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Facebook n'investit pas en France. Facebook investit la France
©Thibault Camus / POOL / AFP

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Non, contrairement à ce qu'on entend, Facebook n'investit pas en France. Mais on semble se contenter de ce flagrant mensonge.

Thomas Fauré

Thomas Fauré

Thomas Fauré est Président fondateur de Whaller et membre du bureau de l’OIP (Open Internet Project). 

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Contrairement à ce que peuvent laisser croire les pleines pages de publicités tapageuses relayées depuis quelques semaines par ceux-là même dont Facebook est en train de siphonner les revenus publicitaires, le média social n'investit pas en France. Facebook investit la France. Que peut-on lire dans cette campagne ? : "On aide ceux qui mettent autant leur tête que leur cœur dans leur projet". Oh mais comme cela est touchant ! L’accroche est signée Facebook France. Pardon ? « Facebook France » ? Ne frise-t-on pas là l'oxymore ? Les récentes nouvelles reçues par la grande majorité des médias sans aucune forme de discernement pourraient en effet incliner le gogo à croire le contraire

Un réseau philanthropique universel ?

Facebook a récemment fait savoir qu'il allait aider la France à "réduire la fracture numérique". Notre orgueil national n'a manifestement pas souffert de cette proposition humiliante. Avions-nous vraiment besoin de l'Oncle Sam pour cela ? Ainsi, dans le cadre d’un partenariat avec Pôle Emploi, Facebook a annoncé son intention de former 50 000 chômeurs d’ici fin 2019. Mais les former à quoi demanderez-vous ? Quelle question ! Au "numérique" bien sûr ! Entendez "à Facebook" ! L'entreprise californienne poursuit là patiemment son entreprise d'acculturation mondiale. L'idée qu'elle entend imprimer dans les esprits et installer dans les habitudes est assez simple : son réseau est, et ne peut être désormais que le réseau numérique universel. Oubliez ce que vous avez appris sur les bancs de l’école ou de l’université au sujet du marché et des monopoles. Là, nous sommes en présence de tout à fait autre chose : il est question de philanthropie, ça n’a rien à voir ! Le premier qui parle de concurrence déloyale, allez, de concurrence fallacieuse, qu’il aille au coin !

Rendons hommage en bon vassaux

Parallèlement, Sheryl Sandberg, la directrice des opérations de Facebook a profité du sommet de l'attractivité baptisé "Choose France" (sic, voire même hide and seek) qui se déroulait à Versailles pour faire plusieurs annonces dans le domaine de la recherche du développement. Une enveloppe de 10 millions d’euros, avec un gros nœud rose, sera consacrée à la recherche et développement dans le domaine de l’intelligence artificielle. Cela doit se traduire à court terme par une hausse des effectifs du centre de recherche « FAIR » (Facebook AI Research) le laboratoire dédié à l'intelligence artificiel de Facebook basé à Paris. « Fair ». Même les acronymes sont trompeurs. En pratique, les effectifs seront doublés afin de passer de 30 à 60 chercheurs et ingénieurs. Oh ! Des partenariats seront noués avec des universités françaises afin de financer des bourses d’études dans le domaine des mathématiques, de l’informatique, de la physique et de l’ingénierie des systèmes complexes. Champagne ! Facebook financera également 10 serveurs au profit d’instituts de recherche. Enfin, 40 doctorants seront accueillis au sein du FAIR Paris. Ah ! Des esprits moins chagrins que les nôtres pourraient sans peine rendre hommage à un tel déluge de faveurs. Fort bien. À tout seigneur, tout honneur, rendons hommage ! Mais ne nous venons pas nous plaindre demain d’être devenus des vassaux du numérique.

On ne mord pas la main qui vous nourrit

Mais ce n’est pas fini. "FAIR Paris" offrira des débouchés aux chercheurs français pour travailler sur des projets de recherche, dans le traitement automatique du langage, la reconnaissance du langage, la reconnaissance d’images ou les infrastructures logiques et physiques des systèmes avancés d’intelligence artificielle". Cela ne suffit donc pas à la firme d'avoir soustrait à notre capital intellectuel Yann Le Cun, père français du "deep learning", il faut encore qu'elle vienne superviser le fonctionnement des cerveaux français à domicile. Mais au fait, au profit de qui, exactement ? Peu importe. La voilà libre de mener son raid en toute tranquillité. Les adages populaires devraient nous inspirer plus souvent. L'un d'entre eux nous rappelle assez justement que l'"on ne mord pas la main qui vous nourrit".

