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Les journalistes à gauche toute : Mais de quel système sont-ils donc censés être les chiens de garde ?
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Nouveaux chiots de garde

Deux écoles de journalisme ont organisé une simulation de vote pour la présidentielle en interne. La gauche en est sortie largement majoritaire jusqu'à ne compter, dans un cas, aucun vote en faveur d'un candidat de droite. Un résultat peu conforme à l'idée de journalistes "chiens de garde" défenseurs du pouvoir en place.

François Ruffin

François Ruffin

François Ruffin est journaliste. Il participe au journal Fakir, au Monde diplomatique et à l'émission de France Inter Là-bas si j'y suis.

Il est l'auteur de Les petits soldats du journalisme (Les Arènes / 2003).

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Atlantico : Les étudiants de deux écoles de journalisme (CFJ et Celsa) viennent d’organiser en interne des sondages sur les intentions de vote lors de la présidentielle, dont ils ont publié les résultats sur Twitter. Dans les deux cas, près de 40% des sondés votent François Hollande, la majorité étant très largement à gauche (aucun vote à droite dans le cas du CFJ). Le décalage dans ces intentions de vote entre ces futurs journalistes et le reste de l’opinion publique française soulève-t-il des questions ?

François Ruffin : Je suggérerais aussi un autre sondage auprès des patrons de médias pour voir si, là aussi, il y a une cohérence avec le reste des Français. Je serais assez curieux de savoir pour qui voteront Vincent Bolloré, Arnaud Lagardère ou Serge Dassault… même si j’ai ma petite idée. S’il s’agit de marquer le décalage entre les intentions de vote des étudiants en journalisme, il faut aussi le faire pour le haut de la pyramide. Ce ne sont pas les petits étudiants qui sortiront de ces écoles et qui commenceront leur carrière dans la plus grande précarité qui décideront de ce que sera l’information.

Cette question doit se poser à toutes les étapes de la production de l’information. Pour qu’une information soit diffusée dans un grand journal, ce n’est pas tant le petit stagiaire en début de chaîne qui va jouer mais surtout le chef de rubrique, le chef d’édition, le rédacteur en chef, le directeur du journal… Sans que cette information soit forcément soumise à tous ces filtres, elle sera probablement guidée.

Comment les dirigeants des groupes de presse peuvent-ils vraiment influer sur le travail des journalistes, si ces derniers sont marqués à gauche ? En quoi ceux-ci peuvent-ils encore être appelés de "nouveaux chiens de garde", selon l'expression consacrée ?

Ils ont la main quotidiennement, de manière invisible. Ne serait-ce que par le choix de décider qui sera chef de locale dans un journal régional. Comment se décide les promotions ? En promouvant les journalistes les plus courageux, les plus audacieux, ceux qui vont contre l'ordre établi ? Ou se fait-elle en faisant avancer ceux qui restent dociles et servent l'ordre ? On construit une hiérarchie qui garantit la production d'une information qui ne sera pas anti-conformiste.

Ceux qui le font de manière grossière comme Serge Dassault sont dénoncés. On explique bien que c'est une attitude négative. Les moments de tension, dans les journaux, ont lieu au moment où de nouveaux actionnaires entre dans le capital. Il y a là des oppositions entre le sommet et la base. Ce sont des moments de choix : qui va diriger la rédaction ? Certains sont promus et d'autres ne le sont pas.

Vous dîtes que les journalistes sont traditionnellement à gauche mais que leurs responsables hiérarchiques se situent à droite. Est-ce à dire que les opinions politiques des journalistes évoluent dès qu'ils gravissent les échelons ?

Pour moi, le positionnement politique reste bien souvent le résultat d'une condition sociale. Aujourd'hui, l'air du temps est plus à gauche. Les journalistes en sont des indicateurs. L'air du temps a été par le passé plus libérale. Dans les années 1980, François de Closets en était l'un des porte-parole. Il aurait été intéressant de faire le même type de sondages à cette époque.

Aujourd'hui, ce libéralisme a montré ses limites et souffre. Un retour vers plus d'interrogation sur le rôle de l'Etat, sur l'interventionnisme des marchés, sur les résultats malheureux de la mondialisation, ont le vent en poupe dans le débat idéologique.

Pensez-vous qu'il y aura un jour une transformation au sein des médias lorsque ces générations de journalistes plus à gauche arriveront aux postes à responsabilité ?

Pour cela, il faudrait transformer le capital des médias. Ce n'est pas à l'ordre du jour. J'ai tendance à penser qu'une priorité serait par exemple de déprivatiser TF1. C'est la première chaîne d'information en France. Ce n'est pas normal qu'elle appartienne à des intérêts privés. Sans forcément parler de renationaliser la chaîne, on pourrait la socialiser, faire qu'il y ait une société des rédacteurs qui ait plus de pouvoir sur l'information, en lien avec des associations de téléspectateurs.

