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Le regard économique de l'Eglise, une éthique non-normative
©Reuters

Bonnes feuilles

Etre chrétien n'est pas compatible avec tous les modèles économiques : collectivisme et ultra-libéralisme par exemple sont exclus. Mais en ce qui concerne les autres options, le chrétien est libre de faire ses choix, tant qu'il ne touche pas aux plus pauvres. Extrait du livre "Le pari chrétien" de François Huguenin, aux éditions Tallandier.

François Huguenin

François Huguenin

Le Conservatisme impossible, libéraux et réactionnaires en France depuis 1789, Paris, La Table Ronde, 2006. Réédition augmentée Histoire intellectuelle des droites, Paris, Perrin, coll. « Tempus », 2013.
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Être chrétien dans le monde, suivre le Christ, est un chemin semé d’embûches, mais aussi riche de défis exaltants. La principale équivoque concerne le rapport au pouvoir. Comme l’a bien explicité naguère le dominicain Yves Congar, Jésus, à la consternation de ses disciples qui auraient bien voulu être des partisans, n’a pas simplement refusé de prendre le pouvoir. Il n’a pas seulement différé sa venue dans la gloire dans un temps très éloigné de son Ascension. Plus encore, « il a établi une nette distinction entre l’Église, royaume spirituel de la foi, et le monde naturel des hommes et de l’histoire ». Les textes sont éloquents : « Rendez à César ce qui est à César » ou « Homme, qui donc m’a établi pour être votre juge ou l’arbitre de vos partages ? ». Toute théocratie est étrangère à l’esprit du christianisme.

Ne pas imposer ses normes

Si le Christ a refusé la royauté en ce monde, l’Église n’a pas à la chercher non plus. Cela implique pour les chrétiens une forme de distance par rapport au politique, ce qui ne signifie ni désintérêt ni mépris. Pour reprendre le discours de Benoît XVI à Westminster, il ne s’agit pour les chrétiens ni d’imposer leurs normes ni de vouloir diriger la société. Mais il s’agit pour l’Église de travailler avec les autorités civiles « pour le bien des habitants » dans le respect de la liberté religieuse et dans le souci du « développement humain intégral des peuples ».

Prenons un exemple : en ce qui concerne l’économie, la doctrine sociale de l’Église s’est toujours écartée aussi bien des positions collectivistes et marxistes que du laissez-faire des prétendues « lois » du marché.

Entre ces deux excès, le débat politique trouve toute sa place. Il y a des limites à ne pas franchir, des attitudes clairement impossibles : celle qui supprimerait la propriété privée ou celle qui laisserait faire le marché, qui, en lui-même, n’a ni morale ni capacité de régulation ou de protection des plus faibles. L’Église n’entre pas dans les modalités qui sont par définition à débattre, mais clairement l’ultra-libéralisme comme le collectivisme sont incompatibles avec le christianisme.

Le pape l’a récemment rappelé au monde : « Nous ne pouvons plus avoir confiance dans les forces aveugles et dans la main invisible du marché. » Le marché n’est pas intrinsèquement mauvais, mais il doit être régulé. Ces principes peuvent éclairer les choix des gouvernants et ceux des électeurs, mais ils ne sont pas programmatiques pour autant. Ils donnent le cadre à l’intérieur duquel une large palette de propositions et de choix peut s’exprimer et être mise en pratique.

La question pour un chrétien ne sera pas d’abord celle de l’abolition ou non des 35 heures ou la réforme de la Sécurité sociale. Sur ces points, de nombreux arguments en faveur du changement sont recevables et il s’agit purement de pragmatisme politique. Par exemple, le retour aux 39 heures avec lesquelles nous avons fort bien vécu naguère, l’alignement des régimes de retraite de la fonction publique sur le privé peuvent être considérés comme des réformes de bon sens. Un certain nombre de mesures peuvent être envisagées si cela peut permettre de redonner de la compétitivité à l’économie et de créer des emplois (mais cela reste à prouver). Ces éventuelles dispositions ne doivent cependant pas se faire au détriment des plus défavorisés, de ceux qui sont depuis des années les sacrifiés de la logique financière, de cette France des périphéries qui paie le prix fort de la mondialisation, de ces territoires rongés par le désespoir et abandonnés par l’État. Je ne suis pas économiste et n’ai aucune lecture idéologique. Ce que je crois savoir en revanche, c’est que, indépendamment de la diversité de leurs compétences techniques, il est de la responsabilité des chrétiens d’avoir, avant tout et de plus en plus, le souci des plus faibles : c’est leur mission politique quel que soit leur choix tactique ! Un chrétien a le droit, en conscience, de pencher vers une réforme radicale ou des ajustements plus doux. Ce sont des options qui, si elles ne perdent pas de vue l’essentiel, à savoir que l’économie est faite pour l’homme et non pas l’inverse, sont toutes recevables, discutables, amendables.

Extrait du livre "Le pari chrétien" de François Huguenin, aux éditions Tallandier

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