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2017: l’année où l’organisation européenne des années 1990 s’est effondrée
©Reuters

2017, l’odyssée de la fin du monde d’avant

Atlantico a demandé à ses contributeurs leur vision de l’année où la France a vécu de nombreuses surprises et rebondissements et est entrée dans l’ère Macron. Edouard Husson analyse les secousses qui ont bousculé l'Union européenne, telles que la fragilité du leadership allemand ou le retour de la puissance russe.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

Voir la bio »

Ces Européens qui semblaient sûrs de leur fait face à Trump….

Souvenons-nous, il y a un an. Donald Trump était encore « président élu » et attendait de prêter serment. Un establishment européen horrifié du résultat inattendu de l’élection américaine se rassurait en se disant qu’heureusement Angela Merkel allait veiller, depuis Berlin, sur la préservation du libéralisme en Occident, contre tous les populismes. De toute façon, chuchotaient tous les initiés, il était certain, avant même que le président américain ait prononcé son discours d’inauguration, qu’il allait trébucher au premier obstacle, par inexpérience politique; et, si ce n’était pas le cas, s’il survivait politiquement par on ne sait quel sortilège, il fallait s’attendre à ce qu’une procédure d’impeachement soit déclenchée. 

Un an plus tard, le président américain vient de faire passer une réforme fiscale d’envergure au Congrès; il est certes pris dans un bras de fer permanent avec l’establishment washingtonien mais il a réussi à diviser le complexe militaro-numérique en jouant les néo-conservateurs contre les libéraux. Et, tandis que son populisme se teinte de plus en plus de conservatisme, c’est, contre beaucoup de pronostics, Angela Merkel qui a vacillé. Lorsque Trump avait été élu, la Chancelière allemande avait jugé approprié de lui donner une leçon de démocratie et de transatlantisme. Un an plus tard, c’est le président américain qui a rappelé les membres européens de l’OTAN au nécessaire effort budgétaire qu’implique l’appartenance à l’OTAN. C’est lui qui continue, marchant sur les traces de George W. Bush, à exalter les alliés fidèles (tels la Pologne) contre la « vieille Europe » (la France et l’Allemagne). 

….et qui doivent constater la fragilité du leadership allemand

L’alliance chrétienne-démocrate allemande (qui comprend les chrétiens-sociaux bavarois) a fortement reculé lors des élections de la fin septembre 2017, ne rassemblant plus que 33% des voix. Son partenaire de gouvernement, le SPD, parti social-démocrate, a atteint son plus bas niveau historique: 20% des suffrages. Il est certain que la politique d’ouverture massive des frontières de l’Allemagne aux réfugiés du Proche-Orient et d’Afrique à l’automne 2015 a dérouté une partie des Allemands car, derrière un slogan facile (« Wirschaffendas », « nous allons y arriver »), la Chancelière, malgré les surplus commerciaux records du pays, n’a pas mis les moyens appropriés à la réussite de l’effort d’intégration de dizaines de milliers d’Allemands dévoués sur le terrain.  Et quand on laisse entrer un million de personnes en quelques mois, il n’est pas possible que tout se passe de manière optimale. Or, non seulement la Chancelière n’a pas mis de moyens matériels à disposition mais elle a laissé les médias s’installer dans un déni de réalité quand sont apparues des difficultés. Le réveil, lors des élections, a été dur: un parti populiste, l’Alternative fürDeutschland (Alternative pour l’Allemagne) a largement dépassé la barre des 10%, rendant impossible, avec ses 90 députés, la constitution d’un gouvernement à droite (alliance chrétiens-démocrates/libéraux). 

Depuis trois mois, l’Allemagne n’a pas de gouvernement issu des urnes. Madame Merkel se contente de gérer les affaires courantes. Après avoir échoué à constituer une coalition avec les Libéraux et les Verts, elle tente de replâtrer la Grande Coalition avec les sociaux-démocrates. Personne ne sait si ni quand l’Allemagne aura un nouveau gouvernement.

Il faut mesurer ce que cela veut dire pour l’Union Européenne et pour l’Europe en général. L’Allemagne est en effet la première puissance économique du continent. Une petite vingtaine de pays de l’Union ont accepté de partager avec elle non seulement la monnaie mais le mode de gestion de celle-ci. Entre les années 1970 et les années 1990, la RFA a largement pesé sur la définition des règles qui président au fonctionnement de l’Union. Dans les années 1990, une organisation européenne s’est établie, qui était fondée sur un partenariat étroit entre l’OTAN et l’UE et sur la vision d’un élargissement régulier de cette même UE. Entre 2005 et 2015, lorsque l’autorité d’Angela Merkel était incontestée, il semblait évident qu’il ne puisse pas y avoir d’autre organisation du continent européen que centrée sur l’UE et excluant progressivement une Russie jugée étrangère à l’Europe, contre toutes les leçons de l’histoire.

