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Alzheimer : les « pacemakers » pour le cerveau, un espoir... à consommer avec modération
©Pixabay

Un pas

Les études en cours sur l'utilisation du LTMX montrent des résultats encourageants. De quoi se réjouir, mais point trop.

André Nieoullon

André Nieoullon

André Nieoullon est professeur de neurosciences à l'université d'Aix-Marseille.

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​Atlantico : Une technique expérimentale serait actuellement à l'étude pour les personnes malades d'Alzheimer, en implantant des électrodes dans les zones du cerveau impliquées dans la prise de décision et la résolution de problèmes. ​(DBS : deep brain stimulation). Que peut-on attendre de l'application de cette technique d'une forme de "pacemaker du cerveau", déjà utilisée pour les personnes touchées par la maladie de Parkinson ? 

André Nieoullon : De fait, quelques essais cliniques ont débuté depuis plusieurs années, pour tenter de voir si l’utilisation des techniques de stimulation cérébrale profonde était susceptible de contribuer à l’amélioration de l’état de malades souffrant de maladie d’Alzheimer, et en particulier des troubles de la mémoire, comme cela est le cas avec beaucoup de succès dans le cadre de la maladie de Parkinson où plus de 70.000 patients dans le monde ont déjà bénéficié de ce traitement. Comme cette DBS a également montré quelques effets dans le traitement de divers troubles de l’humeur et notamment de dépressions sévères, il était légitime de s’interroger sur un possible effet dans les troubles cognitifs. Les premiers travaux datent déjà d’une dizaine d’années (2008) où, de façon fortuite, l’équipe du Professeur Lozano à Toronto a montré chez un patient traité pour des troubles du comportement alimentaire que la DBS améliorait ses performances mnésiques, alors même qu’il n’était pas atteint de troubles de la mémoire. Dès lors, une étude plus ciblée sur quelques patients atteints de forme légère de la maladie d’Alzheimer (6 malades) a montré qu’après plus d’un an de stimulation continue d’une structure cérébrale bien connue des neuropsychologues que l’on nomme le fornix et qui est en rapport avec les circuits neuronaux de la mémorisation, se traduisait par une amélioration sinon un maintien des fonctions cognitives de ces patients, en rapport avec la stimulation. D’autres travaux sont venus depuis corroborer ces résultats avec la stimulation d’autres cibles cérébrales comme le cortex entorhinal, une autre région des circuits de la mémoire, alors même que la stimulation directe de la structure centrale de la mémorisation, l’hippocampe, n’avait que peu d’effets, voire des effets négatifs. L’un des intérêts de ces travaux est aussi de montrer que c’est lorsque la stimulation cérébrale est appliquée pendant la phase d’apprentissage que les résultats sont les plus probants.

Dans ce contexte se pose naturellement la question de la transposition au plus grand nombre de cette technologie, en considérant que le caractère neurodégénératif de la maladie d’Alzheimer est extrêmement différent de celui de la maladie de Parkinson, en ce sens notamment que les lésions des patients souffrant de démences ne se limitent pas à un petit groupe de neurones comme c’est le cas dans la maladie de Parkinson. De fait, la maladie d’Alzheimer atteint de larges régions cérébrales, et si dans les phases précoces de la maladie c’est effectivement la mémoire et ses mécanismes qui sont touchés, assez rapidement c’est tout le cerveau cognitif qui est atteint. Il est dès lors quelque peu utopique d’imaginer rétablir un fonctionnement cérébral de régions déjà largement détruites. Et donc ceci explique que l’ensemble des essais cliniques qui ont été réalisés ont impliqué des patients à des stades très précoces et modérés de la maladie d’Alzheimer, au moment où ce sont préférentiellement (mais pas uniquement) les fonctions mnésiques qui sont affectées. Par conséquent, si les travaux en question constituent des pistes de recherche intéressantes, ce ne sont que des pistes de recherche et leur généralisation n’est pas envisageable, du moins en l’état de nos connaissances. Ces travaux se poursuivent néanmoins, et notamment en France où plusieurs équipes, dont une au CHU de Nice, travaillent sur cette thématique.

Comment fonctionne le dispositif ? Cette technique est-elle également testée en France ? 

