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Immobilier : ce qui se passe quand les grandes villes atteignent des niveaux de prix qui les interdisent aux plus modestes
©PHILIPPE HUGUEN / AFP

Exode périurbain

Les prix immobiliers très élevés dans des villes comme Paris rendent l'existence d'une population à revenus modeste sur place quasiment impossible. Une situation qui risque d'accroitre encore un peu plus les inégalités et ses effets.

Cynthia Ghorra-Gobin

Cynthia Ghorra-Gobin

Cynthia Ghorra-Gobin est directrice de recherche CNRS au CREDA et professeur invitée à Berkeley.
Docteur d’État en Géographie (Université Paris 1) et Ph.D. en planification urbaine (UCLA), elle est l'auteure de nombreuses publications. Son dernier ouvrage s'intitule La métropolisation en question (PUF, collection la ville en débat, 2015).

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Atlantico : Alors qu'une personne disposant d'un revenu équivalent à celui du SMIC se trouve en capacité d'acheter un logement de 10 m2 à Paris, soit la même surface qu'il y a 7 ans, le pouvoir d'achat immobilier s'est accru pour des résidents d'autres villes comme Grenoble, Rouen ou Marseille. Derrière ces écarts, quelles sont les conséquences de voir des métropoles comme Paris devenir pratiquement "invivables" pour la plus grande partie de la population ? 

Cynthia Ghorra-Gobin : Il y a toujours eu des écarts entre Paris et les autres villes,  y compris ​ ​ les villes métropoles.  Cela vient du fait que Paris est la capitale nationale et concentre (polarise) un haut potentiel économique et culturel.   ​​ C’est une ville monde c’est-à-dire globale et mondiale qui, par conséquent, attire des capitaux étrangers.  Le nombre de résidences secondaires y est élevé.  Et il me semble que la mairie de Paris a prévu une hausse de la taxe foncière pour les non-résidents.

​​Cette attractivité de Paris à l’échelle mondiale explique la gentrification observée non seulement dans les quartiers centraux mais aussi dans la première couronne de banlieues.  Les jeunes ménages s’y installent parce qu’ils n’ont pas accès à la ville de Paris.  Les prix ne font qu’augmenter en banlieue et ce processus contraint la population locale à se déplacer.

Il me paraît difficile d’envisager des comparaisons de « pouvoir immobilier » sur la base de moyennes de prix de l’immobilier.  Comme chacun le sait le prix d’un logement au sein d’une ville ou d’une métropole peut ​ ​ varier en fonction de l’accès aux transports urbains, aux services urbains aux lieux de travail…etc.Certes les prix de l’immobilier stagnent à Marseille mais cela ne devrait pas empêcher d’autres métropoles de suivre leur propre trajectoire.

Aussi permettre l’accès des personnes aux revenus modestes exige  une intervention politique en faveur du logement social, au niveau national, au niveau de la métropole (PLU intercommunal) ou de la commune. Cet objectif s'impose parce que de récentes études ont souligné que des emplois (publics et privés) non-qualifiés ne trouvent pas de candidats faute d'un logement permettant l'accès raisonnable à cet emploi.  Aux Etats-Unis les chercheurs parlent de "spatial mismatch" pour évoquer le non-accès des personnes non-motorisées et habitant les quartiers populaires centraux aux emplois localisés dans les territoires suburbains. Ils suggèrent alors d'imaginer des politiques en faveur du logement social dans les communes suburbaines (habitées par les ménages aisés) ainsi que des programmes en faveur du transport public prenant en compte la nouvelle répartition spatiale des emplois.     

Au début des années 2000, le géographe Richard Florida décrivait l'émergence de la "classe créative" (qui a pu être qualifiée de "bobos" en France) comme l'avenir des métropoles. En 2017, le même Richard Florida a pu formuler un méa-culpa en appelant à traiter de façon urgente les questions de la gentrification, rendre abordable les centre-villes, de ségrégation et d'inégalités au sein de ces métropoles. Quels sont les enjeux de cette prise en compte, et quels sont les remèdes efficaces à une telle situation ? 

​​Le géographe Florida a inventé la notion de « classes créatives » pour expliquer la vitalité économique, sociale et culturelle de certaines villes et métropoles dans un contexte marqué par l’émergence de l’  « économie de la connaissance ». Certaines grandes villes et métropoles attireraient des individus hautement qualifiés dans des domaines aussi variés que les activités artistiques, financières, intellectuelles, médiatiques, juridiques…et de ce fait s’inscriraient dans la knowledgeeconomy.

​​ Mais suite au résultat des élections présidentielles aux Etats-Unis en 2016, Florida a commencé à se préoccuper de  la question sociale comme facteur  de résilience des  métropoles gagnantes, sur le long terme.  Et il a pris le parti de plaider sur le mode explicite en faveur de la « mixité sociale » dans les villes et métropoles.  Ce qui lui permet de s’adresser aux politiques pour leur demander de se mobiliser en faveur de programmes immobiliers intégrant des logements sociaux.  Aussi désormais pour Florida envisager la « stabilité » économique et politique d’une ville ou d’une métropole exige de se préoccuper de la question sociale.

Cet impératif social devrait mobiliser les élus, les professionnels et les habitants dans un pays marqué par une forte ségrégation sociale et raciale.  Dans notre contexte national les élus sont généralement plus sensibles à la question de la diversité sociale.  On donne souvent la métropole du Grand Lyon en exemple parce que son président (Gérard Collomb) avait réussi à exiger 25% de logements sociaux dans la construction du quartier des Confluences.

Dans quelle mesure ces tendances immobilières sont elles en train de redessiner le territoire du pays, entre Île de France et province, mais également entre les différentes typologies de villes ? Comment anticiper ce à quoi pourrait ressembler la France au cours des prochaines années en l'absence d'intervention des pouvoirs publics ? 

Les tendances immobilières sont en fait les "révélateurs" de la recomposition du territoire national. Ce changement qui s’opère depuis trois ou quatre décennies favorise les grandes villes et les métropoles.  Il résulte de politiques d’attractivité territoriale menés par les élus dans un contexte marqué par la mondialisation et la globalisation.  Il est à l’origine de sérieuses critiques de la part d’élus de petites villes, de médias et de certains chercheurs.  On peut comprendre l’agressivité de ces critiques compte tenu de l’influence de l’idéologie de l’ « égalité des territoires » (Donzelot).

Il est difficile d’envisager l’avenir de la France sans une intervention des pouvoirs publics.  Ce qui exige de trouver les moyens d’assurer une coordination efficace entre les différentes échelles territoriales.  L’expérience de la métropole du Grand Lyon est à ce titre fort intéressante. Elle a réussi à intégrer les compétences de la métropole et celles du département. 

On parle ainsi de "gouvernance territoriale", soit un processus au sein duquel les acteurs seraient enclins à jouer la "coopération" plutôt que la rivalité (traditionnelle). Cette gouvernance pourrait se traduire par exemple par un choix politique explicite des petites villes pour tisser des liens avec la métropole voisine.  Dans notre contexte national, il s’agirait de renforcer le principe des « pôles métropolitains », ces réseaux politiques flexibles qui ont pour mission d’associer les territoires adjacents de la métropole et leurs habitants avec pour ambition de construire un avenir commun.  

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