois leur «mission» accomplie, ils se suicident ou obligent les forces de l’ordre à les abattre. Il me semble important de souligner qu’il n’a jamais été prouvé que les jeux vidéo, même avec une « réalité violente » créent des tueurs de masse. Mais ce n’est pas à proprement parler une problématique de masculinité. Est-ce qu’Omar Mateen, tueur d’Orlando en 2016 souffrait de masculinité ? Tout comme Stephen Paddock, à Las Vegas, en 2017, ou encore Anders Behring Breivik en Norvège 2011 ?...
Nikolaus Cruz, l’auteur du dernier attentat effroyable en Floride, fait partie de ces tueurs de masse « politiques » de plus en plus manifestes, même si certains pourraient parler de la recherche d’un père symbolique, et donc d’un phallus. Le tueur de masse porte un profil psychologique protéiforme, dont une dimension est liée au contexte socio-politique, évolutive, qui justifiera son passage à l’acte. Nous avons donc à continuer à étudier sérieusement l’évolution de la criminologie de masse, sous différentes approches et non pas seulement contextuelles ou opportunistes. Un collège pluridisciplinaire regroupant criminologues, psy, sociologues… internationaux, tous indépendants, permettrait d’affiner les caractéristiques afin d’anticiper et prévenir ces tueries de masse. Une utopie ??? Seulement celle de vouloir sauver des vies…

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