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Pouvoir d’achat : pourquoi LREM ne comprend pas la nature du piège dans lequel le gouvernement est en train de s’enfermer
©Reuters

Mauvaise pioche

Emmanuel Macron, le gouvernement, et les élus de la majorité tentent de contester l'idée selon laquelle le pouvoir d'achat diminue en France... avec parfois des déclarations particulièrement imprudentes.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : Selon un sondage Elabe Institut Montaigne Les Échos, 70% des Français ne feraient pas confiance à Emmanuel Macron et au gouvernement pour améliorer leur pouvoir d'achat et seuls 14% d'entre eux pensent que les réformes mises en place augmenteront leur pouvoir d'achat. Un résultat découlant notamment du manque de confiance des sondés vis à vis de la politique économique d'Emmanuel Macron, dont seuls 33% des Français considèrent ainsi qu'il a "une bonne gestion de l'économie", selon un sondage Yougov. Face à un tel constat, Emmanuel Macron, le gouvernement, et les élus LREM tentent d'apporter des réponses, notamment en contestant l'idée selon laquelle le pouvoir d'achat diminue en France, comme l'indiquait Laetitia Avia ce 12 février : "On a 21 millions de Français qui ont vu leurs salaires nets augmenter". Alors qu'Emmanuel Macron semble avoir "édulcoré" son discours sur les premiers de cordée, notamment en raison des accusations relatives au "Président des riches", en quoi les réponses actuelles apportées par le gouvernement, essentiellement techniques, sont inadaptées à la défiance plus générale des Français sur le fond de la politique économique elle-même ?

Christophe Bouillaud : De toute façon, dans ce domaine, les premiers concernés, c’est-à-dire les simples citoyens, jugent sur pièces, en regardant le montant de leur salaire net ou le montant net de leurs retraites du mois de janvier. C’est cela qui compte. A mon sens, même si les Français croyaient massivement à une « bonne gestion de l’économie » par le gouvernement actuel, il reste qu’entre le propos d’un homme ou d’une femme politique affirmant de manière générique que votre revenu a augmenté et ce que vous lisez vous-mêmes dans vos relevés de compte en banque, il n’y a pas d’argumentation possible. Il est ainsi probable que beaucoup de salariés du secteur privé ne voient pas leur salaire net augmenter en raison des hausses éventuelles des mutuelles de santé collectives obligatoires depuis quelques années. Ce n’est pas là  la responsabilité directe du gouvernement, mais, comme cette hausse est justifiée par les mutuelles par celle du forfait hospitalier décidé par ce dernier, il est un peu responsable tout de même. Dans le secteur public, c’est aussi le cas d’une hausse des cotisations pour les mutuelles de santé, et, à cela, s’ajoute la hausse de la cotisation de retraite, qui peut être facilement confondue avec celle de la CSG pourtant compensé « à l’euro près » en principe. Enfin, pour ce qui concerne les retraités, j’ai bien peur que le gouvernement soit en train de découvrir à ses dépens que, lors de la campagne électorale de l’an dernier, ces derniers n’avaient dans leur majorité pas compris le niveau absolu de la ponction qu’ils auraient à subir à compter de janvier 2018. Ils ont entendu une petite hausse en pourcentage de la CSG auquel ils voulaient bien souscrire par « solidarité », et aujourd’hui, ils découvrent la baisse de leurs revenus qui se compte là en dizaines d’euros. Cela ne fait pasexactement le même effet psychologique. En plus les retraités aussi ont des mutuelles à payer qui augmentent leurs tarifs... De fait, les réponses  techniques du gouvernement ne valent  sans doute que partiellement en évacuant ce qui est perçu par les citoyens comme des hausses imputables à tort ou à raison au gouvernement.

Surtout, il ne peut pas y avoir de balance directe entre une perte tangible de pouvoir d’achat, ici et maintenant, objectivé par x euros, et les espérances d’une politique économique. Même si les gens étaient tous convaincus par cette dernière, il y aurait une exaspération au moment de passer à la caisse. Il faudrait vraiment une situation exceptionnelle  pour qu’un surcroit d’impôt soit accepté de bonne grâce. De fait, l’histoire de France récente est parsemée d’impôts ou de taxes institués pour une bonne cause, et qui ont pourtant laissé quelque amertume dans les esprits (par exemple, « la vignette auto » pour aider à financer les retraites des indigents, l’ « impôt sécheresse » de 1976, et la « journée de solidarité » toujours pour aider les personnes âgées dépendantes plus récemment). 

"L’exaspération des Français n’est pas rationnelle" selon Edouard Philippe​, le député LREM Bruno Bonnell a déclaré pour sa part "On entend que ça le pouvoir d'achat ; comme si la vie se résumait au pouvoir d'acheter". Le gouvernement n'est-il pas, dans sa rhétorique, en train de s'enfermer dans l'acte 2 du "couac" sur les APL qui avait marqué la rentrée 2017 ?

Oui, ce genre de déclarations n’est pas très prudent. De fait, l’élection du président Macron a aussi été obtenue sur la promesse d’une hausse du pouvoir d’achat. Allez relire son programme. Du coup, des attentes, peut-être excessives d’ailleurs, ont été soulevées dans la population : les salariés du privé devaient gagner plus et les retraités payer à peine un peu plus. Il se trouve que les salariés du privé ne voient pas bien le gain et que les retraités voient la perte. Il ne peut donc qu’y avoir un certain énervement, et il me parait dangereux de le nier. Dire aux gens qu’ils ne sont pas rationnels n’est pas une bonne politique. 

Par ailleurs, la remarque antimatérialiste de Bruno Bonnell est plutôt piquante effectivement venant d’un chef d’entreprise qui n’est pas réputé à ma connaissance pour avoir fait don de sa fortune aux œuvres. Plus généralement, La République en Marche (LREM) est un parti qui n’a pas fait de la décroissance sa doctrine, loin de là. Il promet un « Enrichissez-vous par le travail et l’effort ! » général. Il ne lui pas alors s’étonner d’être jugé ensuite sur ce point, de manière très matérialiste.

Surtout, reprocher aux Français, si j’ose dire, de ne penser qu’à l’argent est fort maladroit, car il s’agit effectivement de sommes limitées, mais qui impactent fortement les revenus des ménages les moins aisés. 5, 10, 20, 50 euros de perte de revenu par mois est d’autant moins anodin qu’on dispose de moins de revenu.

Quels sont les dégâts politiques potentiels de cette séquence relative au pouvoir d'achat ? Ceux-ci sont-ils "rattrapables" dans l'opinion ?

Vu l’aphasie des oppositions incapables de porter la critique des Français ordinaires, cette séquence reste sans doute rattrapable pour autant que la suite de l’année apporte finalement la preuve qu’il y aura bien eu hausse du pouvoir d’achat, au moins pour les salariés du privé. On verra bien aussi ce qu’il en sera de la suppression de la taxe d’habitation pour 80% des ménages…  Il y aura sans doute bien des déçus, et l’on risque d’avoir le même genre de scénarios. Mais le plus important, c’est tout de même la baisse du chômage. Si celle-ci devait se confirmer et surtout s’amplifier nettement, le gouvernement devrait en profiter dans l’opinion publique. Si, par contre, on continuait à observer cette étrange phase de retour de la croissance sans beaucoup de créations d’emploi et de recul du chômage, la suite du quinquennat deviendrait difficile. 

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