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Affaire Tony Chapron : les arbitres sont-ils l’ennemi numéro 1 des professionnels du monde du football ?
©Capture d'écran

Carton rouge

L'"affaire Chapron" relance la question du respect des arbitres sur et en dehors du terrain. Boucs émissaires historiques du football, ils souffrent d'une culture de la contestation et de l'intimidation à leur égard que rien ne semble pouvoir endiguer, pas même la vidéo.

Daniel Riolo

Daniel Riolo

Daniel Riolo est journaliste sportif et écrivain.

Il est chroniqueur dans l'After Foot sur RMC et blogueur sur le site internet de RMC Sport.

Il est notamment l'auteur de OM-PSG, PSG-OM les meilleurs ennemis : Enquête sur une rivalité  (Mango Sport 2005)

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Atlantico : Dimanche soir, lors du match Nantes-PSG à la Beaujoire, un incident a fait beaucoup plus couler d'encre que la victoire poussive de l'actuel premier du Championnat 1-0. Alors que le match s'apprête à se terminer, l'arbitre, Tony Chapron, se prend les pieds dans ceux du défenseur nantais Diego Carlos, trébuche, se relève et met un second carton jaune au Brésilien synonyme de carton rouge et synonyme d'expulsion. L'erreur est grossière. La réaction du monde du football l'est peut-être tout autant :  sur les plateaux et réseaux sociaux, on assiste à un véritable lynchage de l'arbitre. Vous êtes alors très seul à prendre la défense non pas tant de Tony Chapron mais des arbitres en général. Pourquoi l'arbitrage est-il le punching-ball du football moderne ?

Daniel Riolo : Ce n'est pas tant un problème contemporain qu'une conception historiquement et culturellement très ancrée dans le football selon laquelle l'arbitre est responsable des résultats et désillusions. On ne le retrouve pas que sur le terrain : cela a fait un film, on le retrouve dans des livres. L'arbitre est pensé comme un ennemi. Alors que littéralement, un arbitre est une personne désignée par deux parties pour qu'en cas de litige, quelqu'un décide. Et aujourd'hui, sur nos terrains, cette personne qui décide est systématiquement remise en cause. L'essence même de ce qu'est l'arbitrage est complexe. Un arbitre n'est pas un juge, comme certains le souhaitent. L'arbitre n'est pas juste, il se voit juste confier l'interprétation des faits de match. Ce fait n'est pas compris, et c'est pour cela que tous crient tout le temps à l'injustice.

Si la culture anti-arbitre est historique, peut-on cependant observer une aggravation ou une amélioration du problème ces dernières années ?

Dans le milieu professionnel, ce n'est pas certain, mais chez les amateurs, c'est très clair. C'est une catastrophe. J'étais il y a peu avec Joël Quiniou, qui m'expliquait qu'on en était à 5000 agressions par an. Et rien ne prouve qu'elles soient toutes déclarées. Il y a 500 agressions physiques par an, et on observe de plus en plus d'agressions chez les U13 et U11 [ndlr. Catégorie moins de treize et onze ans] ! Les jeunes recopient toujours plus le phénomène d'encerclement de l'arbitre, de contestation, d'insultes… comme ils les observent chez les pro. Si cela continue comme ça, il n'y aura bientôt plus d'arbitre en amateur, ils seront contents.

Mais de cela on ne parle pas. Dimanche soir, tout le monde s'est jeté sur l'affaire Chapron, mais quelques heures avant, un bus a été attaqué lors d'un match de coup Gambardella à Massy et un arbitre qui a pris trois coups de poing dans la figure à Saint-Denis à la fin d'un match ! Mais le soir même, tout le monde du football voulait la peau de l'arbitre.

Heureusement, cela s'est calmé le lendemain : lors de leurs conférences de presse, les entraineurs ont été bien plus mesurés. Et c'est aussi le cas des gens du foot qui ont calmé le jeu dans leurs commentaires. Ça s'est fait en deux temps : dans un premier il fallait tuer Chapron, puis ils ont peut-être enfin retrouvé la raison.

Mais tout cela s'explique : quand vous avez chaque semaine des présidents qui, à longueur de journée, ne cesse pas de déclarer que le mauvais résultat est de la faute de l'arbitre. Comment est-ce que cela ne peut pas gangréner la tête de tout le milieu ? Et ça fait des années que je demande qu'on leur donne de vraies sanctions. Et qu'on me répond que si Jean-Michel Aulas [ndlr. le président de l'Olympique Lyonnais] fait ça, c'est pour mettre la pression sur l'arbitre afin qu'il soit sous pression lors du prochain match et qu'il ait alors une décision favorable à son club. Mais les gens qui m'affirment cela s'entendent-ils vraiment ? Comprennent-ils ce que cela sous-entend ? Cela sous-entend d'abord que l'arbitre doit être influencé, qu'il soit normal d'utiliser de méthodes à la limite de la malhonnêteté pour arriver à ses fins. Mais c'est dégueulasse.

