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Comment les centristes tentent d’exploiter au mieux leur différence avec LREM pour retrouver un peu d’oxygène
©ludovic MARIN / POOL / AFP

Prouve que tu existes

La question des élections municipales se pose d’ores-et-déjà pour tous les états-majors politiques, mais sans doute de manière encore plus centrale pour LREM. Un rapprochement avec les centristes pourrait lui permettre d'améliorer son ancrage local.

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : Emmanuel Macron pourrait-il avoir un intérêt, dans une ambition notamment locale, de faire alliance avec un parti centriste comme l'UDI, dont les convictions sont plus "girondines", en faveur d'une décentralisation ? Quel pourrait être l'intérêt pour LREM de chercher une alliance en ce sens ?

Jean Petaux : La question des élections municipales (dont la date exacte n’est pas encore arrêtée d’ailleurs entre mars 2020 et mars 2021) se pose d’ores et déjà pour tous les états-majors politiques mais sans doute de manière encore plus centrale pour LREM. Pour plusieurs raisons. La première tient à la jeunesse du mouvement. Absent du paysage politique avant 2016, LREM ne pourra, par définition,  présenter des « maires sortants » au prochain rendez-vous électoral municipal. Or il est de tradition constante pour les élections municipales que celles-ci sont plus favorables aux maires élus et aux équipes sortantes qu’à des novices qui se présentent aux suffrages de leurs concitoyens. La deuxième raison relève du comportement-même des militants de La République en marche. Ils s’intéressent à la politique certes mais pas forcément à la vie politique locale. Les députés LREM élus en juin 2016  n’ont pratiquement pas eu de responsabilités politiques locales avant d’être candidats à la députation et, une fois élus, revendiquent clairement leur « originalité » : ils sont élus de la nation, sans ancrage local et territorial et ne cherchent pas à en avoir. D’où cette impression qu’ils peuvent donner, dans la plupart des cas, qu’ils sont « hors sol ». La troisième originalité de LREM c’est que ce mouvement, contrairement à sa pratique revendiquée (la « co-construction » du projet, le « pouvoir aux comités locaux », etc.), est un mouvement fortement centralisé, où la pratique du fonctionnement est plus bien « jacobine » que « girondine ». Imposition de « Jupiter » oblige. Résultat possible (pour ne pas dire « prévisible ») de ces particularismes de « La République en Marche » des élections municipales de tous les dangers dont le bilan, que l’exécutif le veuille ou non, sera scruté et décrypté par tous (analystes, concurrents, citoyens) comme peuvent l’être des « élections intermédiaires » deux ans ou un an seulement avant la prochaine présidentielle. D’où une certaine urgence pour LREM à colmater les brèches locales telles qu’on peut les observer aujourd’hui et telles qu’il faut les imaginer en 2019 ou 2020 quand on entrera dans la phase active des prochaines municipales.  Dans la panoplie des solutions possibles, l’option des alliances est une des plus facilement opérables. Alliances avec l’UDI certes, avec le Parti Radical réunifié (entre Valoisiens et PRG), mais aussi avec le MODEM bien entendu dont l’ancrage territorial n’a rien à voir avec celui de  LREM. La « vieille démocratie chrétienne », dont le MODEM est la déclinaison actuelle, est, traditionnellement, une formation bien implantée dans les municipalités et y a acquis une vraie notoriété électorale. On peut ajouter à cela une partie de la droite qui, ces dernières semaines, a pris ses distances avec LR dirigé par Laurent Wauquiez : Juppé, bien sûr, mais aussi Bussereau, sans doute prochainement Raffarin ou d’autres « figures » régionales comme Estrosi ou Bertrand. A ce titre la composition de la liste nationale des prochaines Européennes, en 2019, figurera comme une répétition générale des futures listes municipales qui pourraient bien réunir le plus largement possible anciens LR et anciens socialistes autour d’un axe « La République en marche ». On retrouvera alors dans les municipalités le modèle politique qui a prévalu jusqu’en 1977 : des équipes de « Troisième force » comme celles qui ont gouverné Nantes entre 1965 et 1977 (municipalité André Morice) ou Marseille de 1953 à 1977  (quand par exemple un Jean-Claude Gaudin, étiqueté CNIP, entrait à 26 ans comme jeune conseiller municipal en 1965  dans l’équipe Defferre et y siégeait jusqu’en 1977) renvoyant la droite gaulliste et les communistes dans l’opposition locale. Alors la question n’est pas de savoir si « philosophiquement » ou « idéologiquement », l’UDI ou d’autres formations centristes sont plus « girondines » que LREM… Elles le sont indubitablement et leurs « grands élus » locaux bénéficient encore d’une image de « grands » ou de « petits » notables localement. La réalité sera plus simple et plus pragmatique : LREM passera des alliances locales « à la carte » avec les partis politiques qui pourront lui garantir un ancrage territorial minimal permettant de passer « sans trop de casse » le cap des élections municipales à venir.