Or toutes ces évidences sont en train d’être balayées. L’organisation européenne qui avait suivi la chute du Mur de Berlin et la réorganisation de l’Allemagne est en train de se disloquer à grande vitesse.

Eclipse allemande, retour britannique

L’’Union Européenne est en grande partie une RFA élargie - moins démocratique et plus confédérale. Le poids du gouvernement allemand y est essentiel; l’absence de gouvernement allemand depuis plusieurs mois va devenir de plus en plus visible; et en admettant que Madame Merkel réussisse à former rapidement un nouveau gouvernement, sa légitimité sera faible; si elle ‘y arrivait pas et que de nouvelles élections aient lieu, il serait, disent les sondages, difficile de constituer une majorité stable. Nous voilà donc face au premier bouleversement européen majeur de 2017: la fin du leadership allemand.

Cette absence de leadership s’est fait sentir au dernier trimestre de cette année. La Commission Européenne avait promis qu’on allait voir sa puissance se déployer. La Grande-Bretagne devrait se soumettre à l’ordre du jour que Bruxelles avait fixé en termes de négociation sur le Brexit. C’était avant que soit connu le résultat des élections parlementaires allemandes. Depuis lors, le ton s’est adouci, Madame May a soudain été traitée sur un pied d’égalité, un accord a été trouvé sur les préalables à la négociation commerciale. Il devient de plus en plus évident que nous aurons un soft Brexit. Après bien des rodomontades, les pays de l’Union savent bien qu’ils ont besoin de la puissance économique et financière britannique. Les entreprises allemandes vont devoir s’adapter à une situation où Berlin ne sera plus en mesure d’imposer leur point de vue. Il va donc falloir se trouver des alliés. Et quels meilleurs alliés que les Britanniques, avec qui on se sent bien plus en affinité qu’avec les partenaires économiquesfrançais? Tel est donc le deuxième bouleversement européen de 2017: le retour, en position de force, de la Grande-Bretagne, dix-huit mois après le Brexit. 

Madrid-Barcelone : l’année des dupes

La Commission européenne est d’autant plus incitée à trouver une via media dans les négociations avec la Grande-Bretagne qu’il s’est produit, plus au Sud, une autre déstabilisation de l’Europe. L’activisme des indépendantistes catalans a provoqué, en retour un réveil national espagnol. Fertile en rebondissements, 2017 a toute l’air d’avoir été une « année des dupes ». Madrid a voulu interdire la tenue d’un référendum sur l’indépendance; ceux qui l’ont organisé malgré tout, à commencer par Puigdemont, n’ont pas tenu le choc d’un bras de fer avec Madrid. Mais décembre a semblé rendre espoir au camp indépendantiste, dont les forces additionnées disposent d’une courte majorité au terme des élections parlementaires catalanes ; encore faudra-t-il que ces partis s’entendent alors qu’Ines Arrimadas, à la tête des partisans du maintien dans le royaume d’Espagne, dirige le premier groupe parlementaire à Barcelone.

La crise, loin d’être terminée, livre le même enseignement que la défaite d’Angela Merkel ou le Brexit : les Etats-nations qui constituent l’Europe sont des constructions complexes, héritées de l’histoire, et la Commission européenne, exposée en première ligne du fait de l’affaiblissement du leadership allemand, apparaît de plus en plus impuissante dès que les sujets deviennent politiques. Beaucoup de ses membres sont sans doute de cœur avec les indépendantistes catalans comme ils ont joué avec l’indépendantisme écossais. Mais qui, à Bruxelles, prendra le risque, de pousser l’Espagne à bout après le fiasco que le Brexit représente du point de vue de l’UE ? De même, il y a fort à parier que les bras de fer engagés par la Commission avec la Pologne ou la Hongrie feront long feu dès que la crise deviendra politique.

Renaissance de la Mitteleuropa et de la puissance russe

Si le troisième bouleversement majeur est l’affaiblissement de la Commission européenne, le quatrième est en effet, la renaissance de la Mitteleuropa, l’Europe centrale, dans un consensus conservateur. Pologne, Hongrie et République tchèque se sont rapprochées dans un commun refus de subir la politique allemande en termes d’immigration. Elles viennent d’être rejointes par l’Autriche qui a porté au pouvoir un Premier Ministre de 31 ans, lequel a construit sa carrière sur l’opposition à l’accueil des réfugiés par Angela Merkel. Avec la Croatie,la Bulgarie et la Roumanie, l’Autriche a rejoint « l’initiative des Trois Mers », lancée par la Pologne, pour réunir cette Europe centrale, qui va de la Baltique à la Mer Adriatique et la Mer Noire et cherche à s’affirmer dans un double refus, celui d’une « Europe allemande » comme celui d’une « Europe russe ». 

