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Le très respecté Pew Research Center met en évidence le traitement disproportionnellement négatif de la première année de mandat du Président Trump par les médias américains
©MANDEL NGAN / AFP

Impartiaux...?

Lors des cent premiers jours de la présidence de Donald Trump, la couverture médiatique concernant le président américain avait quatre fois plus de chances d'être négative que positive.

Jean-Eric Branaa

Jean-Eric Branaa

Jean-Eric Branaa est spécialiste des Etats-Unis et maître de conférences à l’université Assas-Paris II. Il est chercheur au centre Thucydide. Son dernier livre s'intitule Géopolitique des Etats-Unis (Puf, 2022).

Il est également l'auteur de Hillary, une présidente des Etats-Unis (Eyrolles, 2015), Qui veut la peau du Parti républicain ? L’incroyable Donald Trump (Passy, 2016), Trumpland, portrait d'une Amérique divisée (Privat, 2017),  1968: Quand l'Amérique gronde (Privat, 2018), Et s’il gagnait encore ? (VA éditions, 2018), Joe Biden : le 3e mandat de Barack Obama (VA éditions, 2019) et la biographie de Joe Biden (Nouveau Monde, 2020). 

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Atlantico : Dans une étude menée par le Pew research center, il apparaît que la couverture réservée à Donald Trump par les médias américains, au cours de ses 100 premiers jours, avait quatre fois plus de chances d'être négative que positive (44% contre 11%), alors que les derniers 45% étaient signalés comment neutres. Pour les 60 premiers jours, cette vision négative a touché 62% de la couverture média, contre des niveaux respectifs de 28%, 28%, 20% pour les 3 derniers présidents (Bill Clinton, Georges Bush Jr, et Barack Obama). Dans quelle mesure l'opposition à Donald Trump en fait-elle trop ? 

Jean-Eric Branaa : Le problème de l’opposition à Donald Trump provient de l’emballement qu’elle a connu depuis le jour même de l’élection de ce président atypique, alors qu’elle était déjà à un niveau maximal pendant toute la durée de la campagne. Il ne s’agit pas d’excuser quoi que ce soit et les outrances de cette campagne présidentielle ont été la mauvaise surprise que l’on aurait préféré ne pas connaître. 

Toutefois, on ne peut pas refaire l’histoire et il faut bien avancer à un moment ou à un autre pour continuer à aller dans le sens du vent. Or, alors que Donald Trump se lançait dans un discours d’investiture très surprenant dans lequel il « oubliait » de tendre la main à l’autre camp, comme c’est traditionnellement le cas, il aurait dû être également relevé que les opposants au président était entrés en résistance, alors que rien ne pouvait justifier une telle posture : Donald Trump a respecté les règles démocratique de son pays et s’est fait élire sur une base très régulière. La contestation du système des grands électeurs une fois que le résultat du suffrage est connu n’est pas acceptable, car elle revient à vouloir changer les règles en fin de match.

Toutefois, ce n’est là que la racine du mal : l’opposition est devenue féroce et systématique pour, très logiquement, devenir réductrice : Réduction de la pensée qui s’est désintéressée du fonds pour mieux commenter le superflu ; réduction de la forme, qui est devenue parfois plus outrancière que ne l’a été lui-même le 45e président pendant cette campagne détestable ; réduction des ambitions aussi, puisqu’il n’y a aucune construction d’un programme cohérent d’alternance et pas davantage de tentative de faire émerger une personnalité qui pourrait grandir dans l’espace politique et devenir crédible face au président, qui se représentera très certainement en 2020.

Quels sont les dommages causés par ce biais sur la qualité du débat politique américain. Quels sont les exemples pouvant être cités qui illustrent un secteur médiatique qui passe "à coté" de vrais enjeux politiques au bénéfice d'attaques plus ou moins sérieuses sur le Président ? 

L’emballement est tel que le ravin qui oppose les supporters de Donald Trump à ses détracteurs semble aujourd’hui infranchissable. Les opposants se concentrent sur des futilités, telles que l’âge du capitaine, sa façon de s’habiller, de se mouvoir, de parler, ce qu’il mange, son emploi du temps, l’heure à laquelle il se lève, ou se couche. Les mêmes aurait pourtant tellement eu à dire s’ils s’étaient intéressées aux vrais sujets qui occupent la réalité politique et qu’ils ne voient plus : Donald Trump, pendant ce temps, à supprimer la moitié des régulations dont souffraient le pays d’après lui, mettant en pièce l’héritage de Barack Obama, notamment en matière d’environnement, mais aussi, sur l’Obamacare, la mesure phare du précédent mandat et dont il ne reste presque plus rien, ou a redistribué les cartes sur la scène internationale, sans oublier qu’il a fait quitter son pays de nombreuses instances internationales et multilatérales, dont le TPP et l’Accord de paris sont les plus emblématiques. Il a aussi profité de l’opposition qui faisait rage entre le Congrès et son prédécesseur, se retrouvant avec une aubaine que peu de chef de l’état américain ont eu avant lui : celle de pouvoir nommer des dizaines de juges fédéraux qui, rappelons-le, sont nommés à vie et feront vivre son héritage bien au-delà de sa présidence.

On aurait pu imaginer que cela aurait pu être commenté par ses opposants, mais ils étaient bien trop occupés à guetter une inculpation dans l’enquête russe, qui tarde et tarde encore à arriver. Mais c’est pour bientôt, nous promettent-ils !

La frénésie va crescendo et elle peut faire craindre que la prise de vitesse dans ce domaine, n’empêche de pouvoir appuyer sur le frein lorsque le moment sera venu : on le voit déjà, alors que plusieurs candidatures de démocrates ont été clairement positionnées « anti-Trump » et que l’on imagine sans peine ce que les prochains élus de la Chambre des représentants, un peu trop novices, feront pour plaire à leurs électeurs : ils demanderont un Impeachment, grisés par leur victoire, et sans songer aux lendemains qui déchanteront, lorsque le sénat repoussera bien évidemment cette initiative. 

Le pays sortira alors de tout cela encore plus abimé et Donald Trump aura beau jeu de faire remarquer que cette opposition est devenue une folie endémique et que ses opposants ont perdu tout sens commun. Qui aura gagné à ce moment-là ?

Dans quelle mesure Donald Trump se sert-il, ou pourrait se servir de cette situation à son profit ? Une remise en question des grands médias est-elle à l'ordre du jour, comme celle qui avait pu voir le jour par David Brooks dans le New York lors de la publication du livre "Fire & Fury" ? 

Donald Trump ne cesse de s’appuyer sur ce climat délétère pour asseoir son pouvoir et continuer à transformer le pays dans le sens de ses ambitions. Mieux encore, ou pire encore, suivant que l’on soit en harmonie ou pas avec ce président, il est le chef d’orchestre de ce climat si particulier : car il a imaginé tout cela bien avant de songer à une quelconque candidature à un poste politique. En réalité c’est une manière de fonctionner qu’il a toujours pratiqué, et qu’il nous a expliqué dans son livre qui est devenu un best-seller : l’Art du Deal. Il y explique notamment qu’il est nécessaire de créer un chaos artificiel, afin de mieux prendre l’ascendant sur son adversaire. Il dit aussi qu’il est préférable de faire croire à son opposant que c’est lui qui a gagné. Le chaos sert à cela aussi car, en multipliant les actions et les intentions, le vis-à-vis ne sait plus quel est le véritable objectif, et finit par se l’inventer lui-même, laissant le champ libre pour la conclusion qui mène à la victoire. Donald Trump a appliqué ces principes à sa présidence et il a donc manipulé tout le monde, berné même les médias, et forcé l’ensemble de la planète à commenter sans cesse des actions sans envergure et sans fondement, et à se détourner ainsi de ses véritables objectifs. 

Il l’a fait en s’appuyant aussi sur trois piliers que sont la lutte contre les médias, l’opposition frontale avec les démocrates et la déconstruction de ce qu’il a appelé l’Etat profond, trois « dragons » qui servent sa cause car il peut les blâmer pour chaque éventuel raté et, surtout, il peut diriger contre eux la colère de cette base qui attend une vraie révolution dans leur vie et une amélioration substantielle de leur sort. C’est bien ce qu’il leur a promis mais, si le résultat tarde à venir, ils ne lui en tiennent –et ne lui en tiendront– aucun grief puisqu’ils ont trois autres responsables à détester avant que de développer impatience et déception à son égard.

Donald Trump reste le maître du jeu et il le trouble à loisir. La presse et les grands médias se sont laissés entrainer dans un tourbillon duquel il ne savent pas comment sortir ; comme du temps de la campagne.

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