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Pourquoi l’égalité femmes hommes ne gagnera rien aux excès idéologiques (et politiques) actuels
©Pixabay

Société

La réforme du congé parental engagé lors du quinquennat précédent, au nom de l'égalité des sexes, a eu pour effet de voir une forte chute du recours à cette prestation, puisque les hommes n'ont représenté que 4.4% des demandeurs.​ Et ce, dans le contexte actuel du plan d'action contre les inégalités salariales hommes femmes.

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne est professeur de philosophie.

A 48 ans, il est actuellement membre du Conseil d’analyse de la société et chargé de cours à l’université Paris IV et a récemment publié Le deuxième
humanisme – Introduction à la pensée de Luc Ferry
(Germina, 2010). Il est également l’auteur, avec Pierre-Henri Tavoillot, de Philosophie des âges de la vie (Grasset, 2007).

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Chantal Delsol

Chantal Delsol

Chantal Delsol est journaliste, philosophe,  écrivain, et historienne des idées politiques.

 

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La réforme du congé parental engagé lors du quinquennat précédent, au nom de l'égalité des sexes, a eu pour effet de voir une forte chute du recours à cette prestation, puisque les hommes n'ont représenté que 4.4% des demandeurs.​ Et ce, dans le contexte actuel du plan d'action contre les inégalités salariales hommes femmes. Comment expliquer l'actuelle volonté des gouvernements successifs de vouloir répondre à ces problématiques en calquant une vision du monde reposant intégralement sur les constructions sociales, plutôt que sur des facteurs qui pourraient également être biologiques, et liés au sexe, et pouvant expliquer les choix réalisés par les uns ou les autres ? 

Chantal Delsol : On ne pourra pas établir la société sur des constructions artificielles, dictées par la volonté d’égalité, même si dans certains cas cette volonté est tout à fait louable. Il y a une part de nous qui résiste à la rationalité idéologique à laquelle on voudrait nous réduire. Nous sommes plus complexe que ces constructions. Il faut dire qu’il était assez grotesque de s’imaginer que les hommes et les femmes allaient partager le congé parental équitablement sur simple rédaction d’une loi ! Il n’y a pas que des fonctions, il y a aussi des rôles parce que nous sommes biologiquement et psychologiquement différents. La rationalité égalitaire n’en tient pas compte. Mais il faut aussi penser à la difficulté qu’ont encore les hommes à se vouer à certaines tâches familiales et ménagères, et à sacrifier une partie de leur vie professionnelle à la famille. Ils héritent d’une culture millénaire, que l’on ne peut rayer d’un trait de plume. C’est pourquoi les répartitions professionnelles que vous citez au Danemark, ne m’étonnent pas. Si je ne me trompe, c’est la même chose en Norvège. Le fait que les femmes portent les enfants les prédispose sans doute à des caractéristiques spécifiques. Mais aussi, la culture héritée joue encore un grand rôle, même à l’insu des acteurs. 

Eric Deschavanne : Les gouvernements successifs sont sous l’influence d’une idéologie qui domine l’espace public depuis deux décennies, un féminisme idéologique que l’on peut caractériser par trois traits fondamentaux : le constructivisme, l’égalitarisme et le jacobinisme.

1) Le constructivisme se fonde sur la foi en la toute-puissance de la liberté humaine. Ce que l’histoire à fait, nous pouvons le défaire : du passé faisons table rase ! Nous sommes des héritiers de la Révolution française, il n’est donc pas surprenant que cette vision des choses soit particulièrement vigoureuse chez nous.

Le constructivisme comprend selon moi une idée juste et une idée fausse. Philosophiquement, un humanisme républicain et libéral ne peut se passer de l’idée selon laquelle l’histoire n’est pas notre code, comme disait le révolutionnaire Rabaut Saint-Etienne. Cette conception de la liberté humaine s’applique aussi à la nature : « il n’y a pas de nature humaine » écrivait Sartre dont, rappelons-le, Simone de Beauvoir fut la première disciple (même si l’on ne peut la réduire à ce statut, bien entendu). L’idée n’est pas absurde si on l’interprète simplement comme la récusation du déterminisme en général, et l’affirmation concomitante de la capacité d’autodétermination des hommes.

L’idée fausse des théories de la « construction sociale » réside dans l’affirmation non démontrée (et non démontrable) du primat du culturel sur le naturel en matière de déterminisme. L’idée selon laquelle « rien n’est inné, tout est acquis » est absurde. En outre, ce que ne voient pas les adeptes de la « construction sociale », c’est que la nature du déterminisme (naturel ou historico-culturel) ne change rien à la question de la liberté humaine. Sur le plan théorique, le problème est de savoir comment on articule le déterminisme (historique ou naturel) et l’affirmation de la liberté humaine (donc du pouvoir de faire l’histoire).

2) L’égalitarisme, fondé sur la foi en la toute-puissance de la liberté humaine (en la capacité révolutionnaire de l’homme), consiste à penser qu’il est possible, en dépit de tous les déterminismes, de réduire l’inégalité à néant en réalisant une égalité de résultats. Le féminisme contemporain est à cet égard le digne successeur du communisme d’hier. Rien ne doit plus différencier la condition des femmes de celle des hommes : tant que cet objectif ne sera pas atteint (et il ne le sera probablement jamais), il y aura donc des « combats » et des « luttes » à mener pour les féministes. L’investissement est donc rentable d’un point de vue politique, la passion égalitaire étant un bon filon électoral.

3) Le jacobinisme se déduit du constructivisme et de l’égalitarisme. L’État apparaît comme l’instrument adéquat de la toute-puissance de la liberté humaine au service de l’éradication du déterminisme historique qui a généré la domination masculine prévalant au sein de la société civile. Très classiquement, il en résulte des préconisations et des actions qui visent à annihiler la liberté individuelle au nom de la liberté humaine. Ce féminisme d’État est égalitariste, jacobin et illibéral par nature.

