"Comment je suis devenu un infiltré"<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Faits divers
"Comment je suis devenu un infiltré"
©

Agent sous couverture

Jean-Pierre Cazé s'est infiltré sous couverture au sein des plus grands réseaux internationaux de trafic de drogue. Appliquant les méthodes de services comme le FBI, jusqu'ici inconnues en France, il a remonté avec ses équipes la filière des trafiquants, notamment au Maroc. Extraits de "Au cœur du trafic" (1/2).

Jean-Pierre Cazé

Jean-Pierre Cazé

Aujourd'hui à la retraite, le douanier Jean-Pierre Cazé prend la parole afin de raconter sa vérité sur une affaire très médiatisée.

En 1991, les hommes de Jean-Pierre Cazé sont arrêtés par la police lyonnaise, mis en examen pour trafic illicite. Après trois ans d'instruction, Jean-Pierre Cazé bénéficie pourtant d'un non-lieu. Et la loi est adaptée pour tenir compte des contraintes de l'infiltration.

Voir la bio »

À l’époque, je travaillais sans filet, c’est-à-dire sans couverture légale douanière et judiciaire. Je prenais d’énormes risques, mais ceux-ci étaient payants et les renseignements que je fournissais à mon service avaient permis à mes collègues d’intercepter plusieurs tonnes de résine de cannabis et d’autres drogues, et de procéder à l’arrestation de certains membres d’organisations appartenant à des structures internationales de trafic de stupéfiants. J’avais également utilisé ces méthodes pour infiltrer et démanteler des trafics d’armes ou bien encore pour démanteler un gang dont les activités criminelles concernaient de façon conjointe la Douane et la Police.

Mes nouvelles activités avaient fait prendre conscience au grand patron parisien, surnommé par ses troupes « le Colonel », que j’étais exposé à trop de dangers. Au cours de mes missions à l’étranger, j’aurais très bien pu être interpellé pour des faits d’espionnage ou pire encore être découvert par des trafiquants, et perdre la vie.

C’est pourquoi j’entrepris en 1989-1990 une véritable métamorphose de ma personnalité afin de protéger mes arrières dans ces missions d’infiltration. Je devais disparaître, puis renaître en véritable « agent sous couverture ou undercover », c’est-à-dire changer entièrement d’identité afin que les trafiquants ne puissent en aucun cas connaître mes véritables fonctions. Ma couverture devait être inattaquable.

La constitution de ma fausse identité de Jean-Philippe Casanove fut minutieuse. Je devais changer d’apparence, adopter une nouvelle identité, me confectionner un nouveau look tant physique que psychologique. Je m’étais laissé pousser la barbe et les cheveux et je portais désormais un petit diamant au lobe de l’oreille. En principe, je ne possédais plus d’attaches familiales. Tout mon entourage proche avait disparu. Je tenais à être seul, pour assurer ma sécurité et surtout celle de mes proches.

C’est pourquoi, lorsque je recevais un ordre pour une mission particulière, j’adoptais cette nouvelle identité et devenais en quelque sorte un électron libre en service commandé. Bien sûr, je n’étais plus fonctionnaire des Douanes. J’exerçais, pour ma couverture, une profession libérale en relation avec mes missions à venir.

Pour l’état civil je devins Jean-Philippe Casanove, né le 10 mai 1949 à Abidjan (Côte d’Ivoire), profession : transporteur, domicilié fictivement dans une rue très discrète du 7e arrondissement de Paris. Évidemment, l’appartement n’existait pas. Seule une boîte à lettres placée parmi une vingtaine d’autres et portant une étiquette à mon nouveau nom signalait que j’étais bien un des locataires.

Pour obtenir un vrai/faux passeport au nom de Casanove, j’eus à effectuer un véritable parcours du combattant. Je fus mis en relation avec un service dit « spécial » qui m’apporta tous les éléments nécessaires afin que je puisse déposer une demande de passeport. En possession de ces documents, je reçus des services du secteur préfectoral adéquat un vrai/faux document administratif d’identité. Dans le jargon du métier, j’étais neuf.

Je réalisai ensuite quelques essais aux passages de frontières terrestres et aériennes tant en France qu’à l’étranger pour tester la fiabilité du nouveau passeport. Ma « couverture » documentaire fonctionnait à merveille.

Je pouvais désormais accomplir mes missions d’infiltration sans trop de risques. Aucune interrogation de fichiers de police, de douane ou de gendarmerie, en France comme à l’étranger, n’était susceptible de découvrir mon appartenance administrative et surtout bien sûr la véritable motivation de mes déplacements.

Ces nouveaux papiers présentaient pour moi plusieurs avantages. Certes ils me permettaient de ne pas m’exposer en révélant ma véritable identité aux trafiquants, mais ils m’autorisaient également à disparaître définitivement à la fin d’une mission, alors que les trafiquants, voire parfois certains services de Police (c’est arrivé…), étaient à la recherche d’un « barbu » porteur d’une mallette ou d’un sac. Il arrivait que Jean-Philippe Casanove prît la fuite au moment de la saisie de drogue et de l’arrestation des acheteurs par la Douane. De retour dans les locaux administratifs, je me rasais la barbe, « passais » chez le coiffeur ou retirais tout simplement mon complément capillaire. Je devenais méconnaissable, donc introuvable.

__________________________________

Extraits de Au cœur du trafic, NOUVEAU MONDE (20 avril 2012)

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !