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Pour ou contre l’Hadopi ? 
Un débat sans fondement
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Hors du temps

A l'ère du numérique, les modèles économiques conçus dans l'environnement analogique ne tiennent plus.

Jean-Noël Dibie pour Culture-Tops

Jean-Noël Dibie pour Culture-Tops

Docteur en droit, Jean-Noël Dibie a une très longue expérience de l'audiovisuel et des médias : directeur de la SFP (Société française de production), responsable des affaires européennes à France Télévision, conseiller du directeur général de l'UER (Union européenne de radio-télévision). 

Aujourd’hui consultant, il s’investit dans les activités de recherche, notamment au sein d’EUROVISIONI, et d’enseignement (président du conseil pédagogique de l’EICAR, l’Ecole des métiers du cinéma de l’audiovisuel et des nouveaux médias, et chargé de cours à l’EDHEC).

Jean-Noël Dibie est l'auteur d'un A-book en six parties paru en 2014 sur Atlantico éditions : Communication politique, le plus vieux métier du monde

 

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Comme la pertinence d’une technologie résulte des usages qui en sont fait, la légitimité de la loi repose sur son adéquation aux réalités du secteur qu’elle entend encadrer.

L’environnement d’abondance de la télévision numérique, ne peut se satisfaire de modèles économiques et de cadres réglementaires conçus dans l’environnement de rareté du monde analogique. Déjà, les radiodiffuseurs s’efforcent d’accompagner le public troquant ses habits de téléspectateurs passifs pour ceux de consommateurs actifs. Parallèlement, la généralisation des réseaux à grande capacité favorise les téléchargements par des internautes qui, immergés dans l’univers gratuit du web, banalisent le "piratage". Cette pratique fait peser sur l’exploitation des œuvres audiovisuelles une menace d’autant plus réelle que les remèdes retenus se révèlent illusoires.

Au cours des siècles, les mutations des techniques et pratiques de la création artistique et de sa diffusion ont peu à peu permis aux artistes et aux hommes de lettre de se dégager des contraintes du mécénat, par la perception des revenus d’exploitation de leurs œuvres. Leur juste rémunération est assise sur les droits de représentation et de reproduction dont les pratiques évoluent. Dans les années 1980, l’enregistrement magnétique a fait évoluer les modes de perception du droit de reproduction : introduction de la copie privée et instauration d’une taxe sur les supports vierges, affectée en France au financement de la création. En Amérique, les scénaristes américains obtiennent, en 1988, un droit à rémunération sur les exploitations des cassettes vidéo et des DVD, à l’issue de 22 semaines de grève, et vingt ans plus tard, des droits sur les nouvelles exploitations numériques, après 3 mois de grève.

Notre société de consommation a fait de l’art une industrie et reconnu le principe  de «l’exception culturelle», qui préserve la création artistique des lois du marché. Le 10 janvier 2012, l’arrêt sur intervention judicaire et policière de Megaupload, site marchand, très profitable, de téléchargements pirates, a, peut être, contribué à améliorer l’accès à la culture sur internet. Pour autant, dans le monde numérique de la communication électronique, la répression, même graduée, des téléchargements illégaux demeurera illusoire tant qu’elle aura pour bases légales des pratiques de reproduction et de représentation non conformes aux modèles de «consommation» des œuvres. Redéfinir le droit de reproduction et le droit de représentation, qui fondent la liberté morale et matérielle des artistes et des créateurs, participe de la lutte contre la confusion de la liberté du citoyen avec l’absence totale de règles, qui induit la dénonciation du droit d’auteur comme atteinte insupportable aux libertés individuelles. La protection de la propriété intellectuelle, essentielle à la création, impose une réforme du droit d’auteur, garant de la liberté de l’artiste, ce qui ne va pas sans remettre en cause des acquis, tels que les règles de l’exclusivité et de la chronologie des médias.

Au-delà du débat hexagonal sur l’Hadopi, cette problématique est celle du traité ACTA qui déchaine la hargne des pirates du Net, au prétexte que l’accès à l’internet est un droit fondamental participant de la liberté d’information. L’utopie d’une mondialisation générant sa propre morale, induit un péril : voir l’homme se retrouver dans la situation de l’apprenti sorcier incapable d’arrêter ce qu’il a lancé. L’inadéquation de modèles économiques et de dispositions adaptées aux médias analogiques, menace la création des œuvres audiovisuelles protégées, jusqu’à présent, par la rigidité d’un cadre réglementaire auquel échappe le monde de l’internet. La faiblesse du pourcentage des produits d’exploitations des nouvelles plateformes revenant aux programmes laisse l’essentiel du financement de la production audiovisuelle à charge des radiodiffuseurs historiques. Or, la multiplication des chaînes[i] et la confusion des marchés publicitaires de la télévision et d’internet réduisent les ressources des radiodiffuseurs. Facturations à l’acte, forfaits et abonnements financent les chaînes cryptées et les services en ligne à péage. Le marché publicitaire se partage entre les chaînes de télévision en claire et les services gratuits du web, au bénéfice de ces derniers. Les européens riches de leurs cultures, mais handicapés par l’étroitesse des marchés, tentent de préserver la diversité culturelle par un financement public de médias de service public.

Dans l’environnement ouvert de la communication numérique, la valorisation des contenants, les tuyaux, par les contenus, les programmes a pour corolaire la juste rémunération des auteurs et ayants droits, sans lesquels il n’y a pas de création.



[i] En France, en six ans, de 206 à 2012, le nombre de chaînes en clair est passé de 6 à 19 -25 en 2013- alors que la gateau publicitaire demeurait stable à 3,5 milliards d’euros.

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