Dans un article consacré à l'égalité hommes femmes au Danemark, Olivier Prévôt indique, à propos des résultats de la politique d'égalité menée dans le pays : "les femmes sont sur-représentées dans le secteur du commerce, de la santé et du social, les hommes dans les secteurs de la production manufacturée, des transports et de la construction -malgré sa culture de l’égalité, le Danemark n’échappe à une répartition des vocations si habituelle qu’elle pourrait sembler… naturelle- "De l'échec de la répartition du congé parental en France, à ce type de résultats au Danemark, comment appréhender le fait que l'inefficacité des réformes proposées ne semble pas remettre en question son idéologie sous-jacente ? 

Chantal Delsol : Que la réalité ne remette pas en cause ces attendus, est bien la preuve qu’il sont une idéologie. Une idéologie ne tient jamais compte de la réalité, elle s’en moque. La difficulté ici c’est qu’il y a évidemment beaucoup de choses que nous avons envie de changer. Par exemple le parfum de machisme, les mots du machisme, qui s’exhalent de toute assemblée d’un certain niveau où l’on trouve toujours, grosso modo, une femme pour dix hommes (je parle d’expérience). Seulement il faudrait pouvoir mettre en cause ces préjugés machistes sans pour autant tomber dans la sottise de l’indifférenciation. C’est toujours le plus difficile : trouver un équilibre intelligent. J’ai du mal à comprendre pourquoi tous les gouvernements successifs sont terrorisés par ces mouvements féministes frénétiques et illuminés. 

Eric Deschavanne :L’idéologie, au sens péjoratif du terme, peut se définir comme la pensée immunisée contre les faits. La contradiction apportée par la réalité est interprétée comme une « résistance » (au sens psychanalytique du terme) de l’ordre ancien (la domination masculine, le pouvoir patriarcal) – résistance qui prouve combien la théorie est juste et l’action révolutionnaire nécessaire. La réussite scolaire des filles est aujourd’hui supérieure à celle des garçons ; celles-ci s’orientent librement, les familles ne font plus de différence entre filles et garçons, et pourtant la différence « genrée » des vocations professionnelles se perpétue : c’est bien la preuve, objectent les féministes - devant ces faits qu’on exhibe sous leurs yeux - que les stéréotypes sociaux générés par la domination masculine sont enracinés dans les mœurs et ancrés dans les inconscients. La théorie est donc infalsifiable. On n’en conclut bien sûr pas qu’il est vain de vouloir changer les choses. On préconise au contraire de rajouter une couche de coercition : la pratique déduite de la théorie est liberticide par essence.

Puisque les inégalités existent et doivent pouvoir être prises en compte par les pouvoirs publics dans des politiques efficaces, de quelle manière cette problématique doit elle être abordée, aussi bien pour éviter le surplus d'idéologie, que des résultats probants ? 

Chantal Delsol : La première règle importante, me semble-t-il, serait de laisser aux femmes la liberté de vivre comme elles l’entendent. Ce n’est pas aux idéologues de l’indifférenciation de décider que toutes les femmes doivent travailler et accéder à des postes de responsabilité. Il s’agit de leur permettre d’y accéder, mais non de les traiter de vieilleries moyenageuses si elles préfèrent rester à la maison, par exemple, ou prendre elles-mêmes la congé parental. Je ne connais rien de plus étroit et de plus pernicieux que ces gens qui croient connaître le bien des autres mieux qu’eux. Mais les changements importants (permettre aux femmes de faire des études supérieures était une grande victoire, il faut se souvenir qu’il y a un siècle c’était encore impossible), ne se feront ni par décrets ni par les hurlements de quelques harpies. Il y faudra le temps de comprendre, de réfléchir, de se rendre compte, et de pardonner. Des générations. Et alors ? Pourquoi vouloir tout et tout de suite ? Cela n’existe pas – sauf dans un cerveau d’idéologue.

Eric Deschavanne : Un féminisme républicain et libéral devrait se fonder sur la neutralisation de la question du déterminisme. Il y a du déterminisme en nous – d’ordre naturel ou historico-culturel, peu importe – mais, que nous soyons libres ou pas à l’égard des déterminismes (c’est une question métaphysique), l’État doit avoir pour rôle de garantir aux individus (hommes et femmes, indifféremment) la capacité de se construire et de s’épanouir librement.

En premier lieu, le réformisme libéral préconisera des mesures favorables à l’égalité des chances. En matière d’égalité des sexes, cependant, on peut affirmer que la révolution féministe a eu lieu : l’égalité scolaire entre les filles et les garçons est aujourd’hui une réalité (approximativement, puisque les garçons réussissent moins bien). L’inégalité sociale, et surtout territoriale, est à cet égard un problème beaucoup plus important.

Le réformisme libéral peut offrir des libertés nouvelles. En matière de congé parental, par exemple, il importe que les pères puissent choisir de s’arrêter, mais il ne faut pas pour autant retirer cette liberté aux mères. Or, vouloir imposer l’égalité revient à anéantir la liberté.

Une politique au service de la liberté des individus peut justifier une politique publique interventionniste destinée à favoriser l’harmonie des rapports entre vie familiale et vie professionnelle. C’est à mon sens l’enjeu principal pour la liberté des femmes et l’égalité des sexes. Cela implique une politique de la petite enfance, une politique des transports, l’aménagement des horaires de travail dans les entreprises, etc. Il y a là un vaste chantier pour les politiques, mais le réformisme en la matière n’est guère compatible avec les effets d’annonce, ni non plus avec les effets de manche du féminisme jacobin.

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