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Tueurs en série : La France en voie d’américanisation ?
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D'abord Mohamed Merah, puis le ou les tueur(s) de l'Essonne : en l'espace de quelques semaines, la France a été le théâtre de plusieurs meurtres aux modes opératoires comparables aux plus grands tueurs en série américains. Peut-on voir ces affaires comme la preuve d'une américanisation de la société française ?

Laurent Montet

Laurent Montet

Laurent Montet est criminologue spécialiste des tueurs en série. Sur cette question il a publié plusieurs ouvrages notamment Profilage (2001), Les tueurs en série (2002), Le profilage criminel (2002) et un peu plus récemment Tueurs en série, l'analyse d'un profileur français au Editions du Rocher. 

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Atlantico : Depuis le mois de novembre 2011, une série de quatre meurtres, dont le dernier s'est produit le 5 avril, a eu lieu dans le département de l'Essonne.  Le coupable serait un tueur se déplaçant à moto et tirant à bout portant sur ses victimes. Ce mode opératoire très particulier est semblable à celui que l'on voit parfois dans les séries américaines. Peut-on voir là les preuves tangibles d'une américanisation de la société française ?   

Laurent Montet : Dans cette affaire, la première chose qui attire l'attention est que le mode opératoire du tueur en série de l’Essonne est très comparable à celui de Mohamed Merah lors des fusillades de Toulouse et de Montauban. C’est le même profil de tueur missionnaire, à la différence près que Mohamed Merah avait des motivations fanatiques alors que le tueur de l’Essonne semble répondre à des caractéristiques plus "classiques". On n'avait plus vu ce type de meurtre depuis les années 80/90, avec notamment Marcel Barbeault qui s’attaquait à des cibles très diverses, sans apparent lien entre elles.

Plus précisément, il est vrai que le retour de ce type d’affaire révèle une américanisation de la société française. Personne ne niera que nous vivons dans une société de consommation marquée par un individualisme fort, dans le sens où les gens se côtoient sans vraiment se connaître, et une diminution notable des valeurs. Ces arguments permettent – en termes de sociologie criminelle – de faire un rapprochement entre la société française et la société américaine.  Bien entendu le parallèle n’est pas parfait mais oui, il n'est pas déplacé de parler d'une américanisation de la société, dans la mesure où ces deux sociétés sont des sociétés de consommation. 

Après tout, comme on le dit souvent, on a les tueurs en série que l'on mérite ! Dans une étude américaine publiée par le sociologue du crime Henri Jenkins  considéré comme le spécialiste américain des meurtres en série  on estime que le tueur en série est en quelque sorte un baromètre de la perversion d’une société. Plus elle est pervertie, plus le tueur se complaît à y vivre. 

Il faut comprendre que c’est un personnage qui n’a aucune compassion pour ses victimes. En général, il est froid, organisé et son acte lui semble fondé simplement parce qu’il chosifie sa victime.  Or, cette chosification est l’un des aspects de la société de consommation où il est plus important de posséder que d’apprécier. Voyez par exemple la chosification de la femme qui est récurrente et contre laquelle tout le monde s'élève.

D’autre part, le tueur en série, dans tout ce qu'il a d'hollywoodien, sélectionne minutieusement sa proie. En général, il arrête son choix sur celle qui répond à ses fantasmes sexuels –  ils sont très rarement gérontophiles – et en ce sens c’est un peu la loterie. Autre caractéristique, il n’a pas le profil du tueur de masse, en effet entre chaque meurtre il y a une période d’accalmie. C'est un point de vue sériel, mais plutôt dans le sens de la série télévisée.

On pense notamment aux séries américaines qui cartonnent tels que Les experts, NCIS, Lie to Me, Mentalist et qui nous indiquent  que pour ces tueurs en séries – à l’image du programme télévisé – chaque nouveau meurtre fait l’objet d’un épisode. Là encore, on décèle les indices de l’américanisation de notre société.

Avant, les meurtres, très médiatisés, de redoutables tueurs en séries tels que Guy Georges, Emile Louis ou Michel Fourniret, étaient surtout des affaires à caractère sexuel. Aujourd’hui, on passe sur des meurtres foudroyants à l’arme à feu, doit-on y voir une évolution ?

Ce n’est pas une évolution. Ce sont tout simplement deux modes opératoires différents. Les meurtres en série commis à l'arme à feu ne sont pas nouveaux : prenez l’exemple d’Alain Lamar, gendarme dans les années 80 qui enquêtait sur ses propres crimes réalisés avec son arme à feu,  Marcel Barbeault se servait de son arme comme Mohamed Merah et ils n’ont aucune motivation sexuelle. Ce qui les meut c’est le pouvoir, le contrôle, le retentissement médiatique, parce qu'ils nourrissent son narcissisme. Ce personnage est une catégorie intermédiaire entre le tueur sexuel et celle du tueur à gage ou le terroriste pur qui organisent et planifient leurs meurtres.

Dans le cas de l’Essonne, il reste encore à prouver que le tueur est réellement un tueur en série. En effet, plusieurs hypothèses sont examinées par les enquêteurs :

  • Dans un premier temps, l’ex-amant de la première victime est arrêté, avoue (même s’il faut nuancer ses propos puisque il est mythomane) et de sa prison, a recours à un complice pour faire diversion et faire croire à un tueur en série.
  • Il se peut aussi que l’ex-amant n’ait rien à voir avec l’affaire et ait été desservit par sa pathologie. Cela signifie que dehors sévit un vrai tueur en série.
  • La dernière version, est que l’ex-amant aurait réellement tué sa femme mais aurait demandé à un tiers d’éliminer celui qui a tué la deuxième victime dans le même lieu. Après avoir remplit sa mission, le commandité se complairait dans son acte et peinerait à s’arrêter.Dans les hypothèses deux et trois, on retrouve un profil du type de Mohamed Merah. Ce sentiment pourrait est renforcé par la proximité temporelle entre les deux affaires et pourrait nous laisser penser que le tueur en question serait en train de s’identifier à son prédécesseur. Tout comme certains jeunes se sont inspirés du film Scream  pour mettre en scène leurs crimes. Dans le cas du tueur de l’Essonne, il n’est pas déplacé d’imaginer qu'il tire des leçons de l’affaire Merah pour améliorer son mode opératoire.

Est-ce fréquent que deux affaires concernant le même type de tueurs en série se succèdent aussi vite ?

Il est assez rare que des affaires mettant en scène des tueurs missionnaires se déroulent à intervalles aussi rapprochées.  Le piège, c’est que les médias soient tentés de les rapprocher, surtout les médias d’information continue, qui sont soumis à des contraintes de temps et qui de ce fait procèdent à des raccourcis malheureux.  D'ailleurs ces erreurs participent de la perversion de la société.

Avant de s'avancer, il fait être à l'écoute des enquêteurs, des médecins légistes, et des avocats qui acceptent de partager leurs sources, car pour qualifier un phénomène de tueur en série il faut avoir des preuves solides. Dans le cas du tueur de l’Essonne je suis resté prudent en donnant trois hypothèses, cependant, ma préférence, ou plutôt mon ressentit irait vers la troisième hypothèse c'est-à-dire celle de l’homme qui a mis un doigt dans l’engrenage et qui a pris goût à l’affaire.

Propos recueillis par Priscilla Romain 

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