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Inscription de la Corse dans la Constitution : le faux-semblant jeté par Emmanuel Macron aux nationalistes
©LUDOVIC MARIN / AFP

Illusion juridique

Le discours qu'Emmanuel Macron a tenu en Corse a été qualifié de "discours de vengeance" par le dirigeant corse Gilles Simeoni.

Christian  Bidégaray

Christian Bidégaray

Christian Bidégaray, professeur de Droit public et de Science politique, a effectué l’essentiel de sa carrière à l’Université de Nice où il fut successivement président de la Section de Droit public puis de Science politique. Il est le fondateur de la filière Science politique à la Faculté de Droit de Nice et fut directeur du Laboratoire LARJEPTAE (Laboratoire de recherches juridiques, économiques et politiques sur les transformations des activités de l’État) puis du Laboratoire ERMES (Équipe de Recherche sur les Mutations de l’Europe et de ses Sociétés). Il fut membre du Conseil d’administration de la Fondation nationale des sciences politiques, du Conseil national des universités(CNU – 4e section), de plusieurs jurys d’agrégation de l’enseignement supérieur en Science politique et Droit public et a siégé pendant deux mandats à la Commission des Sondages. Jusqu'en 2016, le Professeur Bidégaray Le Professeur Bidégaray dispensait également ses cours aux étudiants de l'Ecole de journalisme de Nice.

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Atlantico : Tout en rejetant la plupart des revendications des élus nationalistes corses, de la cooficialité, à la fiscalité particulière, en passant par l'amnistie ou le statut de résident, Emmanuel Macron, dans son discours du 7 février, a ouvert la possibilité d'une inscription à l'article 72, ouvrant ainsi la voie à la discussion avec les nationalistes. Faut-il y voir une habileté permettant d'éviter un affrontement politique avec les élus ?

Christian Bidégaray : En refusant de placer la Corse sous le régime de l’article 74 l’Etat se refuse à donner à la Corse le régime de spécialité législative qui permet à ces territoires de se donner des règles propres et notamment de fixer des règles qui, en métropole, relèvent normalement de la loi.

En restant dans le domaine de l’article 72, l’Etat ne cède pas aux demandes des nationalistes, il peut leur accorder une plus grande autonomie et il permet simplement d’ouvrir la voie à des adaptations dans le cadre des dispositions législatives et réglementaires de la métropole. 

A mon sens ce n’est pas une habileté mais au contraire l’affirmation que l’Etat ne cèdera pas sur les points essentiels de l’unité de la République. Les élus nationalistes ne peuvent être que déçus, (mais pouvaient-ils penser que l’Etat céderait sur ces points ?) Il s’agit plutôt d’un rapport de force. Les nationalistes ont essayé de mettre la pression  sur le Président,notamment par les manifestations en Corse mais non , le Président ne cède pas. 

Emmanuel Macron a déclaré : "Naguère, les élus Corses se seraient satisfaits d’une inscription à l’article 72. Reconnaître la singularité de la Corse dans la constitution, en raison de sa géographie, ses spécificités, j’y suis prêt. C’est pourquoi je ne souhaite pas réviser la constitution sur un concept, mais avec un objectif précis, des attentes détaillées, en regardant ce qui est nécessaire et ce qui ne l’est pas. Nous devons procéder à une analyse dans le mois qui s’ouvre afin de prendre des décisions sur l’intégration au projet de loi constitutionnel. Nous le ferons de manière apaisée. Je souhaite qu’il y ait un travail de fond qui soit mené, pour permettre à la Corse de réussir dans la République.". Quelles sont les possibilités concrètes ouvertes par l'article 72 ? Quelles sont les "avancées" que peuvent espérer les élus corses ? 

Parler de la Corse dans la constitution, pourquoi pas, mais pourquoi pas le Pays Basque ou la Bretagne ? Au reste, cette disposition risque d’être contestée lors de la révision de la constitution – si elle a lieu (or pour l’instant le Sénat (et Larcher) se fait tirer l’oreille, lui aussi négocie). Notons cependant que Macron, nous laisse dans le vague en disant  « je ne souhaite pas réviser la constitution sur un concept, mais avec un objectif précis, des attentes détaillées, en regardant ce qui est nécessaire et ce qui ne l’est pas ».

Qu’est-ce que ça veut dire ? que des dispositions plus précises sur une plus grande autonomie en faveur de la Corse seraient mise dans le projet de révision après discussions avec les intéressés (Comme pour le code du travail ?). En toute hypothèse, il a fait comprendre qu’une plus grande autonomie en matière fiscale s’accompagnerait d’une diminution des dotations de la part de l’Etat (menace voilée). 

De même en assimilant le statut de résident (privilégié) à une flambée des prix il renvoie la balle aux deux dirigeants Siméoni et Talamoni en leur rappelant qu’avec la Collectivité unique Corse ils viennent d’être dotés d’un nouveau statut, et que c’est dans ce cadre-là qu’il leur faut d’abord commencer à exercer leurs nouvelles responsabilités. Pas question de prévoir une « préférence nationale » pour les résident Corses, comme c’est le cas en Nouvelle Calédonie, qui relève d’un statut spécial fixé par le titre XIII de la constitution

Au regard des propositions faites, comment peut-on anticiper la suite des évènements ? Les propositions faites, bien qu'apparemment minimes, sont-elles suffisantes pour que les élus ne perdent pas la face auprès de leurs électeurs ? 

Je pense que les nationalistes sont très déçus et si j’ai bien compris ils ont boycotté le repas officiel. Comme ils ont abandonné (en théorie au moins) le recours à la violence, ils devront négocier pas à pas avec l’Etat pour avancer leurs pions dans le cadre du projet et des objectifs qui devront être définis lors des discussions en vue de la révision constitutionnelle.

Quelle sera l’attitude de l’opinion corse ? Déception sans doute, mais il y a divergence d’opinion entre Siméoni (plus d’autonomie) et Talamoni (indépendance à terme). Ils n’y ont pas intérêt, mais ils peuvent se diviser sur la stratégie à mener. Il me semble donc qu’on va entrer dans une période difficile où l’Etat et les nationalistes vont tenter de faire pression l’un sur l’autre. L’Etat cherchera à éviter d’enflammer le débat tout en jouant sur les sous-entendus en matière de subventions, dotations etc, et les nationalistes chercheront à obtenir le maximum de concessions en jouant du "retenez-moi ou je fais un malheur"

Cela dit cette révision, si elle se fait dans le cadre de l’article 89 C, suppose un vote conforme dans les mêmes termes par l’Assemblée nationale et le Sénat (pas de commission mixte paritaire, pas de dernier mot à l’Assemblée nationale). Ce n’est qu’après que le Président décidera de soumettre le texte au référendum (de l’article 89 ou au Congrès). Dans ce dernier cas il lui faudra obtenir alors les 3/5è des suffrages exprimés. Or aucune de ces deux conditions (vote conforme des deux assemblée, majorité des 3/5è) n’est acquise pour le moment ! Quant à recourir au référendum de l’article 11 C, c’est aventureux, d’autant que le référendum peut se retourner en un vote anti-Macron.

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