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Europe : pourquoi les modérés ont plus besoin de construire de véritables alternatives aux populistes que d’échafauder de grandes coalition
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Tribune

Débordés sur leur gauche et sur leur droite, nos vieux partis politiques enregistrent des scores historiquement bas.

Thibault Muzergues

Thibault Muzergues

Thibault Muzergues est un politologue européen, Directeur des programmes de l’International Republican Institute pour l’Europe et l’Euro-Med, auteur de La Quadrature des classes (2018, Marque belge) et Europe Champ de Bataille (2021, Le Bord de l'Eau). 

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L’Allemagne peut-elle se permettre aujourd’hui des élections législatives anticipées ? Des deux côtés du Rhin personne ne le croit, tant sondages et analyses tendent à montrer que la formation ayant le plus de chances de sortir renforcée d’un nouveau vote serait l’Alternative pour l’Allemagne (AfD), le premier parti à la droite de la CDU-CSU à être représenté au Bundestag depuis 1961. Il semblerait que les élites allemandes soient quasiment toutes d’accord sur ce point, et c’est pour cela que les deux grands partis de gouvernement que sont le SPD et la CDU devraient sauf surprise rempiler pour une nouvelle Grande coalition. Cette fois pourtant, le cœur n’y sera pas : usée par un processus de négociation interminable (et pour la première fois extrêmement tendu), la Chancelière Merkel n’y trouvera probablement que des frustrations à même de ternir ce qui devrait être son dernier mandat. Quant à Martin Schultz, il aura fallu que le président Steinmeier lui torde le bras pour le forcer à revenir sur sa première décision de non-participation au gouvernement. Il faut dire que le dirigeant du SPD sait à quel point une coalition avec la chancelière peut s’avérer toxique pour le parti associé : si les sociaux-démocrates enregistrent un score historiquement bas cette année après leur deuxième passage dans la grande coalition en dix ans (-5,2%), ils avaient déjà perdu plus de 11% des voix durant la première Grande coalition entre 2005 et 2009. Le FDP ne fut pas en reste entre 2009 et 2013, avec une perte de 9,8% et un score ne lui permettant pas d’envoyer des députés au Bundestag après quatre ans de coalition avec la CDU – ce qui explique d’ailleurs la décision de Christian Lindner de refuser une coalition où les Libéraux auraient tout à perdre.

Il ne fait aucun doute qu’à court terme, et en l’absence d’un accord avec le FDP, la Grande Coalition est la moins mauvaise option possible. Mais elle est pourtant loin d’être idéale. Censée être exceptionnelle pour parer à une crise politique, la persistance d’une Grande coalition sur le long-terme a un coût politique, et notamment celui de favoriser les populistes qui ont alors beau jeu de dire que tous les partis politiques « mainstream » sont les mêmes :  en Autriche comme en Allemagne, le discours d’« alternativlos », d’absence d’alternative politique véhiculée par les partis traditionnels a permis aux partis d’extrême-droite de renvoyer droite et gauche dans un même panier : pour suivre ce discours qui fait aujourd’hui mouche, si CDU et SPD (ou ÖVP et SPÖ) disent qu’il n’y a pas d’alternative, c’est qu’ils n’ont pas d’idées pour résoudre les problèmes du pays, et donc qu’ils ne méritent pas les suffrages des citoyens.

A long-terme, la reconduite d’une Grande Coalition ne peut que favoriser des partis comme l’Alternative pour l’Allemagne, justement parce qu’elle est de fait la première force à proposer une autre politique pour le pays. Les Autrichiens, qui sortent d’une période de dix ans de Grande Coalition, l’ont compris, et c’est pour cela qu’ils ont plébiscité la stratégie de Sebastian Kurz aux dernières élections (sans préjuger par ailleurs des risques que sa décision de partir en coalition avec l’extrême-droite peut par ailleurs comporter – risque calculé toutefois néanmoins que cette stratégie, déjà adoptée par Wolfgang Schüssel entre 2000 et 2005, avec pour résultat l’affaiblissement de l’extrême-droite autrichienne à court et moyen-terme).

Au-delà du choix de coalition post-électoral, les problèmes qui se posent actuellement en Allemagne et en Autriche sont les mêmes partout en Europe, et plus largement en Occident : comment faire tenir « le centre » face à l’assaut des populismes ? Après une année 2016 difficile, beaucoup de modérés avaient repris espoir au printemps 2017 grâce aux victoires de Mark Rutte aux Pays-Bas ou encore d’Emmanuel Macron en France. Mais ces succès, pour méritant qu’ils puissent être, ne doivent pas masquer la réalité : certes, des modérés ont gagné toutes les élections en Europe cette année, mais ce n’est pas pour autant que les populismes ont reflué. Ils ont au contraire amélioré leurs scores quasiment partout dans la région : entrée au Parlement et +7,9% par rapport à 2013 en Allemagne pour l’AfD (troisième place) ; +5,5% pour le FPÖ en Autriche (troisième place, à 0,7% de passer devant les sociaux-démocrates) ; +3,1% pour le PVV aux Pays-Bas (deuxième place) ; la France n’est bien sûr pas en reste, puisque Marine Le Pen enregistre en 2017 une progression de 3,4% par rapport à 2012 (un score alors considéré comme historiquement haut), et ne voit ce succès de premier tour terni que par sa performance catastrophique de l’entre-deux tour. Malgré la victoire des modérés en 2017, un constat s’impose : ceux que l’on nomme communément les populistes sont en progression partout en Europe, et les élections de 2018 pourraient fort bien voir leur grand retour sur le devant de la scène : aujourd’hui, en Italie, et hors coalition multipartite, tous les sondages donnent le Mouvement Cinq Etoiles de Beppe Grillo en tête des élections législatives du 4 mars,  

Débordés sur leur gauche et sur leur droite, nos vieux partis politiques enregistrent des scores historiquement bas. Idéologiquement dépassés tant « le consensus mou » est rejeté par des sociétés en plein malaise, ils ont également du mal à s’imposer dans les médias alternatifs et sur les réseaux sociaux, un terrain de mobilisation politique porteur et en pleine croissance : pour reprendre l’exemple allemand, songeons qu’avec plus de 383 000 « likers », l’AfD possède aujourd’hui plus de followers que la CDU et le SPD réunis (172 000 et 183 000 respectivement). Pire encore, les partis traditionnels restent paralysés par les tabous qu’ils se sont eux-mêmes imposés naguère et ne peuvent donc pas régénérer leur message pour coller à un électorat aujourd’hui en pleine mutation. Du point de vue des structures comme de l’idéologie, les partis modérés sont semblables aux grands vaisseaux de guerre espagnols du XVIe Siècle. Très lourds et difficiles à manier, ils doivent subir les attaques de structures « pirates » beaucoup plus légères et modernes. Sachant comment l’Invincible Armada a fini, on peut légitimement se demander si, en l’absence de changements notables, les partis du centre (doit ou gauche) peuvent véritablement survivre dans cette configuration.

Que faire alors ? Les exemples à suivre sont encore peu nombreux, mais des pistes commencent à émerger. Adapter ses structures, son mode de fonctionnement et de communication sont un premier pas qui reste insuffisant – c’est surtout au niveau du message et de l’identité que les modérés doivent travailler : en effet, les partis populistes montent aujourd’hui avant tout parce que de nouveaux électorats sont en train d’émerger, et que les problématiques qu’ils souhaitent traiter ne sont pas prises en compte par les politiques traditionnels, le plus souvent du fait de tabous que celles-ci se sont imposées durant la période de prospérité des années 1990. Face à la menace de déclin, voire d’extinction à laquelle ils font face, les partis modérés doivent donc briser leurs totems et renverser leur dialectique pour proposer autre chose qu’un consensus mou à des électeurs qui demandent aujourd’hui une alternative. Cette mue est certes difficile, car s’il s’agit simplement de réaligner son programme pour le faire ressembler à celui des populistes, non seulement ces derniers auront remporté la bataille idéologique, mais il y a de fortes chances que les électeurs préfèrent l’original à la copie.

Néanmoins, s’emparer des thématiques des populistes comme l’immigration, l’intégration, le chômage des jeunes, ou dans les pays anglo-saxons la dette étudiante n’est par copier-coller si des propositions nouvelles sont formulées. Les populistes ont en effet un électorat de plus en plus monolithique dans sa composition sociologique comme dans ses aspirations : classe ouvrière blanche et petite classe moyenne en voie de marginalisation à l’extrême-droite et jeunes millenials en voie de paupérisation à l’extrême gauche. Comprendre leurs aspirations pour proposer un nouveau pacte social à même de les réintégrer dans le jeu politique n’est pas chose aisée, mais il s’agit là du seul moyen d’asphyxier les populistes pour les battre sur leur propre terrain. C’est en proposant une alternative à l’alternative que, chacun à leur manière, Emmanuel Macron, Sebastian Kurz ou Mark Rutte ont pu remporter des victoires encourageantes en 2017. Les politiques modérés devraient s’en inspirer pour non seulement contenir les populistes, mais commencer à les faire refluer.

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