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L’homme qui avait prédit la crise de 2008 affirme que le Bitcoin est la plus grande bulle de l’histoire de l’humanité : faut-il croire Nouriel Roubini ?
©GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP

Cassandre

Selon Nouriel Roubini, dans une interview donnée à Bloomberg TV, le bitcoin serait la "plus grande bulle de l'histoire" et celle-ci serait encore plus sévère que la crise des tulipes du XVII siècle.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : Selon "l'homme qui avait prédit la crise de 2008", Nouriel Roubini, dans une interview donnée à Bloomberg TV, le bitcoin serait la "plus grande bulle de l'histoire", indiquant que celle-ci serait encore plus sévère que la crise des tulipes du XVII siècle. Après l'effondrement du bitcoin au cours de ces dernières semaines, comment analyser cette déclaration ?

Michel Ruimy :Il y a environ 380 ans, le bulbe de tulipe Semper Augustus devenait le symbole de l’une des bulles spéculatives les plus spectaculaires de l’histoire. En février 1637, son prix atteignait 10 000 florins, soit l’équivalent de 10 fois le salaire annuel d’un artisan spécialisé, de 5 hectares de terres de l’époque ou celui d’une belle demeure sur le bord d’un canal huppé d’Amsterdam. Ce fut le point culminant d’un engouement aussi brutal qu’irrationnel, qui conduisit à la ruine de spéculateurs, qui se rêvaient investisseurs avertis. Par la suite, cette « crise de la tulipe » a été associée à une augmentation démesurée puis l’effondrement des cours de l’oignon de tulipe aux Pays-Bas au milieu du XVIIèmesiècle.

Aujourd’hui, certains voient, avec les évolutions du bitcoin, une similitude avec cette « tulipomanie ». En effet, alors qu’il ne valait que quelques cents à sa création, en 2009, son prix a culminé à près de 20 000 dollars à la mi-décembre pour atteindre ces derniers temps moins de 9 000 dollars ! Et ils évoquent de plus en plus la possibilité d’un krach.

Pour autant, le bitcoin serait-il la « tulipe » de l’ère du numérique ? La bulle actuelle serait-elle plus importante que celle des tulipes ? Ou le bitcoin repartira-t-il à la hausse ? Les réponses à ces questions sont complexes.

Tout d’abord, au plan financier, si le cours du bitcoin venait à s’effondrer, il n’y aurait pas, au niveau macroéconomique, de crise systémique dans la mesure où l’Etat, dans un krach traditionnel, interviendrait pour soutenir l’activité économique. Or, ici, rien de cela car cet actif n’est émis et géré par aucune autorité. C’est une différence notable ! Le risque le plus tangible - celui de l’effondrement de la valeur des portefeuilles de monnaie électronique – est couru par les possesseurs de bitcoins. Or, cette monnaie joue parfois, en particulier en Chine, la fonction de « valeur refuge ».

En outre, la capitalisation estimée des différentes cryptomonnaies avoisinerait près de 300 milliards de dollars, bien peu comparé aux bilans des banques centrales.

Alors pourquoi tous ces tourments ? Parce que les banques centrales se préoccupent d’un risque éventuel de perte de contrôle des paiements (risques de piratage, d’escroquerie…) et parallèlement de leur capacité à surveiller les échanges mondiaux. C’est pourquoi, dans ce contexte, certaines banques centrales soutiennent des démarches de régulation avant qu’il ne soit trop tard. Pour le moment, l’encadrement des ICO (Initial Coin Offering) semble plus relever de leurs prérogatives et être à leur portée. La Chine et la Corée du Sud ont ainsi décidé de leur interdiction.

Nouriel Roubini poursuit son intervention en déclarant que la valeur fondamentale du bitcoin serait « 0 ». S’agit-il d’une provocation ou d’une réalité ?

Il faut bien distinguer les notions de « prix » et de »valeur ».

Le prix est déterminé par le marché à la suite de la confrontation de l’offre et de la demande. Tel est le cas du bitcoin. En d’autres termes, il dépend du nombre de bitcoins en circulation. Or, actuellement, il n’y en a un peu moins de 17 millions en circulation alors que la quantité maximale est fixée à 21 millions. La volatilité indéniable de son cours n’est que le reflet de la croissance du nombre d’utilisateurs (ou de spéculateurs). Plus la demande est importante par rapport à l’offre, plus les prix augmentent.

Quant au concept de « valeur », plusieurs théoriciens ont travaillé dessus. Dans une vision réductrice, je dirai simplement qu’elle peut être estimée par un calcul économique à partir des conditions et des coûts de production. Dès lors, le bitcoin n’ayant pas de matérialité, sa valeur intrinsèque serait « 0 ».

Toutefois, le « mining » des transactions et les frais de transactions prélevés par les plateformes peuvent être assimilés à des coûts de production par l’acheteur. Celui-ci pourrait alors très bien lui conférer une certaine valeur, certes évolutive, comme les coûts de production d’une matière première comme l’or, l’argent ou le diamant peuvent fluctuer au gré de la difficulté de leur extraction.

Que peut-on attendre de la suite pour le Bitcoin ? L’ascension de la cryptomonnaie observée au cours de ces derniers mois n'a-t-elle pas conduit paradoxalement à sa future extinction ?

En dépit des évolutions erratiques de ces crypto-devises, celles-ci offrent, dans leur ensemble, des perspectives intéressantes. Dans un monde où la valorisation de presque tous les actifs est gonflée par la création monétaire, les cryptomonnaies sont un développement à suivre, et pourquoi pas un pari à faire… avec modération.

Il faut bien comprendre que le bitcoin, et ses concurrentes, est le premier essai d’un concept qui peut être grandement perfectionné. Plus que ces cryptomonnaies, la technologie des chaînes de blocs (blockchains) qui les sous-tend, laisse entrevoir un mouvement de transformation historique d'un grand nombre de secteurs. Certains n’hésitent pas à comparer cette mutation à celle qui a résulté de l'avènement de l'Internet dans les années 1990.

Avec la révolution numérique, nous changeons de paradigmes. Les cryptomonnaies feront-elles partie du monde à venir ? Est-ce une alternative aux monnaies traditionnelles ? à l’or ? à l’argent ? Il est encore trop tôt pour le dire.

Il reste aux autorités monétaires à agir sur la régulation qui donnerait à ces cryptomonnaies un cadre leur permettant de concurrencer les monnaies officielles.Car ces monnaies virtuelles sont inscrites dans le paysage financier et sont là pour durer. Elles nous rappellent le début de l’internet en raison du même potentiel d’innovation.

La jeunesse sauvage du bitcoin ne doit pas nous faire perdre de vue ce qu'il pourrait devenir à terme.

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