Et cela l'est d'autant plus quand on voir un chef d'entreprise et président d'un des clubs les plus importants de France passer son temps à critiquer avec virulence les arbitres. Je me souviens d'une époque où il allait dans le vestiaire des arbitres – cela a été par la suite interdit – puis de celle où il faisait des dossiers sur les arbitres. Il les utilisait pour leur montrer qu'ils avaient fait tant d'erreurs là, tant d'autres ici… etc. Cela lui permettait de mettre la pression. Et aujourd'hui, il continue chaque semaine ce petit jeu. Comment dès lors peut-il, tel Ponce Pilate, dire qu'il s'en lave les mains, et que son comportement n'a aucun effet sur les autres clubs, sur le football amateur ? Évidemment que cela gangrène la tête des gens ce genre d'agissements. Et je trouve cela lamentable qu'on n'afflige pas à ce genre de personnes des sanctions au-delà de l'exemplarité. On devrait le faire à chaque fois qu'un d'entre eux vient pleurer sur les arbitres.

Les responsables seraient donc les présidents de club et entraîneurs. Mais qu'en est-il des fédérations ?

Les fédérations pourraient mettre d'énormes sanctions. Même si les sanctions existent déjà, et consiste généralement en une interdiction de banc ou de tribune… Le dirigeant s'en fiche, il va dans sa loge. Est-ce que cela a déjà fait changer quelqu'un de comportement ? Jamais ! Et le pire dans cette affaire, c'est que Jacques-Henri Eyraud, à peine arrivé à l'OM, s'est empressé de suivre le modèle de Jean-Michel Aulas. Parce qu'il s'est aperçu que ça marchait et qu'il pouvait lui aussi avoir des pénaltys de cette façon. C'est lamentable et insupportable ! Ces gens, qui ont une certaine dimension, qui dirigent de grandes entreprises, adoptent des attitudes de racailles vis-à-vis des arbitres. Le paradoxe, c'est qu'on en est presque aujourd'hui à ce que les joueurs sur le terrain se comportent mieux que leurs dirigeants. On a en tout cas moins de joueurs qui viennent pleurer sur l'arbitrage que de présidents ou d’entraîneurs. C'est dire !

Dès lors, que pourrait-on faire, au-delà des amendes, pour que cette situation ne perdure pas ?

Je ne vois pas ce qui pourrait fonctionner d'autre.

On entend souvent dire que l'adoption de l'arbitrage vidéo déchargerait les arbitres de certaines responsabilités et rendrait leur travail plus facile. Qu'en est-il selon vous ?

L'arbitrage-vidéo est effectivement la solution trouvée par le monde du football à ce problème. Car à force de se plaindre et d'exprimer systématiquement son mécontentement vis-à-vis de l'arbitrage, de dire que le résultat est "à cause de l'arbitre", on s'est tourné vers cette solution. On s'est dit que la vidéo supprimerait tout ces problèmes et autres questions d'"injustices". Mais il faudra toujours un arbitre, c'est-à-dire un humain, pour arbitrer à partir de la vidéo. Et à part dans les cas d'erreurs manifestes (par exemple un ballon poussé dans le but de la main), ce sera toujours une question d'interprétation. L'autre cas de litige manifeste est celui du franchissement de la ligne de but, mais on sait déjà que la "Goal Line Technologie" peut-être clairement défaillante.

De toute façon, ceux qui le font aujourd'hui continueront à polémiquer demain. Mercredi dernier, on a essayé la vidéo. A la fin du match, un joueur est tout de suite venu dire qu'il trouvait que ça ne marchait pas et qu'il fallait arrêter. Il y a eu trois polémiques en un soir. Je ne crois pas que cela soit la solution si ce n'est dans des cas très rares et particuliers de tricherie. Le cas du pénalty accordé après visionnage la semaine dernière est typique : sur les plateaux on a dit qu'il y avait pénalty. Le joueur a dit qu'il y avait pénalty : la pression reste toujours sur les épaules des arbitres, même s'ils passent derrière un écran.

Ne serait-il pas nécessaire, pour lui donner plus d'autorité, de changer les statuts des arbitres afin que toute contestation soit plus sévèrement punie ?

On l'a déjà fait : les cartons sont distribués plus vite qu'avant, on donne des suspensions plus longues. Là-dessus on a déjà avancé. Le plus difficile à changer, c'est la contestation culturelle, ce mal profond qui consiste à toujours s'en prendre à l'arbitre. Et le seul pas que le monde du football consente à faire aujourd'hui c'est la vidéo. On sent bien que sur ce point on a atteint un point de non-retour. Ils se disent que cela va changer les choses : cela reste à voir – et je ne suis pas du tout convaincu du résultat.

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