En attendant que Mark Zuckerberg occupe le bureau ovale…

Tous ces moyens mis à disposition de notre pays de manière gracieuse (sic) devraient exciter un peu plus notre curiosité. Quelles raisons peuvent bien motiver ces investissements magnanimes, dont certains frisent la dotation caritative ? Il est bien évident qu'il s'agit de rompre par tous les moyens l'hexagone entier à un service, dans le but d'exclure tout recours à des solutions domestiques concurrentes. Personne de sérieux ne conteste aujourd’hui le fait que Facebook est, dans la guerre économique qui oppose l'Europe aux Etats-Unis, non seulement le bras numérique armé de Washington. Et les rumeurs vont déjà bon train sur les chances du patron de Facebook d'occuper un jour le bureau ovale. En matière d’intelligence, comme on dit dans le domaine du renseignement, quel irrattrapable dommage constituera la collusion d’une entreprise telle que facebook avec le gouvernement des Etats-Unis ! À moins que ce ne soit déjà le cas… En tout état de cause, qui, parmi les stratèges et autres experts télévisuels, pour nous avertir aujourd’hui, avec autorité, de cette formidable menace ?

Un véritable programme politique

Les moyens qu'emploie Facebook pour saturer le marché du réseau social et collaboratif doivent impérativement être mis en perspective avec les ambitions démesurées de l'entreprise américaine. Rendez-vous, par simple curiosité, sur le site de Facebook France, et vous pourrez observer que cela ressemble assez étrangement à un programme politique. Tenez-vous bien. Santa Claus n'est pas bien loin, en train de siroter une bouteille de Coca; Allez on y va, il y en aura pour tout le monde ! Facilitation de l'accessibilité des compétences numériques aux femmes, formation des journalistes, protection des adolescents, renforcement des PME, promotion d'un internet plus inclusif (what ?), facilitation de l'aide en cas de besoin, encouragement de la transparence des données (sic), création du lien avec les organisations communautaires, soutien des entreprises, rapprochement des représentants des citoyens, soutien de la communauté scientifique française, obtention de nouvelles opportunités pour les TPE-PME, aide aux personnes en situation de crise... Par malheur, et sans doute parce qu’elle se trouve en Italie, le rédacteur de ce catalogue de promesses aura oublié le redressement de la Tour de Pise…

Crise de rire à Palo Alto

Mais enfin, faut-il être assez naïf pour croire que la générosité de Facebook est complètement gratuite ? Chacun connaît l'adage "quand le produit est gratuit, c'est que c'est vous le produit". Qu'en déduire alors des intentions réelles de Facebook, au regard de cette monumentale offensive de charme ? À Palo Alto, certains doivent littéralement se tordre de rire devant la porosité du marché français, et le complaisant concours des politiques.

Une menace pour notre démocratie

Pourtant, il n'est toujours pas possible de défendre ce discours sans être suspecté par les nouveaux janissaires de la Silicon Valley d'être simplement jaloux du succès de Facebook ou irrespectueux des règles du marché. Aussi bien, puisque c'est à la fin de l'envoi que l’on touche, qu'il nous soit permis d'invoquer à ce moment de notre réflexion l'ultima ratio. Comment l’appeler ? L’éthique ? La morale ? D'anciens architectes de Facebook ont publiquement viré leur cuti et tentent désormais de sensibiliser l'opinion publique universelle aux dangers que Facebook fait peser "sur notre santé mentale, notre démocratie, nos relations sociales et nos enfants". La mise en garde est notamment signée de l'inventeur du pouce bleu, le fameux "like", Justin Rosenstein.

« Sur notre démocratie ». Comme dit la formule : « on ne pourra pas dire que l’on ne savait pas. »

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