Le cinquième et dernier bouleversement européen de l’année est en effet le retour définitif sur le devant de la scène mondiale, de la Russie. Vladimir Poutine, qui sera candidat à sa propre succession en 2018, vient de démontrer sans équivoque sa maîtrise des relations internationales en précipitant, avec un minimum de troupes russes engagées mais un travail diplomatique intense, la chute de Daech en Syrie. Nous autres Européens occidentaux détestons l’idée que, par la même occasion, Bachar El Essad, se voit conforté au pouvoir. Mais nous n’avons rien fait pour empêcher le président russe de prendre la main en Syrie – il aurait pourtant été possible de profiter des contradictions d’une politique américaine empêtrée dans des décennies d’intrigues au Proche et au Moyen-Orient pour proposer un plan de paix « à l’européenne », fondé sur l’unification de toutes les forces réconciliées contre un ennemi commun, le totalitarisme islamiste. C’est Poutine qui a tiré les marrons du feu et il vient, par ce succès, semer le trouble au sein de l’Union Européenne – dont les membres sont de moins en moins convaincus de la légitimité du soutien à l’Ukraine et des sanctions économiques contre la Russie, voulues par la Chancelière allemande.

La France reprendra-t-elle le leadership de l’Union Européenne en 2018 ?

Certains seront tentés, pour compléter la carte des bouleversements européens, d’y ajouter l’irruption sur la scène internationale d’un nouveau président français. Contre toute attente, l’électorat français a porté Emmanuel Macron à la présidence de la République. Mais, durant les premiers mois passés à l’Elysée, le président français a été spectateur plutôt qu’acteur des bouleversements européens. Le bouillonnant quadragénaire devient très prudent dès qu’il s’agit d’Europe. Au point de se faire le petit garçon modèle d’une politique décidée par Valéry Giscard d’Estaing quelques années avant sa naissance. Qu’est-ce que son discours de la Sorbonne sinon la tentative, anachronique, de faire revivre l’idéal de Jean Monnet ?

L’opinion occidentale, orpheline d’Obama et d’Angela Merkel aime à faire du récent locataire de l’Elysée le nouveau champion du libéralisme. N’a-t-il pas repris à son compte le programme écologiste ? N’est-il pas un fédéraliste européen vibrant ? Ne promet-il pas de réformer la France pour en faire définitivement ce que VGE appelait une « société libérale avancée »? En l’occurrence, Emmanuel Macron, s’il se laissait enfermer dans la vision que le monde occidental a de lui, ne serait rien de plus que le dernier souffle de l’individualisme des Sixties. Et sa vision européenne, tournée vers le passé, tend à conforter une telle impression.

Le nouveau président français a beaucoup misé, sinon tout, sur Angela Merkel. Loin de s’adapter à la nouvelle donne monétaire européenne et mondiale, il propose un renforcement du système de l’euro.  Alors que l’Europe du Sud se transforme lentement mais sûrement en un vaste Mezzogiorno, sous le coup d’une politique monétaire européenne aussi dévastatrice pour l’ensemble de l’Europe du Sud que le fut, voici cent-cinquante ans, la politique monétaire de l’Italie du Nord pour l’Italie méridionale, le président français ne remet pas en cause l’orientation préférentielle de la France pour l’Europe du Nord. Loin de tenir compte de la tension croissante entre l’Allemagne merkelienne et les puissances centre-européennes, le président français s’est joint au choeur de tous ces libéraux qui refusent le tournant conservateur de l’Europe centrale. Quand on regarde vers les marges du continent, Emmanuel Macron n’a voulu saisir ni la chance que lui procure le Brexit de rééquilibrer les rapports avec l’Allemagne, ni le retour définitif de la Russie au rang des grandes puissances. La nouvelle donne française n’a donc pas débouché sur un bouleversement. Le potentiel est bien là, en creux, mais jusqu’à maintenant, le nouveau président français n’a véritablement saisi aucune des occasions que lui fournissait l’évolution de la carte européenne. 

Les bouleversements européens indiquent une place à prendre. Avec son énergie, le président français pourrait saisir la place du primus inter pares laissée vacante par Angela Merkel. 2018 nous dira qui, d’Emmanuel, l’enfant des années Giscard, ou de Macron, le président conquérant, l’emportera.

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