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Ce tiers-monde qui se cache sous nos yeux : l’extrême pauvreté existe aussi en Europe
©KENZO TRIBOUILLARD / AFP

Misère

Dans une tribune publiée par le New York Times, le prix Nobel Angus Deaton a dévoilé l'intensité de la pauvreté "profonde" aux Etats Unis, qu'il estime à 5,3 millions de personnes. L'Union européenne compte, elle, 6,77 millions de personnes en situation de pauvreté absolue.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Atlantico : Dans une tribune publiée par le New York Times, le prix Nobel Angus Deaton a pu dévoiler l'intensité de la pauvreté "profonde" aux Etats Unis, estimant la barrière de 4$ par jour comme étant le seuil d'une pauvreté « absolue », pouvant être comparée aux situations vécues dans les pays les plus pauvres de la planète. Selon les chiffres dévoilés, les Etats Unis comptent 5.3 millions de personnes en deça de ce seuil. Contrairement à certaines idées reçues, l'Union européenne compte pour sa part 6.7 millions de personnes dans cette même situation de pauvreté absolue, et dont les taux les plus élevés se trouvent en Grèce, en Espagne, ou en Italie. N'assiste-t-on pas à une forme de déni de la situation européenne dans le discours actuel de « l'Europe est de retour » ? N'y a-t-il pas une forme de déni sur la réalité de l'intensité de la pauvreté qui peut exister au sein de l'Union ?  Comment se construit cette géographie de la pauvreté "absolue" européenne ?

Nicolas Goetzmann : Un exemple pour commencer. En 2008, 11.2% des Grecs étaient dans une situation de privation matérielle sévère contre 32.7% des Roumains. En 2016, 22.4% des Grecs étaient dans cette situation, contre 23.8% des Roumains, selon les chiffres d’Eurostat  (ce qui donne une assez bonne idée de la performance de la zone euro en termes de gestion de crise).

Angus Deaton et Anne Case ont identifiéune hausse de mortalité des populations blanches ayant un faible niveau d’éducation aux Etats Unis, pour des causes allant du suicide, à l’overdose ou à l’alcoolisme. Cela aurait dû permettre une prise de conscience de la part des pouvoirs publics. Celle-ci a bien eu lieu dans les médias, certains d’entre eux en réalité, et dans les discours, mais non dans les actes. Ce que cherche à montrer Deaton, c’est que contrairement aux croyances  des uns ou des autres, il n’est pas forcément plus facile d’être pauvre dans un pays pauvre que d’être pauvre dans une « démocratie libérale ». Au-delà des prix pratiqués pour se loger, c’est tout un système de solidarité qui est affaibli dans nos sociétés, que celles-ci soit familiales ou locales. Mais pour en rester aux simples considérations monétaires, les calculs réalisés par l’économiste Robert Allen permettent de placer le curseur de la pauvreté absolue au sein de nos sociétés, soit 4$ par jour. Et effectivement, 6.7 millions de citoyens de l’Union européenne se trouvent en dessous de ce seuil, contre 5.3 millions aux Etats Unis. Les reportages montrant du doigt l’indignité de la situation de précarité de certaines populations américaines devraient également se concentrer sur ce qui se passe chez nous. Lorsque les dirigeants européens font de grands discours sur un fédéralisme européen, ils doivent se rendre compte que l’Union européenne, lorsqu’elle est considérée dans sa dimension globale, est fortement touchée par la pauvreté,  tout en étant encore plus inégale que la société américaine.En raison des très larges divergences de niveaux de vie entre les nations qui la composent, mais également au sein même de ces nations.

La géographie de la pauvreté européenne n’est pas mystérieuse, les pays du sud y sont surreprésentés, de la Grèce au mezzogiorno italien, le sud de l’Espagne, ou encore l’ensemble de l’est européen (avec une différence notable que l’est de l’Europe a vu sa situation s’améliorer à l’inverse du sud), comme le montre la carte du PIB réalisée par Eurostat :

Pour autant, la situation européenne peut-elle se comparer à celle des Etats Unis, ou, comme l'indique Angus Deaton, certaines zones comme le delta du Mississipi sont confrontés à une espérance de vie inférieure à celle du Bengladesh ?

Ce qui ravage les Etats Unis depuis ces dernières années, c’est la crise des opioïdes qui a tué 63 600 personnes en 2016, une hausse de 21% par rapport à l’année 2015. Suicides, alcools, drogues, ce trio qui est à l’origine de la baisse de l’espérance de vie aux Etats Unis sur les deux dernières années et a été qualifié de « deaths by despair » (morts par désespoir) par Angus Deaton et Anne Case. L’Europe se sent peut être à l’abri d’une crise qui trouve notamment son origine dans la sur-prescription de l’Oxycontin aux Etats Unis, mais le fait est que l’espérance de vie a baissé au sein de l’Union européenne entre 2014 et 2015 (Eurostat). Passant de 83.6 ans à 83.3 ans entre les deux années. Et ce, sans que les causes n’aient pu être identifiées (la grippe et la canicule ont été des causes suggérées pour la France, mais l’échelle européenne n’a pas été analysée). Il s’agit d’une première depuis 2002, c’est-à-dire depuis que ces données sont collectées à l’échelle de l’Union. Il convient de rester vigilant sur la situation et ne pas se fier à l’idée que l’Europe serait immunisée. Parce que le retour de la croissance en Europe ne pourra avoir des effets sur la situation que sur le long terme, les inégalités conduisant à une captation massive des gains de la croissance par les plus aisés, dans un système économique européen qui a fait si peu corriger ses erreurs. Le temps d’une prise de conscience par les dirigeants n’est pas encore venu, les politiques mises en place l’attestent.

Ces phénomènes sont-ils nouveaux pour les pays industrialisés ? S'agit-il d'un retournement de tendance ? 

Ce qui est nouveau, aux Etats Unis, comme en Europe, c’est une inversion de tendance. Baisse des revenus globaux (la Grèce a vu son PIB chuter de 25% depuis 2008, le PIB par habitant a baissé en Italie sur une période de près de 20 ans, etc..), progression des inégalités qui conduisent à masquer l’évidence d’une croissance qui n’existe plus pour une large part de la population, hausse de la mortalité pour des personnes d’âge moyen aux Etats Unis. Il s’agit donc d’un choc inédit pour les sociétés occidentales, et qui coïncide avec l’irruption des différents votes populistes. Ce constat, bien qu’encore inachevé, commence à être diffusé, mais il n’est pas encore parvenu à monter au cerveau des dirigeants. On le voit assez bien en France, ou les questions de pauvreté et d’inégalités sont balayées d’un revers de main, alors que la rhétorique reaganienne des premiers de cordée continue de prospérer.

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