Marine Le Pen détient-elle la clé de l’élection ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Marine Le Pen détient-elle la clé de l’élection ?
©

Faiseuse de Roi

Alors qu'elle pourrait arriver en troisième position à la présidentielle, la candidate du Front national assure qu'elle ne donnera pas de consigne de vote pour le second tour. Son électorat, s'il décidait de s'abstenir massivement, pourrait bien faire élire François Hollande.

Sylvain Crépon

Sylvain Crépon

Sylvain Crépon, docteur en sociologie et chercheur au laboratoire Sophiapol de l'université Paris-Ouest-Nanterre, étudie le Front national depuis le milieu des années 1990.

Auteur de plusieurs travaux de référence sur l'extrême droite, ses recherches portent également sur les minorités religieuses en France et en Europe.

Son dernier livre : Enquête au coeur du nouveau Front national (Nouveau Monde Editions, mars 2012)

Voir la bio »

Atlantico : Créditée de 16 ou 17 points dans les sondages, Marine Le Pen détient-elle les clefs d'un second tour qui verrait s'affronter François Hollande et Nicolas Sarkozy ?

Sylvain Crépon : Il faudrait pouvoir déterminer dans quelle mesure ses consignes seraient suivies d'effet si elle décidait de s'abstenir de consigne de vote, comme elle l'a annoncé. Je n'ai pas connaissance de sondages dont la question serait : « Suivrez-vous les yeux fermés les consignes de vote de votre candidat ? ».

Les primo-votants frontistes seraient 75% à se replier sur Nicolas Sarkozy en cas de second tour Sarkozy/Hollande. Est-ce que ce report massif sur Sarkozy est valable pour l'ensemble des votants de Marine Le Pen ? J'aurais tendance à dire que oui.

Mais si ses consignes sont largement suivies par son électorat, il fera défaut à Nicolas Sarkozy, puisqu'il est beaucoup plus enclin à voter à droite. A partir de là, on peut dire qu'elle détient les clefs de la victoire. Si elle fait 15% et que la moitié de son électorat s'abstient, ça fait 7% d'électeurs potentiels en moins pour Nicolas Sarkozy. Ce n'est pas rien, pour un candidat à 6 points de François Hollande...

Mon sentiment est qu'elle va faire un bon score, qu'elle sera au dessus de ce que disent les sondages. Je ne pense pas du tout qu'elle soit au second tour, mais je ne serais pas surpris qu'elle soit à 20%. Elle aurait d'autant plus d'impact : s'ils sont encore 50% à suivre ses consignes de vote, François Hollande passerait sans problème.

La présidente du Front National pourrait-elle changer d'avis et donner une consigne de vote ?

Je ne pense pas. Sauf si, coup de théâtre, Nicolas Sarkozy ouvrait des tractations et lui proposait de participer au gouvernement. Mais il ne le fera pas. Et même s'il le lui proposait, elle ne l'accepterait pas car elle est dans une logique à plus long terme.

Marine Le Pen a tout intérêt à ce que Nicolas Sarkozy perde l'élection présidentielle, de façon à pouvoir peser sur la recomposition de la droite. C'est sa stratégie.

En tapant sur Nicolas Sarkozy plus que sur François Hollande, ne s'aliène-t-elle pas une partie de son électorat dont les valeurs restent tout de même à droite ?

Non, ça ne la met pas en porte à faux vis-à-vis de son électorat. C'est ce que faisait déjà son père, qui pour des raisons idéologiques et personnelles passait son temps à taper sur Jacques Chirac.

Là, il s'agit de raisons essentiellement stratégiques et électorales, puisqu'elle sait qu'ils se disputent le même électorat. On n'est plus dans la configuration des années 80, marqué par ce gaucho-lepenisme ouvrier. Aujourd'hui, on est dans une configuration de droite où la concurrence se fait avec d'un côté Le Pen qui tape sur Sarkozy, de l'autre Sarkozy qui fait les yeux doux à l'électorat frontiste.

Sa stratégie se comprend en termes politiques. Mais concernant les valeurs, une victoire de la gauche serait autant une défaite pour Marine Le Pen que pour Nicolas Sarkozy...

En terme de valeurs oui, mais comme pour Jacques Chirac en 1981. La défaite de Valerie Giscard-d'Estaing a été le début de la carrière de Jean-Marie Le Pen. Et il ne faut pas oublier que le Front national a commencé son ascension dans les années 80, quand la gauche était au pouvoir, grâce à l'arrivée au Front national d'un électorat de droite un peu déboussolé par l'arrivée des socialistes au pouvoir. C'est peut-être ce qu'espère Marine Le Pen aujourd'hui.

Sa stratégie est de faire perdre Sarkozy puis imploser l'UMP et obliger la droite à se recomposer autour du FN. C'est utopique, car le Front national n'est pas la machine de guerre de l'UMP. Ils ont un déficit de matière grise, d'organisation, de gens compétents, de gens qui pèsent, de relais, de réseaux... ils se feront toujours manger par l'UMP.

Mais si Nicolas Sarkozy perd, on risque de voir dans les prochaines années un tas de déçus de l'UMP rallier le FN. A moyen et long terme, on verra comment l'UMP se recompose et qui prendra sa tête, mais en attendant Marine Le Pen a intérêt à ce que le parti de droite perde.

Avez vous déjà rencontré des militants près à voter François Hollande pour accélérer ce phénomène ?

Oui, ils sont assez rares, mais j'ai croisé des responsables et des militants FN qui disent ouvertement qu'ils vont voter François Hollande, autant par vengeance envers Nicolas Sarkozy que pour accélérer l'explosion de l'UMP. Mais en majorité, s'ils devaient absolument voter, les frontistes mettraient la mort dans l'âme un bulletin Sarkozy dans l'urne. C'est surtout le cas de ceux qui se présentent comme d'anciens sarkozystes, qui ont rallié le FN dans le sillage de Marine Le Pen. Ils sont moins dans la stratégie, plus dans l'affect.

Une défaite de Nicolas Sarkozy à la présidentielle pourrait-elle avoir un impact dès les législatives ?

Si la droite perd, on verra des alliances dans les prochains scrutins locaux. Je pense que le FN veut créer la zizanie à l'UMP et faire des alliances pour les prochaines municipales, les cantonales, les régionales... afin de faire élire un maximum d'élus frontistes. Cela lui permettrait de montrer le FN comme un parti ancré dans la vie politique locale, une stratégie inspirée de Mégret.

Par contre, je ne pense pas que cela arrivera dès les prochaines législatives. Si la droite perd la présidentielle, il y aura plutôt un vote de raison pour limiter le pouvoir de la gauche.

Propos recueillis par Morgan Bourven

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !