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Comment les décisions du gouvernement sur l’avenir de la ZAD de Notre-Dame-Des-Landes pourraient bien la transformer en Disneyland de la contestation
©Reuters

Avenir

L'avenir de la ZAD tel qu'envisagé par le personnel politique semble se diriger vers une opération de blanchiment de ceux qui ont commis des actes illégaux.

Eddy  Fougier

Eddy Fougier

Eddy Fougier est politologue, consultant et conférencier. Il est le fondateur de L'Observatoire du Positif.  Il est chargé d’enseignement à Sciences Po Aix-en-Provence, à Audencia Business School (Nantes) et à l’Institut supérieur de formation au journalisme (ISFJ, Paris).

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Atlantico : Le 16 janvier, le ministre de l'intérieur Gerard Collomb déclarait que la ZAD de Notre Dame des Landes « sera en tout cas évacuée des éléments les plus radicaux» (...) . José Bové a pour sa part déclaré : "Que des gens soient venus uniquement parce que ce qui les intéressait, c'était de combattre contre et que c'était un lieu d'expérimentation de vie au quotidien (…), je pense que ceux-là vont naturellement partir". Comment expliquer ce passage d'une culture non violente faisant référence au Larzac régulièrement cité en l'espèce, à une recherche de la contestation pour elle-même, et pouvant prendre une forme violente ? 

Eddy Fougier : Je dirais que chez les zadistes actuels, il y a les deux dimensions. Il y a la dimension de ceux qui effectivement viennent pour en découdre avec les forces de l'ordre qui développent une haine par rapport au système capitaliste et aux projets qui sont censés être des symboles de ce système. Et il y a ceux qui sont dans une logique plus pacifique, plus à l'image de ce que l'on pouvait avoir dans le Larzac et qui veulent mettre en place une alternative anticapitaliste, anti-autoritaire, décroissante etc…Cela est dans la théorie parce que dans la réalité, souvent, on trouve ces deux dimensions chez le même individu. Un adepte de la permaculture peut prendre des pierres et recourir à des actions violentes. C'est ce qui peut être différent par rapport à ce que l'on pouvait voir à l'époque. Il y a la cohabitation des deux et ce que l'on voit avec ce que dit le gouvernement depuis quelques jours, pour reprendre l'expression de "faire du tri sélectif" avec les zadistes, c'est de faire décanter la situation un petit peu. Ceux qui ne sont là que par opposition vont repartir parce que l'objet de l'opposition n'est plus, et ceux qui veulent construire un projet alternatif sont appelés à rester même si cela ne va pas être présenté de façon aussi claire par le gouvernement.

Le premier ministre a indiqué que la zone avait vocation à redevenir agricole. Les agriculteurs expropriés vont retrouver des droits sur leurs parcelles mais il restera d'autres terres à exploiter. Et le gouvernement va avoir du mal à expliquer que les "néo-paysans" qui se sont installés sur la ZAD vont être appelés à avoir des terres eux aussi. Il y aura donc peut-être une régularisation à un moment donné "sans-papiers". Et c'est ce qui s'est passé en partie au Larzac. Il est donc possible de voir un peu plus Nicolas Hulot et José Bové devant Edouard Philippe et Gerard Collomb.

Assiste-t-on à une forme d'atomisation des luttes révélant un attrait plus important de la radicalisation qu'aux causes elles-mêmes ? Les différents projets portés par les contestataires ont-ils tendance à passer au second plan, marquant ainsi un esprit "hors système" plus développé qu'il ne l'était alors ? 

Aujourd'hui, en regardant différents projets, surtout du côté des plus radicaux, on voit qu'il s'agit de prétextes. Très souvent, ils disent "l'aéroport NDDL et son monde", "le projet d'enfouissement nucléaire et son monde", ce qui est assez symptomatique de prendre un exemple, une lutte territorialement marquée et en faire un symbole d'un système qu'ils vont rejeter.

Mais je ne pense pas que nous n'étions pas dans cette orientation dans les années 70. Il n'y avait pas que les écologistes, il y avait les anarcho-autonomes et les anti-nucléaires. Et d'ailleurs parmi les anti-nucléaires d'aujourd'hui, il y a ceux qui revendiquent ce retour à cette radicalité qui existait dans les années 70. Je pense que l'on sous-estime la radicalité des mouvements de l'époque. Le Larzac était un peu l'exception lorsque vous regardez les mouvements sociaux et les anti-nucléaires. Cela était très violent. Il y avait eu un mort à Creys-Malville en 1977.Il s'agissait d'affrontements très durs.  Il y a aujourd'hui cette veine non violente dont se revendique José Bové, et il y a une autre culture qui est un peu plus violente qui s'inspire des anarcho-autonomes de l'époque. Et ce clivage existait aussi à l'époque mais la différence était que dans les années 70, ils étaient bien distincts alors qu'aujourd'hui, ils ne sont pas aussi séparés que cela.

Gerard Collomb a également ajouté « Ce que nous voulons, c'est lui donner un autre avenir. Il y a toute une série de gens qui ont des projets sur la Zad, donc qui sont prêts le cas échéant à pouvoir faire autre chose ». Cette solution de sortie tient-elle suffisamment compte de ce passage de la non-violence à la violence, et ouvrant ainsi la porte à d'autres formes de revendications pouvant prendre une forme violente ?

J'ai le sentiment que le message est un peu ambigu. Nous assistons à une sorte de blanchiment de personnes qui ont commis des actes illégaux avec cette idée de régularisation. Vous occupez de façon illégale un site, ce qui a une influence sur le débat, le site est finalement abandonné, et puis vous pouvez rester. La plus grande menace pour moi- plutôt celle de la violence en tant que telle parce que les plus violents, à partir du moment où ils ont gagné, n'auront plus nécessairement beaucoup de motivation- est l'idée d'un espace alternatif ou il y aura des expérimentations sur le plan social, sur le plan environnemental, sur le plan agricole qui vont être faites dans la zone qui était occupée par les zadistes. Le maire de NDDL parle lui d'une "zone d'activité agricole protégée", il y a donc pas mal de convergences vers cette idée d'une zone d'expérimentations. C’est-à-dire une sorte de Disney de la contestation, c'est pour cela que je parle de blanchiment, en référence au blanchiment politique à propos du passage de l'extrême gauche à l'altermondialisme, c’est-à-dire en enlevant ce qui fait le plus peur (la révolution, la dictature du prolétariat, la lutte des classes) et on garde le nez "lutte contre les inégalités", "contre les injustices", "l'humanisme". J'ai l'impression que nous sommes en train de nous diriger vers cela ; on enlève ce qui fait peur, les black blocks et les aspects les plus trash que l'on peut voir sur les ZAD et on en garde le côté un peu folklorique. Cela peut devenir une sorte de "Christiania" à la française. C'était une zone occupée par des anarchistes et des alternatifs au Danemark qui est devenue aujourd'hui une zone touristique qui attire beaucoup de danois et d'étrangers pour ses aspects cocasses et colorés. Un Disney de la contestation, avec les avantages mais sans les inconvénients, un côté "cool et alternatif" mais sans les CRS et les plus radicaux. On sent aujourd'hui que c'est l'option qui monte. 

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