La question est celle des mécanismes potentiels de l’action bénéfique de la DBS sur les fonctions cérébrales, mais aussi celle des principes de l’action de la DBS. En un mot, sans vouloir minimiser la technologie, le dispositif est assimilable à celui du pacemaker cardiaque : un générateur d’impulsions électriques est implanté sous la peau du patient de façon permanente et il est relié à des électrodes positionnées dans le cerveau dans des structures nerveuses d’intérêt ; par exemple une structure nommé noyau sous-thalamique dans le cas de la maladie de Parkinson, ou ici le fornix ou le cortex entorhinal dans le cas de la maladie d’Alzheimer. Ce sont donc par ce biais des impulsions électriques brèves et de faible intensité qui sont appliquées directement au contact des régions cérébrales dont on souhaite modifier l’activité neuronale. Ce dispositif a largement fait ses preuves et a été initialement développé en France avec un très grand succès international par le Professeur Alim-Louis Benabid à Grenoble dès la fin des années 1980, il y a donc maintenant plusieurs décennies. Cette méthode améliore de façon spectaculaire l’état de tremblement lié notamment à la maladie de Parkinson.

Quant au mécanisme d’action de cette thérapeutique, il fait référence à la notion de modulation de l’activité cérébrale, considérant que les fonctions cérébrales, et notamment celles qui permettent la réalisation des mouvements, sont sous-tendues par l’activité de réseaux nerveux qui interconnectent de très nombreux neurones. Dans le cas de la maladie d’Alzheimer nous connaissons bien moins les réseaux neuronaux impliqués dans les fonctions cognitives mais nous savons que chez les malades certaines régions cérébrales fonctionnent de façon limitée, avant d’être irrémédiablement détruites par la maladie. Dans ce contexte, de façon fort intéressante les travaux de l’équipe de Lozano et maintenant bien d’autres, montrent que le résultat de la stimulation au long cours des régions cérébrales visées par la DBS dans le cadre de la maladie d’Alzheimer se traduit par une « réactivation » de régions faiblement actives et que cette réactivation serait en rapport avec l’amélioration notée des fonctions cognitives. Et plus encore, mais cela reste controversé, il semblerait que les effets de la stimulation dans quelques rares cas puissent se traduire aussi par une sorte de restauration de la structure cellulaire de certaines régions comme l’hippocampe, qui retrouverait un volume plus important que celui noté au moment où la stimulation a été appliquée plusieurs mois auparavant. Par conséquent, des résultats très intéressants intellectuellement, certes, mais surtout là encore des pistes de recherche pour les spécialistes pour tenter de décrypter les mécanismes de la mémoire et des fonctions cognitives plus que de réelles pistes thérapeutiques, en tout cas pour le moment.

Peut-on réellement attendre des résultats importants de techniques qui ne visent qu'à traiter les symptômes de la maladie et non sa cause ? 

Votre question est pertinente et la réponse est claire, de mon point du vue. L’objectif primordial de la recherche, dans ses aspects les plus fondamentaux, est de trouver les causes de la maladie d’Alzheimer comme de toutes autres pathologies, et en particulier de l’ensemble des pathologies neurodégénératives. Nous en sommes encore très loin même si de nombreux progrès ont été accomplis dans le décryptage des mécanismes de la mort des neurones en rapport avec ces maladies. Des pistes sont explorées, montrant notamment que les choses sont sans doute encore plus complexes que nous l’avions initialement naïvement imaginé, et qu’en fait ces maladies sont multiples dans leurs causes et dans leurs mécanismes, et que le fait qu’elles puissent s’exprimer au plan clinique par un grand syndrome plus ou moins homogène, que ce soit dans le cas de la maladie d’Alzheimer ou dans celui de la maladie de Parkinson,  traduit en fait une très large hétérogénéité*. Dès lors, si cette recherche est absolument nécessaire elle s’inscrit dans une perspective à long terme, qui n’est pas compatible avec l’immédiateté des besoins de prise en charge thérapeutique des patients. Alors nous avons besoin de stratégies thérapeutiques visant les symptômes de ces maladies et la DBS entre dans ces stratégies. Et il faut alors admettre que dans le cas de la maladie d’Alzheimer où nous ne disposons pas, contrairement à la maladie de Parkinson, de médicaments symptomatiques efficaces, il est alors essentiel de réfléchir à des méthodes alternatives, telle la DBS, dont il est clair qu’elle ne représentera jamais une solution thérapeutique acceptable, parce qu’elle ne peut concerner que des patients en début de maladie avec des lésions encore localisées, et parce que sa mise en œuvre, il faut le dire, représente –au-delà de questions d’ordre éthique- un coût pour la Société encore inacceptable. 

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