Il reste qu’Emmanuel Macron est confronté à une vraie aporie. C’est en décentralisant pleinement, vigoureusement, en transférant non seulement des compétences mais aussi des ressources aux Régions par exemple ou aux grosses intercommunalités (il n’en prend pas le chemin apparemment si on en juge à l’aune du dossier de l’apprentissage) qu’il bousculerait vraiment les routines des institutions françaises. Mais tout à sa volonté de « révolutionner » la France, son économie et ses rapports sociaux, d’une manière « top-down » (« par le haut ») il n’en a pas l’intention. Ce n’est pas une surprise de découvrir que « Bonaparte-Macron » est plus jacobin que girondin mais cela risque d’en provoquer certaines mauvaises nouvelles pour lui, à plus ou moins long terme, s’il ne prend pas la mesure du fait que le « gouvernement à proximité » est souvent populaire que le « gouvernement par les instruments ».

Quels pourraient être le résultat de ce potentiel rapprochement ? Pourrait il porter ses fruits électoralement parlant ? 

Je viens de répondre pour partie à cette question. J’ajouterai que dans certaines situations particulières, là où se posera par exemple la question de la succession pour des maires élus depuis plusieurs mandats qui voudront passer la main (de surcroît plus ou moins contraints et forcés en fonction de la loi limitant le « cumul dans le temps »), ces alliances localement passées permettront peut-être d’apporter des réponses. Le cas le plus emblématique par exemple sera peut-être alors celui de Bordeaux. Alain Juppé risque ne pas pouvoir faire abstraction de la question de sa succession en 2020 ou en 2021. Et cela qu’il choisisse de se représenter ou non aux municipales bordelaises. Selon qu’il aura ou non passé une alliance aux Européennes de 2019 avec LREM et une partie des formations avec lesquelles il gouverne la métropole de Nouvelle-Aquitaine (UDI, MODEM, Radicaux valoisiens, etc.) il sera en mesure de reproduire localement cette association européenne et nationale un an ou deux plus tard. Il pourra même y trouver une ou un éventuel.le dauphin.e, compte tenu du fait qu’aujourd’hui, pour reprendre une formule forgée et colportée par quelques uns de ses proches, « L’actuelle dauphine(comprendre Virgine Calmels, devenue « numéro 2 ex-aequo » de LR sous Wauqiuez) a été remisée au garage ». Version moins délicate, de la part des mêmes : « La Dauphine(nom d’une voiture construite par Renault dans les années 60 qui avait une tendance certaine à se retrouver sur le toit) a fait plusieurs tonneaux… ». Plus largement, au plan macro-électoral, les alliances passées localement entre LREM et plusieurs alliés possibles aura pour mérite aussi de « mutualiser les pertes électorales » éventuelles. Ne pas aller seul au combat municipal pour LREM pourrait lui permettre de « mouiller » d’autres formations politiques dans une éventuelle défaite électorale et éviterait ainsi qu’une seule formation, celle du président de la République, ne prenne de plein fouet, seule, la vague de protestation que les électeurs pourraient avoir envie d’envoyer au chef de l’Etat et à son premier ministre.

Au contraire, quelles seraient les limites de ce rapprochement, en considérant l'importance des divisions que connaissent les centristes ? 

Il ne faut pas systématiquement considérer le centre comme un « archipel de petites iles » isolées les unes les autres. Les derniers mois ont montré que les Radicaux ont su se retrouver par exemple. Ils étaient séparés en deux groupes, l’un allié avec la droite et l’autre avec la gauche, depuis 1972… soit 46 ans. Certes l’UDI est sans doute moins à même de colmater ses fractures « claniques » entre les tenants d’Hervé Morin, de Jean-Christophe Lagarde, et les orphelins de Jean-Louis Borloo. Pour autant, tout comme a pu le vivre et le constater le MODEM à l’occasion des dernières législatives de 2017 : rien ne vaut, pour se « refaire une santé » en politique des alliances passées en amont des élections pour éviter des déchirements et des combats fratricides. Les limites à cette loi sont les mêmes que celles qui relèvent de l’investissement en matière économique. Il faut que la promesse d’un « retour sur investissement » soit crédible et que la confiance nouée entre les composantes de l’alliance, entre les protagonistes de la transaction « marchande » (économique ou politique), soit réelle. Si LREM n’apparait  plus en 2020-2021 comme une formation politique avec laquelle l’association est « rentable » ou « profitable », si elle est « démonétisée » électoralement parlant, alors elle ne trouvera pas grand monde pour s’allier avec elle. Le pragmatisme reprendra vite ses droits et alors les listes « En Marche ! se retrouveront bien isolées. Les centristes auront répondu, entre temps, à des sirènes plus prometteuses (ou plus enchanteresses…) et nouer des alliances plus porteuses. Même si les « possibles » seront limités avec une droite républicaine qui n’aura pas manqué, sous la houlette de Wauquiez, de se « Buissonniser » radicalement et un PS qui n’aura sans doute pas encore réalisé son aggiornamento pleinement européen et surtout social-démocrate assumé comme le SPD l’a fait il y aura alors seulement… 60 ans à Bad Godesberg.

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