Vous évoquez TF1, mais vous oubliez que de nombreux médias ont à leur tête des patrons de gauche. Pour n'en citer qu'un : Mathieu Pigasse, qui est tout de même à la tête du Monde, du Huffington Post et des Inrockuptibles...

Vous voulez rire ? C'est un bon exemple. Lorsque l'on dirigeant au sein de la banque Lazard, au service du capital, on ne peut pas prétendre défendre les travailleurs. Il faut choisir.

Dans un duel Dominique Strauss Kahn contre Nicolas Sarkozy, DSK aurait du être le candidat de la gauche et Nicolas Sarkozy celui de la droite. C'est peut-être vrai sur certaines questions sociétales, sur l'immigration par exemple. Mais lorsqu'il s'agit de réguler les marchés, lorsqu'il s'agit de parler d'économie, les nuances sont infimes.

Alors effectivement, Mathieu Pigasse est le DSK de la presse. Ce n'est pas parce que les banquiers de chez Lazard se prétendent à gauche, refusant le lien avec Sarkozy, qu'ils le sont. C'est d'ailleurs là que Nicolas Sarkozy a réalisé quelque chose d'exceptionnel : il a tellement mobilisé contre lui qu'il suffit de ne pas être sarkozyste pour passer pour quelqu'un de gauche.

Que des étudiants en journalisme soient presque exclusivement marqués à gauche ne pose donc, selon vous, aucune question ?

Dans les années 1980, lorsque de jeunes journalistes intégraient le marché du travail, ils rejoignaient presque immédiatement les grands médias. Lorsque l’on sort de l’école et que l’on intègre immédiatement TF1, on peut se sentir appartenir à la classe dominante avec le vote qui va avec. 30 ans plus tard, ils trainent pendant des années dans des contrats précaires. Cette situation entraîne une réflexion sur le positionnement social. Aujourd’hui, on sait que l’on appartient à cette noble profession, mais on sait surtout que l’on n’en sera jamais que les soutiers.

Au-delà de ce constat, je pense qu’il y a une constante. Lorsque j’étais moi-même au CFJ en 2002, ma promotion était très marquée par le rose de Bertrand Delanoë. A mon avis, c’est lié à la sociologie des étudiants en journalisme. Ils appartiennent largement à la petite bourgeoisie intellectuelle. Leurs parents, leurs origines sociales, les amènent vers une hostilité envers Nicolas Sarkozy. Ses réformes sociales lui ont permis d’obtenir une quasi-unanimité dans le rejet que fait cette catégorie de la population.

Ce marquage dans l’opinion des futurs journalistes ne remet-il pas en question leur capacité à traiter l’information avec objectivité ?

L’objectivité, je n’y crois pas. Je crois à l’honnêteté.Il y a forcément des partis pris, des filtres, que nous avons tous à l’esprit. Ce qu’il faut, c’est prendre conscience de ces filtres. Les filtres politiques sont à la limite ceux dont on est le plus conscient puisqu’ils impliquent de faire un choix. En revanche, c’est peut-être plus difficile pour les filtres sociaux que l’on vit sans toujours y prêter attention.

Les écoles devraient-elles s’interroger sur leur manière de recruter ? Devraient-elles rechercher plus de diversité dans la constitution des opinions politiques de leurs étudiants ?

Il ne faut pas raisonner en termes d’opinions politiques : on ne peut pas demander aux candidats des écoles de journalisme pour qui ils votent. Il faudrait plus s’interroger sur le recrutement sociologique. Il faudrait voir émerger des possibilités d’intégrer cette profession sans être forcément issus de certaines classes sociales. Avec de nombreux étudiants issus de Science Po, ayant des parents dont les métiers se ressemblent, il ne peut qu’y avoir une similitude dans les regards portés sur l’actualité.

Il serait souhaitable de pouvoir intégrer une école à 35 ans par exemple, après avoir fait autre chose avant. Il faudrait voir plus de fils d’artisans, de fils d’ouvriers, sur les bancs de ces écoles. Au sein de ma propre promotion, il n’y avait pas le moindre jeune issu de ces milieux.

Les écoles ne font que s’adapter à un marché du travail et à un marché scolaire. Le marché scolaire fait que c’est un métier valorisé : les médias réclament donc des diplômes de plus en plus élevés alors que le côté pratique de ce métier ne réclame pas forcément de tels niveaux de qualification. Cela contribue à amplifier la sélection sociale.

L’homogénéité politique n’est pour moi que la traduction d’une homogénéité sociale.

Propos recueillis par Romain Mielcarek

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