Mais qui se cachait réellement derrière l'homme au masque de fer ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Histoire
Mais qui se cachait réellement derrière l'homme au masque de fer ?
©public domain

Bonnes feuilles

Sur plus de vingt siècles de notre passé national, vingt récits, par les meilleurs spécialistes, dévoilant ou expliquant des épisodes souvent évoqués et pourtant demeurés mystérieux. Extrait de "Les énigmes de France", ouvrage collectif (cet extrait est signé Jean-Christian Petitfils), publié aux Editions Perrin et Le Figaro Histoire. (1/2)

Jean-Christian Petitfils

Jean-Christian Petitfils

Jean-Christian Petitfils est Historien et écrivain. Il est notamment auteur d’une vie de Jésus (Fayard) et d’un Dictionnaire amoureux de Jésus (Plon), il vient de publier Le Saint-Suaire de Turin, témoin de la Passion de Jésus-Christ (Tallandier).

Voir la bio »

L’enquête historique commence au donjon de Pignerol, dont Bénigne de Saint-Mars a été gouverneur de 1664 à 1681. Il est établi, grâce au registre de Du Junca, que l’homme masqué était un « ancien prisonnier » de cette geôle. Or, le gouverneur, nous le savons par sa correspondance avec son ministre de tutelle, le marquis de Louvois, conservée aux Archives nationales et au Service historique de la Défense, avait eu sous sa responsabilité un nombre parfaitement connu de pensionnaires. Outre Fouquet, mort le 23 mars 1680, et Lauzun, libéré en avril 1681, résidaient au donjon des individus de moindre renom  : un domestique Eustache Danger, un moine jacobin (c’est-à-dire dominicain) surnommé Lapierre (car il cherchait la pierre philosophale), un agent double Dubreuil, un ancien conseiller du duc de Mantoue Ercole Antonio Matthioli et un valet de prison La Rivière. L’un d’eux est nécessairement l’homme que nous recherchons.

Les ordonnances de remboursement des frais, périodiquement émises par le geôlier, sont claires sur ce point et confirment que l’énigme se circonscrit à ces six candidats. Il n’y a aucune place pour un personnage clandestin, secrètement gardé et magnifiquement traité. Tant pis si les amateurs de merveilleux sont déçus : le célèbre prisonnier n’était certainement pas un homme de très haute condition sociale, ni un prince du sang, ni un duc et pair, ni un maréchal de France, ni même un gentilhomme de vieille roche, pour qui on aurait eu quelque considération. On tombe de haut évidemment! Et c’est bien là une partie du problème qu’il faut résoudre…

Pis encore, cet obscur personnage fut toujours traité comme le gibier ordinaire des prisons, petits espions, agents doubles, empoisonneurs ou mythomanes, qu’on s’interdisait de tuer pour des raisons religieuses, mais qu’on enfouissait à tout jamais dans un cul-de-basse-fosse sans interrogatoire ni procès. Sa pension était celle d’un homme du commun. Pour sa nourriture, le trésorier de l’Extraordinaire des guerres, dont relevait le donjon de Pignerol, ne payait que 5 livres 10 sols par jour, soit 165  livres par mois. En comparaison, on notera que le fonds constitué pour l’entretien mensuel de Fouquet et de Lauzun s’élevait respectivement à 500 et 600 livres. En 1687, lors de son transfèrement à l’île Sainte-Marguerite, le gouverneur vendit ses effets : « Le lit de mon prisonnier, écrivait-il à Louvois, était si vieux et rompu que tout ce dont il se servait, tant linge de table que meubles qu’il ne valait pas la peine d’apporter ici, l’on n’en a eu que treize écus. » Treize écus, c’est-à-dire 39  livres. Avec pareille somme, pas question d’avoir de beaux meubles ni une luxueuse garde-robe comme Fouquet ou Lauzun! Un châssis de bois pour sommier, une couche et de simples nippes. « Il faut, avait prescrit Louvois en décembre 1681, que les habits durent trois ou quatre ans à ces sortes de gens-là. »

Matthioli ?

