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Réforme de la fonction publique : les faux semblants du plan présenté par le gouvernement
©Reuters

Rien de nouveau sous le soleil

Les annonces d’Édouard Philippe concernant le plan "Action publique 2022" ont été présentées comme un "big bang" de la fonction publique. C’est la version "affichage" des intentions gouvernementales. Sur le fond, l'exécutif semble bien décidé à occuper le terrain par des actions de communication qui n’emportent aucune réforme systémique de la technostructure qui forme l’État profond en France.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Il y a deux façons d’entendre la réforme de l’État.

L’une est anecdotique, considère le sujet comme un gadget ou un enjeu secondaire. Elle analyse la politique gouvernementale au prisme d’un commentaire sur l’actualité, volontiers de caractère moral: faut-il ou non croire à l’ambition de Macron et de Philippe lorsqu’ils évoquent l’action publique en 2022. 

L’autre replace le débat dans la perspective globale de l’État profond et de son évolution pour les décennies à venir. Le mandat d’Emmanuel Macron marque-t-il ou non un tournant dans la prise de possession séculaire de la société française par une technostructure ambitieuse, en expansion permanente, et volontiers monopolistique. 

Au vu des annonces faites ce jeudi matin par le Premier Ministre, force est de constater un double mouvement. D’une part, pour amuser la galerie, diverses mesures sont annoncées, destinées à nourrir l’illusion d’une réforme profonde. D’autre part, derrière les apparences, tout laisse à penser que l’expansion permanente de la sphère publique devrait continuer.

Le mandat d’Emmanuel Macron n’interrompra pas le cycle de mise sous tutelle de la société civile par la technostructure, que nous pourrions appeler l’État profond. Il le confortera.

Les vraies fausses annonces d’Édouard Philippe

Pour marquer les esprits, Édouard Philippe a annoncé un plan de départs volontaires à hauteur de 120.000 fonctionnaires. On n’en sait guère plus à ce stade, sinon qu’il devrait porter sur 50.000 départs dans le fonction publique d’État, et sur 70.000 départs dans la fonction publique territoriale. 

Immédiatement, les persifleurs rappelleront que l’article 72 de la Constitution garantit la libre administration des collectivités locales. On se demande donc comment l’État convaincra les présidents de région ou de départements, les maires, de procéder à des suppressions d’emplois. Mais supposons que, par un artifice juridico-budgétaire, le gouvernement arrive à ses fins…

Reste à savoir quelles seront les conditions financières de ces départs. Depuis 2009, l’article 64bis du statut de la fonction publique d’État garantit des maintiens de rémunération très favorables en cas de suppressions d’emplois. Ce point rappelle que supprimer des emplois n’est pas une idée neuve dans les administrations. Tout l’enjeu est de s’assurer que ces suppressions ne coûtent pas les yeux de la tête aux contribuables. 

Comme on dit souvent, le diable est dans les détails. La France compte aujourd’hui près de 5 millions de fonctionnaires. Édouard Philippe propose de dégraisser d’ici à 2022 près de 2% des effectifs, ce qui est modeste. On regardera avec attention le coût total de ce dispositif. 

Mais… faisons au gouvernement le crédit de ses intentions. On est bien d’accord pour dire que ce volume de « départs volontaires » ne modifiera pas l’épaisseur du réacteur nucléaire qui fait l’État. En attendant, au moins dans le registre symbolique, ce chiffre porte. 

Les mesures déceptives du gouvernement

Au-delà de cette baisse de 2 points du nombre de fonctionnaires (qui reste à vérifier et qui semble très en-deçà des besoins d’économie), inférieure aux 150.000 fonctionnaires supprimés par Nicolas Sarkozy sans effet notable sur la dépense publique, les annonces du gouvernement Philippe déçoivent. On en saisit mal l’ambition d’ensemble et la cohérence de la conception.

Par exemple, Philippe ressort la vieille soupe de la prime au mérite. Celle-ci est tout sauf neuve. Sa dernière expression date de la fin 2016, sous l’acronyme mystérieux de RIFSEEP, fusion des primes aux mérites éparses existant de longue dans la fonction publique. Mais les mauvaises langues rappelleront ici le décret n°45-1753 du 6 août 1945 relatif aux primes de rendement pouvant être attribuées aux fonctionnaires des finances, qui prévoyait déjà la reconnaissance du mérite. 

Il propose également d’affecter les fonctionnaires des grands corps aux missions prioritaires de l’État. À supposer que des conseillers d’État et des inspecteurs généraux des finances soient les mieux qualifiés pour « manager » l’État (ce qui, de notre point de vue, reste à prouver), on notera que cette proposition ne change rien par rapport à l’existant. D’une manière générale, les membres des grands corps font déjà leur mobilité au bout de deux ans dans des fonctions opérationnelles. 

Plus que dans tout autre sujet, le gouvernement prouve ici l’adage que beaucoup lui prêtent depuis mai 2017: il faut que tout change pour que rien ne change. Tout se passe comme si « Action Publique 2022 » était un rideau de fumées sans vision d’ampleur.

La permanence de l’État profond sous Emmanuel Macron

On peut bien sûr commenter l’actualité de façon superficielle en se gorgeant des effets d’annonce ou en constatant leur vacuité. Mais il paraît préférable ici de s’interroger sur l’impact que ce plan peut ou non avoir sur le pouvoir excessif de la technostructure en France. 

Or, une inversion systémique de la courbe exponentielle qui porte la technostructure vers une mainmise grandissante sur la société française serait passée par plusieurs mesures majeures. Elle aurait consisté à dégraisser réellement le secteur public, par exemple en supprimant le statut de la fonction publique hospitalière (soit 1 million de suppressions immédiates d’emploi). Elle aurait aussi consisté à imposer d’emblée des objectifs financiers et budgétaires aux directeurs d’administration centrale, sous peine d’être révoqué sans concession  et sans pitié. Elle aurait aussi consisté à supprimer tous les doublons fonctionnels dans les services publics (par exemple les chevauchements de mission entre collectivités et services déconcentrés de l’État). 

De toutes ces mesures, il n’est pas question. Le choix qui est fait est d’occuper le terrain de la communication pour ne pas mettre en cause les sous-jacents de l’expansion étatique. 

En ce sens, Emmanuel Macron apparaît comme un consolidateur de l’État profond, celui qui permet aux fonctionnaires de dicter les règles de fonctionnement auxquelles la société française doit se conformer chaque jour un peu plus. Macron le haut fonctionnaire ne cassera pas l’outil qui permet à ses semblables de dominer le tiers état. 

Au demeurant, il ne s’est jamais caché de son intention de poursuivre cette politique de domination. En prononçant son fameux adage « protéger et libérer », il avait déjà signé sa profession de foi. Celle-ci repose sur une prise de contrôle de la société civile par une puissance publique chargée d’un rôle protecteur, synonyme ici de castration heureuse. 

On ne tardera pas à lire sous la plume de Bruno Le Maire, dans son « Pacte », les effets toxiques de cette doctrine du « care » sur l’initiative individuelle.

Cet article a été initialement publié sur le site Décider et Entreprendre

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