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Pourquoi les clips de campagne officiels sont ennuyeux à mourir
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Vidéodrome politique

C'est ce lundi que les clips de campagne officiels seront diffusés pour la première fois à la télévision. Un rituel qui semble à chaque fois en décalage avec les autres programmes diffusés sur les différentes chaines.

Frank Tapiro

Frank Tapiro

Frank Tapiro est dondateur d’Hémisphère droit, actuel président de la société de conseil créatif HOUTSPA et cofondateur de la startup DATAKALAB.

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Atlantico : C'est ce lundi que les clips de campagne officiels seront diffusés pour la première fois à la télévision. A chaque échéance présidentielle, on a l'impression que tous les clips se ressemblent et sont en décalage avec les autres programmes qu'on peut voir à la télévision. Comment l'expliquer ?

Frank Tapiro : La communication politique n’existe plus depuis une loi de 1990 qui interdit notamment la publicité politique à la télévision. A cause de cette loi qui empêche les hommes politiques d’utiliser les grands médias, ils subissent des contraintes budgétaires et le résultat est là : aujourd’hui les clips de campagne sont nuls ! Ils ne communiquent absolument rien : même s’ils donnent l’illusion d’une vague communication, ils ne changent rien, ils sont absurdes, ne donnent aucune valeur ajoutée, ne transmettent aucune émotion. Ils servent tout juste à faire croire à la République qu’elle laisse les hommes politiques s’exprimer.

Il faut vraiment en finir avec ce système et en venir à une modification de la loi. On peut mettre des bornes, donner les moyens aux petits partis et renflouer les gros qui ont en besoin, c’est une simple question d’équité. On ferait payer moins cher l’espace aux petits partis qu’au gros puisqu’il est évident qu’un parti qui fait 3% n’a pas les mêmes moyens que l’UMP ou le PS. Aux Etats-Unis cette question ne se pose pas parce que c’est l’argent qui compte le plus là-bas. Il faut laisser les hommes de la communication et les hommes politiques faire leur travail parce qu’en définitive la communication politique c’est le passeport de l’action politique.

Pourquoi les clips de campagne sont-ils "nuls", comme vous le dites ?

Les clips tels qu’ils sont conçus aujourd’hui sont un frein et un poids. Quand on écoute Nicolas Sarkozy, François Hollande ou François Bayrou qui tiennent des discours très éthérés dans un cadre qui ne leur ressemble pas du tout, ils ne sont plus efficaces.

On a beaucoup critiqué le fait que les hommes politiques sortent de leur cadre au cours de missions dites "people", cependant c’est le seul moyen qu’ils possèdent pour pouvoir s’exprimer. Quand on leur donne un espace officiel, on en arrive à  ces clips de campagne inefficaces qui rendent leurs propos complètement bidons. On se plaint donc d’une situation que la loi de 1990 a généré et qui oblige à passer d’une hypocrisie à une autre.

Que devraient mettre en place les équipes des candidats pour réussir leurs clips de campagne ?

Il faut que les clips soient créatifs, surprenants et courageux. Il faut que les actes politiques soient aussi courageux que les actes citoyens ! Avec de petits moyens et de grandes idées, on peut réaliser des choses intéressantes. J'ai récemment réalisé un clip contre l'abstention qui connait un petit succès sur Internet. Je n’ai pas d’investissement média, j’ai simplement balancé mon clip sur Youtube et il fonctionne très bien, alors que les clips de campagne de l’UMP et du PS n’arrivent pas à attirer l’attention des citoyens. Ce n’est pas parce que mon clip est meilleur mais tout simplement parce qu’on sort de contraintes absurdes.

Il faut que le clip soit drôle et léger pour faire réagir les gens. L’absence de ces conditions rendent indiscutablement les campagnes des candidats fades et sans intérêt et c’est cela qui alimente le vote blanc et l’abstention. 

Mais dans la conjoncture de crise actuelle, les Français n'ont-ils pas besoin de clips sérieux qui leur parlent des défis à venir ?

Attention ! Quand j’ai imaginé La France d’après pour Nicolas Sarkozy, il y a cinq ans, le clip n’était pas léger, il était émouvant et véhiculait un message fort, demandant aux gens de tourner la page pour s’inscrire dans le futur. Ce qui compte c’est qu’une émotion passe et réussisse à toucher les électeurs et ce moyen peut être l’humour sans pour autant que ce soit tiré par les cheveux ou hors propos.

En définitive, il faut aller chercher les électeurs en les saisissant au ventre, en s’engageant et en faisant preuve de courage. S’il y a bien quelque chose qui m’agace en politique actuellement, ce n’est pas la langue de bois, mais bien le manque de courage qui caractérise les discours des candidats. Il faut laisser une trace dans l’esprit des gens, qu’ils se rappellent de vous quand vous leur parlez. Et c’est ce qu’arrive à faire Nicolas Sarkozy. Jean-Luc Mélenchon y arrive, Marine Le Pen aussi. François Hollande même s’il est brillant, il est difficile de reprendre une phrase de son discours, François Bayrou n’en parlons même pas… Le clip de campagne est là pour donner du relief à son discours et une valeur émotionnelle.

Selon vous, toutes les contraintes qui entourent le tournage des clips de campagne empêche la mise en place de ce "storytelling" ?

Evidemment ! Si vous avez du mal à raconter des histoires car vos équipes ne vous soutiennent pas ou qu’avec les années de crise votre programme n’est pas attrayant, au moins faut-il réussir à raconter une histoire avec des émotions. Quand je vois le clip de l’UMP avec la fugue de Bach c’est affligeant ! Le changement c’est maintenant de François Hollande est ridicule ! Les communicants actuels ne se rendent pas compte du mal qu’ils font aux politiques et à la parole politique.

Il ne suffit pas d’être bon en communication pour être bon en communication politique. Il faut connaître la politique. Je m’intéresse à la politique depuis 25 ans, je connais le fonctionnement d’une campagne. Un communicant qui s’improvise communicant politique c’est désastreux, regardez les horreurs de la campagne de François Hollande : c’est à cause de communicants qui n'y comprennent rien. 

Le changement c’est maintenant il ne suffit pas de le dire, il faut l’incarner. Et puis une campagne présidentielle c’est toujours un changement… Même Sarkozy 2 sera différent de Sarkozy 1. La faute des équipes de François Hollande, c’est de ne pas avoir précisé la nature du changement. Depuis le début, ils auraient dû tabler sur un slogan du style La France Egalitaire parce que c’est cela le vrai atout de François Hollande. Mais ils sont passés totalement à côté ! La France avec Sarkozy était inégalitaire et lui devait s’imposer comme celui qui allait réintroduire l’égalité. J’avais d’ailleurs un slogan pour lui, je ne vous le dirais qu’à la fin de la campagne ! Je le lui ai glissé l'idée mais il ne m’a pas écouté, dommage ! 

Ce qu’il est nécessaire de comprendre c’est qu’un slogan exprime une volonté et un engagement. Prenons par exemple le slogan de François Mitterrand en 1981 : La force tranquille. Ca résume totalement le personnage.La France d’après c’était un très bon slogan pour l’UMP même si sa dialectique était à gauche. D’ailleurs, j’ai croisé Dominique Strauss Khan sur un plateau et il m’a dit « Vous avez volé un slogan socialiste ». Je lui ai répondu : « Malheuresement les socialistes ne sont que des actes manqués, ils pensent beaucoup mais n’agissent pas et ne s’expriment pas » Il en avait rigolé.

Concrètement quelles seront les conséquences de ce défaut de communication politique sur la campagne ?

A cause de campagnes aussi inertes, vous verrez le taux d’abstention et de vote blanc qu’il va y avoir. Et le deuxième tour peut tout à fait être complètement inattendu avec par exemple Sarkozy/Mélenchon ou Hollande/Le Pen. Ca peut être extrêmement compliqué avec un outsider au second tour encouragé par tout un contexte : ce seront les vacances et beaucoup de gens n’auront pas fait leur procuration. Il y a de fortes chances qu’on se réveille le 23 avril avec un violent mal de tête.

Propos recueillis par Priscilla Romain

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