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Décisions politiques et nouveau monde : l’éphémère règne de l’horizontalité
©Reuters

Des rapports d’autorité

Un vent de libération souffle sur nos institutions. Se répand l’idée selon laquelle il faudrait tout réinventer. Nos modèles hérités du passé sont ainsi remis en cause. Accusée d’être injuste ou inefficace, la notion même d’autorité ne passe plus. L’intention est louable, encore faut-il en mesurer les conséquences.

Thomas Fauré

Thomas Fauré

Thomas Fauré est Président fondateur de Whaller et membre du bureau de l’OIP (Open Internet Project). 

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Ainsi, nos concitoyens réclament des chefs mais les conspuent dès qu'ils font preuve d'autorité. Le président de la République a, par exemple, suscité de vives et nombreuses réactions en soulignant explicitement devant ses troupes qu'il en était le chef. N’était-ce pas pourtant l'évidence même ? Autre exemple, bien qu’elles figurent dans l’arsenal des outils démocratiques, le recours aux ordonnances pour réformer le Code du travail a été présenté par certains comme un coup d’Etat législatif. Sur la question de Notre-Dame des Landes, peu importe finalement la nature de la décision qui a été prise. Il y avait sans doute autant d’arguments pour que contre. Mais il manquait quelqu’un qui fut véritablement capable de trancher. Un Etat fort n’est pas un Etat autoritaire. La verticalité serait-elle condamnée à n’être qu’un vestige de l’ancien monde ?

Même constat dans les entreprises où la pensée horizontale s’impose chaque jour davantage avec le grand dessein de tout y "ré-inventer". En cuisine, on dirait qu'elle "revisite" les modes de management. Fi donc des organigrammes et de la hiérarchie. Libérez-donc cela ! Il nous faut de l'agilité en cascade, de la disruption en masse et de l'innovation en barre. L'heure est au grand décloisonnement des silos. Chacun doit pouvoir dire son mot sur tout, à commencer par les sujets dont il n'a aucune connaissance. Peu importe à quoi ressemble une décision si elle a vu le jour de façon "collégiale". Les projets ne se conçoivent plus sans être collaboratifs. Les chefs ne pourraient plus décider seuls et bien. Mais s'est-on jamais demandé si ces derniers n'étaient pas, précisément, un peu trop nombreux ? Qui prendra le risque impopulaire de dénoncer un "middle-management" devenu pléthorique et souvent aussi inutile qu'irresponsable ? L’autorité n’est pas faite pour être diluée et dépourvue du charisme propre à la faire entendre. Elle l’est d’autant moins en situation de crise. Et dans l’affaire des laits contaminés commercialisés par Lactalis, on peine à trouver un chef qui soit capable d’assumer ce qui s’est exactement produit, et d’en répondre devant tous.

De leur côté, les tablettes numériques ont envahi les salles de classe. Faute d'avoir pu asseoir leur autorité ou intéressé durablement leurs élèves, les professeurs trouvent dans ces nouvelles technologies digitales une parade. Le savoir universel désormais disponible sur Internet dispense les élèves de toute forme de mémorisation, les rendant tributaires de cette prothèse cognitive permanente. Le "maître" d'école (rare curiosité lexicale où le terme "maître" n'ait pas encore été disqualifié) n'est, peu ou prou, plus considéré comme le vecteur privilégié et incarné d'une connaissance dont il détient la capacité de transmettre l'héritage. Si la toile a nivelé les relations en plaçant toute forme d'autorité ou de savoir à la même enseigne, il ne faut pas remettre en cause pour autant le sain ordonnancement du monde. Le piège serait de nous conformer à cet outil en renonçant à en conserver la maîtrise.

Hélas, la famille et les cercles privés n'échappent pas non plus à cette révolution du « tout horizontal ». Ceux que nous appelions jadis avec respect « nos anciens » sont devenus soudainement vieux et hors-jeu. Ils sont déconnectés de la vie, puisqu'incapables de surfer correctement sur un smartphone. La vie digitale surpasserait-elle la vie réelle ? Pourtant, à bien y réfléchir, quelle culture parcellaire, superficielle et anonyme peut prétendre rivaliser avec les trésors d’expérience et de sagesse humaine ? La société verticale qu’a toujours été la famille a cédé sous les coups de butoir d’un besoin anarchique d’expression individuelle. Dont acte. Mais qu’en attendre pour les générations à venir ?

Aucune institution, pas même la famille, ne doit être confondue avec la manière dont elle est incarnée. Ce sont souvent les hommes qu'il faut changer et non les instruments que l’on dépose en leurs mains. Les réseaux sociaux ne font pas exception à la règle. La réalité commence d’ailleurs à éclater au grand jour. Déconnectés de cette réalité, ces réseaux où l’on compte ses amis par milliers tout en étant souvent seuls à vivre ses joies et affronter ses peines, sont aujourd’hui accusés par leurs propres architectes de déchirer le tissu social. Il faut sans doute noter sur ce sujet le pont d’or que nos pouvoirs publics font, sous prétexte d’investissements, à des entreprises comme Facebook ou Google, auxquels ils reprochent dans le même temps de ne pas payer leurs impôts. Le Commissaire européen à la concurrence, Margrethe Vestager, les soupçonne même de représenter des menaces pour nos principes démocratiques. Mais le grand mérite de ces entreprises américaines, n’est-ce pas d’entretenir le bon peuple dans l’illusion que le pouvoir lui a été distribué comme des petits pains ?

Notre aspiration à la liberté croît avoir été satisfaite dans l’aplanissement des rapports d’autorité. Sommes-nous plus heureux pour autant ? Rien n’est moins sûr. Plus personne ne veut obéir depuis que nous avons oublié qu’obéir, c’était étymologiquement écouter. Aussi, ayons l’honnêteté de reconnaître que nous sommes organiquement tributaires les uns des autres, dans un rapport vertical. Au lieu de distribuer des hochets conceptuels, retrouvons ensemble la volonté tellement humaine de transmettre, de faire grandir, et l’humilité de recevoir, tant de ceux qui nous précèdent que de ceux qui nous dépassent.

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