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"Dernier jour à Budapest" : Chiche, osez découvrir un grand écrivain peu connu en France!
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Atlanti-culture

Rien de tel pour se mettre en forme culturellement en début d'année que de découvrir un écrivain exceptionnel. Avec le dernier livre de Sandor Marai, vous allez être servi. Epaté et ravi...

François Duffour pour Culture-Tops

François Duffour pour Culture-Tops

François Duffour est chroniqueur pour Culture-Tops et avocat au Barreau de Paris.

Culture-Tops est un site de chroniques couvrant l'ensemble de l'activité culturelle (théâtre, One Man Shows, opéras, ballets, spectacles divers, cinéma, expos, livres, etc.).
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LIVRE

DERNIER JOUR A BUDAPEST

de Sandor MARAI

Ed. Albin Michel

RECOMMANDATION

EXCELLENT

THEME

Sandor Marai offre au lecteur une balade poétique et nostalgique dans sa ville, le Budapest d'avant-guerre, une ville au manteau devenu trop grand depuis la chute de l'empire et la réduction du pays à la portion congrue par l'effet des mutilations hasardeuses du Traité de Trianon. Pour l'exercice, Marai prête ses traits à son maitre, Gyula Krudy baptisé Sinbad par référence au marin éponyme.

Marai ou Sinbad comprennent et incarnent l'âme magyare, la mélancolie de ce peuple mêlé de Celtes, Mongols et autres Tatares, ce peuple altier de la Mitteleuropa à l'aube de son anéantissement par l'effet conjugué de la guerre, du nazisme et du communisme. Sinbad connait aussi tous les contours du Danube, tous les recoins de Buda et de Pest, deux villes qui n'en font plus qu'une. Il va la parcourir, peut-être pour la dernière fois, au rythme d'une calèche, le temps d'une seule journée, pour se rendre d'un café à l'autre, du Valeria au Balaton, boire une eau de vie de prune au Chicago et s'échouer finalement au London, un hôtel-restaurant qui incarne à lui seul sa vie et ses attachements. 

Une journée en quête de ces lieux de vie, de rencontre et d'amour, témoin de ruptures et d'adultères,  de joutes verbales, de conversations intellectuelles ou intimes, de ces lieux qu'il a fréquentés jeune et qui lui ont livré le creuset de son œuvre, une symphonie humaine avec sont lot d'ambition et de désespoir, son odeur de tabac froid, de bière sans faux col et de vin gris de Tokay. Des lieux désertés par la société moderne dans laquelle Sinbad ne se reconnait pas.

POINTS FORTS

- Une évocation puissante du peuple hongrois qui mérite la lecture renouvelée de quelques passages à la puissance littéraire inégalable, comme un tableau de Bruegel qui fourmille de mille nouveaux détails découverts d'une contemplation sur l'autre. 

- Une réflexion éternelle sur la perception critique du monde nouveau chez l'homme qui vieillit, l'incompréhension de la génération qui le suit, l'enfermement sur soi et la quête névrotique des souvenirs d'un passé nécessairement révolu. A croire que ce n'est pas l'évolution du monde qui implique cette perception mais seulement l'âge mûr et l'attachement paranoïaque à l'enfance perdue.    

 POINTS FAIBLES

 Aucun pour qui aime la phrase longue, nourrie, fleurie, poétique, la phrase qui n'en finit pas, l'image qui se renouvelle, se multiplie, en appelle une autre dans une chaîne sans fin...

Beaucoup pour le lecteur qui cherche la concision, l'ascèse verbale et fuit la suite, la logorrhée, le verbe à l'infini.

Question de goût !

EN UN MOT

Un livre, un vrai, comme on n'en lit plus guère.

Une prose pleine de sensualité qui décrit une époque déjà lointaine, des rapports sociaux oubliés, une quête d'élévation morale et intellectuelle déployée en vain.

Un style désuet qui cherche l'âme profonde, la suscite et la sublime pour mieux nous la restituer... 

UN EXTRAIT

Ou plutôt deux:

- "Il finit par goûter en hochant la tête, sans dire un mot et sans grand appétit non plus. L'angoisse n'avait toujours pas desserré l’étreinte de son cœur.

Car bien qu'il se sentit ici chez lui, les souvenirs de la journée, ses impressions de ce monde en pleine transformation et l’écho du travail accompli occupaient entièrement sa conscience. Ce jour là Sinbad ne déjeuna qu'en esprit."

- "Quant aux autres, les vrais écrivains, jeunes et vieux, les rares qui conservaient encore dans une grotte mystérieuse, la langue, l’esprit, les règles du jeu, la déférence, bref,tout ce qui donne le droit à une nation de vivre sur des terres ancestrales parmi les peuples rapaces, ceux là n'allaient plus nulle part".

L'AUTEUR

Sandor Marai est né avec le siècle, en 1900, à Kosice, dans une famille de la petite noblesse , à l'époque de l'Empire austro-hongrois. 

Adulé pour ses premières œuvres, dans les années d'entre-deux-guerres, à l'époque de la régence du très réactionnaire amiral Horthy, il prendra plus tard le chemin de l'exil, sans doute poussé à cet arrachement par le régime communiste qui s'installe au Parlement de Budapest après la prise de la Ville par l'armée rouge en 1944, un régime qui classera Marai dans la liste des ennemis de classe.   Ainsi errera-t-il entre la Suisse et l'Italie avant d'échouer aux Etats Unis, du coté de San Diego en Californie où il mourra dans une grande détresse morale, en mettant fin à ses jours après avoir perdu Ilona, sa femme et Janos, son fils unique. 

Jeune auteur des années 20, Il écrira d'abord en allemand, collaborera au Frankfurter Zeitung, puis dans sa langue maternelle.

Dans son chef d'œuvre tardivement découvert en France (Les Braises) il rapporte une conversation entre deux vieux amis qui, au terme d'une longue séparation, évoquent leurs souvenirs et confrontent leurs deux visions du monde, dictées par leurs origines respectives. Ce thème récurent du statut social, des vies et des comportements qu'il implique lui dictera bien d'autres chefs d'œuvre, ainsi  les "Métamorphoses d'un mariage", le récit ou plutôt les trois récits d’une rupture matrimoniale du point de vue de la femme, du mari et de sa maîtresse. 

La vie de Marai emprunte un peu de "la gloire tardive" prêtée par Arthur Schnitzler dans une de ses nouvelles délicieuses au poète Saxberger, en ce sens qu'il bénéficiera d'une aura très jeune, puis après le bannissement et l'oubli, d'une grande réputation posthume qui  la hissera au niveau de celle de Zweig dont il partage les thèmes et le pessimisme. 

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