L’analyse de la correspondance ministérielle, dont les historiens ont pris progressivement connaissance au cours du xixe  siècle, nous livre une autre certitude : l’homme au Masque, contrairement à ce que pensaient encore les historiens Marius Topin en 1869 et Frantz Funck-Brentano en 1894, ne fut pas l’Italien Matthioli, cet agent du duc de Mantoue qui avait trahi la confiance de Louis XIV en révélant aux cours européennes des négociations secrètes touchant la cession de la place de Casal, sur le Pô. Il est établi aujourd’hui que cet individu resta à Pignerol en 1681, lorsque Saint-Mars prit le gouvernement du fort d’Exilles, emmenant avec lui deux mystérieux prisonniers « de conséquence » dont le futur homme masqué Certes, c’est bien le nom de cet agent mantouan, légè- rement déformé en « Marchioly » par le curé de SaintPaul, l’abbé Gilles Lesourd, qui figure sur le registre des actes de décès, mais, à cette époque, on enterrait systématiquement les prisonniers d’Etat sous des noms d’emprunt  : décédé en octobre 1701, François Esliard, jardinier de Coutances, surpris alors qu’il affichait aux portes de Notre-Dame des placards traitant le roi de tyran, fut inscrit à Saint-Paul sous le nom de Pierre Navet (pour un jardinier, quel humour!), « n’étant pas à propos de dire son nom, note Du Junca, étant cru criminel d’Etat ». En juin 1702, Dupressoir-Louvard, accusé de sodomie, se trancha la gorge : il fut inhumé sous le nom de Pierre Massuque. En mars 1704, le faux-monnayeur Vinacchio dit Vinache fut porté en terre sous le nom d’Etienne Durand… Tous ces malheureux étaient des hommes de mince importance. On peut penser à plus forte raison que le « prisonnier dont le nom ne se dit pas » dut être déclaré sous une fausse identité. Saint-Mars choisit intentionnellement celle de son ancien voisin de cellule à Pignerol, avec lequel la rumeur commençait à le confondre. Celui-ci, en réalité, était mort en avril 1694, à son arrivée à Sainte-Marguerite, lors de l’évacuation des derniers prisonniers de la place forte alpine, menacée par les armées du duc de Savoie.

« Le nommé Eustache Danger »

L’identité du héros involontaire de ce drame n’est plus aujourd’hui un mystère : il s’agit d’Eustache Danger. La lecture en continu de la correspondance ministérielle le démontre avec une concordance rigoureuse et impressionnante. Dubreuil, resté à Pignerol, fut libéré en 1684, La Rivière, ancien valet de Fouquet, mourut d’hydropisie à Exilles en 1686 après avoir fait son testament, et le moine jacobin Lapierre, devenu fou, décéda à Pignerol en 1693.

C’était assurément un personnage de piètre envergure qu’Eustache Danger, valet de son état, arrêté à Calais à la fin de juillet 1669 par le major de la citadelle de Dunkerque, Alexandre de Vauroy, et conduit par petites étapes dans la forteresse piémontaise, avec une simple escorte de trois archers (100 mousquetaires et leur chef d’Artagnan avaient été mobilisés pour convoyer Fouquet en 1664 et Lauzun en 1671). Un homme de modeste origine, mais qui connaissait un secret d’Etat. La lettre de Louvois annonçant sa prochaine arrivée à Pignerol insistait sur ce point : « Il faudra que vous portiez vous-même à ce misérable, une fois le jour, de quoi vivre toute la journée et que vous n’écoutiez jamais, sous quelque prétexte que ce puisse être, ce qu’il voudra vous dire, le menaçant toujours de le faire mourir s’il vous ouvre jamais la bouche pour vous parler d’autre chose que de ses nécessités. […] Vous ferez préparer les meubles de celui que l’on vous amènera, observant que, comme ce n’est qu’un valet, il ne lui en faut pas de bien considérables. »

Le temps passant, l’importance du secret parut diminuer. En 1675, à la mort d’un des deux domestiques de Fouquet, Saint-Mars expliqua à Louvois qu’il ne parvenait pas à en recruter de nouveaux, personne ne voulant s’enfermer à vie, pas même « pour un million ». L’autre serviteur, La Rivière, étant constamment malade, il proposa donc la candidature d’Eustache, ancien domestique lui-même. Après avoir été bien chapitré, faisait-il valoir, ce doux et pieux cénobite, « résigné à la volonté du roi et de Dieu », se garderait de dire « d’où il sort ». Or, fait extraordinaire, Louis XIV, qui avait exigé jusque-là des précautions inouïes pour qu’on n’entendît point le mystérieux captif, faisant aménager à dessein un cachot hermétique, accéda sans objection à cette singulière proposition. Il fut cependant précisé que Danger ne servirait qu’à Fouquet et seulement en cas de nécessité. De cela, on peut logiquement déduire que certaines révélations tiraient moins à conséquence si elles étaient faites à un condamné à la prison perpétuelle qu’à Lauzun, promis un jour à la libération.

Extrait de "Les énigmes de France", ouvrage collectif (cet extrait est signé Jean-Christian Petitfils), publié aux Editions Perrin et Le Figaro Histoire.

"Les énigmes de j'histoire de France" sous la direction de Jean-Christian Petitfils

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !