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La quintuple rupture du docteur Macron
©AFP

2017, l’odyssée de la fin du monde d’avant

Atlantico a demandé à ses contributeurs leur vision de l’année où la France a vécu de nombreuses surprises et rebondissements et est entrée dans l’ère Macron. Jean Petaux revient sur "l'ampleur" de ce qui s'est passé lors de l'élection présidentielle.

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Le moins que l’on puisse dire c’est que l’année 2017 qui s’achève aura été pour la France et pour le reste du monde une année de grandes surprises. Si le mot « incertitudes » semble le plus adapté pour tenter d’anticiper un minimum sur les situations à venir, le mot « inimaginable » résume le désarroi des observateurs et surtout la succession de rebondissements et retournements totalement inconcevables même dans les plus retors des cerveaux de scénaristes de séries politiques télévisées. Même si tout est lié désormais dans une « société-monde » où l’élection d’un Trump le 8 novembre 2016 et sa prestation de serment sur les marches du Capitole le 20 janvier 2017 impactent tout autant notre pays qu’un attentat sur les Champs Elysées en pleine émission politique pendant la campagne présidentielle, le 20 avril 2017, il convient, pour bien mesurer l’ampleur de ce qui s’est passé en France avec l’élection d’Emmanuel Macron le 7 mai 2017, de revenir sur cinq « lois » non écrites certes mais considérées jusqu’alors comme des « axiomes » (au sens aristotélicien du mot : « point de départ d’un raisonnement considéré comme non-démontrable ») de la vie politique française depuis 1958, pour les plus anciens de ceux-ci. En ce sens la victoire d’E. Macron s’apparente bien à un pentagone explosé.

1)Pour être élu président de la République en France il faut impérativement s’appuyer sur un parti politique.

Cette « loi » est la plus ancienne. Le rôle des partis politiques est d’ailleurs explicitement inscrit dans le texte constitutionnel du 4 octobre 1958. L’article 4 leur reconnait plusieurs fonctions dont la moindre n’est pas celle qui est citée en premier : « Les partis et groupements politiques concourent à l’expression du suffrage ». On a certes pensé, et le général de Gaulle n’est pas pour rien dans cette « représentation », que l’élection présidentielle française, surtout depuis la réforme constitutionnelle d’octobre 1962 instaurant le suffrage universel, était la rencontre « entre un homme et son peuple ». Variante : entre un « destin et les Français ». La formule sentait bon, non pas le « sable chaud »,mais l’aventure personnelle et politique. Encore que l’épopée électorale solitaire pouvait, par certains côtés, prendre des allures de « Fort Saganne »…. En réalité il n’en fut rien et toutes les élections présidentielles depuis 1965 ont donné lieu à des stratégies partisanes. En 1965, les bataillons du parti gaulliste UDR se mettent en ordre de bataille, en rang serré (SAC compris) dès que le général de Gaulle décide de redescendre dans l’arène, entre les deux tours, pour faire campagne début décembre. En face, tous les partis de gauche s’étaient ralliés, avant même le premier tour, à la candidature Mitterrand dont la CIR était le plus petit dénominateur commun. En 1974 : Giscard « plante » Chaban grâce à Chirac et à ses 43 parlementaires dissidents de l’UDR. En novembre 1979, dans un congrès national du PS qui se tient à Metz et qui est plus que tendu, Mitterrand écrase la tentative de meurtre (« politique » s’entend…) de Rocard par une alliance partisane digne des plus belles manœuvres d’appareil. En 1995, Chirac parvient à contrer Balladur grâce à son contrôle de l’appareil du RPR. Sarkozy prend, dans une grand’messe « hors de prix » (« Bonne chance mon Papa » du petit Louis) le contrôle de l’UMP en 2004 pour l’emporter triomphalement à la présidentielle de 2007 et, du fait de cette logistique toute puissante dissuade toute tentative de concurrence (Villepin d’abord, Juppé ensuite au grand dam de Jacques Chirac qui lui en voudra d’ailleurs). Tous ces exemples le montrent : en l’absence du soutien d’un parti la conquête du trophée suprême est réputée impossible.

Les contre-exemples confirment évidemment l’axiome premier : Poher n’a pas de parti en 1969, Pompidou ne lui laisse aucune chance au second tour alors que la gauche est, comme en 2017, totalement absente de la compétition ; Raymond Barre a fait de sa détestation des partis politiques une quasi-marque de fabrique. Il pense que le slogan « Barre-Confiance» va lui tenir lieu de viatique pour l’emporter en 1988… C’est oublier que le RPR de Chirac est lui bel et bien là et que l’UDF, que Barre méprise, fait bien pâle figure à côté du parti néo-gaulliste. Résultat : Barre finit 3ème au soir du premier tour avec 16,54% des voix, (3,42% de moins que Chirac mais quand même un peu plus d’un million de voix en moins par rapport aux 6.075.160 obtenues par le premier ministre candidat). Dernier exemple pouvant être mobilisé ici : celui de l’échec de Ségolène Royal en 2007. Ses relations personnelles avec le premier secrétaire national du PS d’alors (François Hollande) étant ce qu’elles étaient, celles de sa structure « Désirs d’Avenir » avec le Parti Socialiste n’étant pas vraiment meilleures, tous les protagonistes de cette affaire, à partir de janvier 2007 ont prédit que la candidate investie par le PS échouerait (et ont même, pour certains, fait ce qu’il fallait pour). Encore une fois, la loi se confirmait : « pas de parti, pas d’Elysée ».

Emmanuel Macron a totalement rompu avec ce premier axiome. Quand il se lance, il n’a ni parti, ni appareil derrière lui. Cette absence participe pour beaucoup à la création de la fameuse « bulle Macon » : « Ce type est seul, il n’a aucune logistique partisane derrière lui, ce n’est pas possible d’arriver à l’Elysée ainsi : forcément la bulle va éclater ». C’est le commentaire le plus communément répété alors. La bulle n’a pas seulement éclaté, elle a littéralement explosé, détruisant tout autour d’elle et ne laissant qu’une personne debout : Macron qui était dedans.

2)Pour être élu président de la République en France il faut avoir une histoire derrière soi, un ancrage territorial, une expérience électorale.

Passons sur le général de Gaulle : il n’avait pas une histoire derrière lui, il était carrément l’Histoire à lui tout seul. Mais intéressons-nous à ses successeurs. Georges Pompidou : voilà une histoire française, bien française. Un fief électoral, même s’il l’a trouvé sur le tard (à partir de 1965 puis des législatives de 1967) : Cajarc dans le Lot ; un parcours méritocratique parfaitement républicain pour le fils et petit-fils d’instituteurs cantaliens, né à Montboudif, ancien élève de Normal Sup’ et major à l’agrégation de Lettres en 1934. Quand Pompidou est candidat à l’Elysée en 1969, il ne fait que confirmer ce qu’une grande majorité de Français imagine être dans « l’ordre des choses » :  de Gaulle ne l’avait-il pas mis « en réserve de la République » après 6 années de « bons et loyaux services » à Matignon ?

De Giscard on retiendra Chamalières, « sa » ville, celle d’où il présente sa candidature élyséenne. La ville qui imprime les « billets de banque » de la Banque de France, ce qui lui va comme un gant puisqu’il est lui-même le « grand argentier du pays » depuis… on ne compte même plus entre les « années de Gaulle » et les « années Pompidou ». Alors certes Chaban lui aussi a une histoire (la Résistance), une expérience à Matignon (la « Nouvelle Société »), un ancrage (Bordeaux) mais la jeunesse de VGE fait la différence. Il faut une histoire personnelle et des succès électoraux mais il faut aussi donner le sentiment qu’on va faire le job et qu’on va bien le faire. Mitterrand ! Quelle(s) histoire(s) !... On n’épiloguera pas mais aller pousser la métaphore jusqu’à comparer le nombre de tentatives d’évasion du Stalag au nombre de candidatures à la magistrature suprême pour finir par conclure que, dans les deux cas, la troisième fut la bonne, reste un cas unique de réécriture structurale de sa propre histoire. Les successeurs de Mitterrand à l’Elysée, comme ses prédécesseurs ont tous connu des élections locales ou nationales (maires, conseillers généraux, députés, etc.) parfois, comme Chirac, plus de 30 ans avant de s’installer au « Château ». L’horizon départemental a d’ailleurs eu les faveurs de quatre présidents sur huit puisqu’ils furent quatre à présider, avec des compétences et des statuts différents, un département : Mitterrand (Nièvre), Chirac (Corrèze), Sarkozy (Hauts-de-Seine) et Hollande (Corrèze). La mandat local ou national c’était le « permis de chasser » élyséen. Les « classes » (comme on disait à l’époque du Service militaire) du candidat au fauteuil suprême. Une succession de rites initiatiques, de rites de passage. On a vu un président battu en 1981, sombrer dans une dépression profonde et réapparaitre en 1982 en disant qu’il allait « refaire tout le parcours » (sous-entendu « pour revenir à l’Elysée ») et recommencer par être conseiller général de Chamalières… Les adversaires de Giscard s’en gausseront mais on mesure ici l’importance du mandat pour justifier d’une forme de légitimité à se présenter.

Emmanuel Macron pour sa part n’a même pas été élu délégué de classe. Il l’aurait été nous l’aurions su. Comme il est le premier président à n’avoir pas fait son « Service national » il ignore totalement ce qu’étaient « les classes » et donc il s’est affranchi de la « traditionnelle » propédeutique électorale.

Quant à l’histoire il n’en a présenté qu’une seule qui a tenu lieu de roman à la place de toutes les autres : son histoire privée et personnelle qu’il n’a ni dissimulée ni mise excessivement en scène. Elle se suffisait à elle-même en quelque sorte pour accréditer l’idée d’un « candidat transgressif » et d’un futur président « disruptif ».

En tout état de cause, voilà un deuxième axiome réduit à l’état de cendres : « pas de mandats antérieurs, pas de présidence de la République ».

3)Depuis 2002 et le risque de présence d’un candidat FN au second tour, les deux grands partis de gouvernement (UMP et PS) doivent impérativement organiser des primaires

Cette thèse a mis du temps à s’imposer dans les états-majors des deux grandes formations politiques dites de « gouvernement ». Elle trouve son origine dans des évolutions profondes propres aux partis politiques et dans des éléments de conjoncture qui relèvent plus de la contingence que de la stratégie politique rigoureusement pensée. 21 avril 2002 : le « coup de tonnerre » est surtout un « coup au but ». Le candidat PS est éliminé dès le 1er tour. Rien de déshonorant au demeurant par rapport au score ridicule de l’ancien petit leader-manipulateur du Mouvement des Jeunes Socialistes (MJS) cette année 2017. Mais il n’empêche… Déjà en 1995 le mode de désignation du candidat socialiste à la présidentielle, deux ans après la Bérézina des législatives de 1993, entre Jospin (qui allait l’emporter) et Emmanuelli avait préfiguré, par cette élection directe par les adhérents, d’une forme de transformation du parti en une « machine électorale » totalement éloignée des principes initiaux et fondateurs du parti de Jaures et de Guesde. En 2005 des « primaires » semi-ouvertes avec des adhésions à 20 € sont prévues au PS pour les prochaines présidentielles. Elles vont voir « sortir du chapeau » la plus « étrange » des candidatures, la moins crédible et donc, au bout du compte, la plus facilement battable qui soit par un Nicolas Sarkozy en pleine gloire et au sommet de son art. Au point que François Bayrou qui n’en attendait pas autant a bien failli se qualifier, lui, pour le second tour en mai 2007. Bluffés par le succès des « primaires citoyennes » (comprendre « socialistes ») de novembre 2011, les cadres dirigeants de l’UMP, après moultes hésitations, se lancent à leur tour dans l’aventure… Et toute l’année 2016 est occupée par deux questions majeures : est-ce que Sarkozy va refaire son retard sur Juppé pour la primaire de la droite ? est-ce que Hollande doit passer par la case primaire s’il veut se représenter en 2017 ? On connait les deux réponses. Les primaires étaient considérées comme les points de passage obligés pour l’emporter à la présidentielle. Elles étaient dotés d’un double effet « kiss-cool » : 1) empêcher la discorde et la multiplication de candidatures « dissidentes » comme celles qui « grignotèrent » le capital électoral de Lionel Jospin le 21 avril 2002 au point de le faire passer derrière Jean-Marie Le Pen (candidatures Taubira, Chevènement, Mamère, Hue) et 2) servir de « booster » au candidat en le propulsant, grâce à une « belle légitimité » acquise lors des primaires, sur la ligne droite de l’Elysée. On connait là aussi la suite. En guise de propulsion, Fillon s’est arrêté place du Trocadéro après un passage remarqué au stand « Parquet national financier » et un changement de costume à la maison Arnys. Quant à Benoit Hamon autre « héros »d’une primaire ridicule qui tenait plus du jeu de massacre que la dignité politique, il passa le reste de son temps à vouloir nouer des alliances avec les Verts (eux-mêmesempêtrés dans une insignifiante compétition interne) ou avec un Mélenchon qui le méprisait encore plus que tous les autres candidats puisqu’ils avaient été camarades d’apprentissage chez Michel Rocard en 1988.

Emmanuel Macron pour sa part n’a fait acte de candidature à aucune primaire. Il n’a demandé aucune investiture.Et s’est retrouvé totalement libre de ses mouvements dès lors qu’il a quitté le gouvernement le 30 août 2016.

Emmanuel Macron a littéralement ignoré le troisième axiome qui a commencé à s’appliquer depuis 15 ans dans la vie politique française et qui s’est généralisé en 2007 puis après 2012  : « pas de victoire à une primaire, pas de candidature possible ».

4)De l’Europe tu ne parleras pas sauf pour la dénoncer et tu t’en serviras comme exutoire

Il était acquis que pour être élu président de la République, au moins depuis Pompidou (le cas de Gaulle était, là encore tout à fait à part) il fallait être un ardent Européen. Mais un Europhile d’autant plus enthousiaste qu’il se devait, au fur et mesure que le XXème siècle s’avançait vers sa fin et que le XXIème débutait dans le bruit et la fureur des tours jumelles effondrées au petit matin du 11 septembre 2001, d’être de plus en plus discret dans l’expression de ses sentiments européens. En 1972, Georges Pompidou rompt spectaculairement avec la doctrine de son glorieux prédécesseur-mentor et ouvre grandes les portes de la CEE (alors) au Royaume-Uni de M. Heath. Le rusé cantalien a même l’idée de proposer cette adhésion aux suffrages des Français dans un référendum dont ils ne sont pas dupes : la raison profonde de cette consultation est d’enfoncer un coin dans la toute nouvelle Union de la Gauche vagissante entre un PS « pro-européen » et un PCF encore très « moscouvite »… Mais il reste que Pompidou était un authentique europhile. Chirac, son fils préféré, cru faire le malin avec son fameux « appel de Cochin » écrit par le redoutable tandem « Juillet-Garaud » en décembre 1978. Il faut relire ce texte : son style, son ton, sa véhémence sont tels qu’on jurerait une parodie des « Guignols de l’Info » qui se moqueront quotidiennement de Chirac dans les années 90. Quand il voudra clairement afficher ses ambitions présidentielles et surtout se donner les moyens de réussir, sans pusillanimité, Jacques Chirac ralliera alors le camp des europhiles( choix du « Oui » pour le traité de Maastricht en septembre 1972). Voilà la tendance jusqu’au « non » français au référendum sur le TCE (Traité constitutionnel européen), le 29 mai 2005 : les personnalités politiques françaises qui veulent exercer le mandat suprême ne cachent pas leurs sympathies pro-européennes. Elles le font avec plus ou moins d’entrain et d’enthousiasme mais elles assument. Se rallient même parfois. Avec la victoire du « non » les choses changent. La poussée du FN est telle qu’il ne fait pas  bon se revendiquer « pro-européen ». L’Europe devient la « Madame Malaussène », pour paraphraser Daniel Pennac, des principales formations politiques françaises. Les mesures de rigueur ? (toutes adoptées et signées par la France à Bruxelles…) : c’est l’Europe ! Les règlements tatillons ? (tous votés par la France à Bruxelles…) : c’est l’Europe ! Les immigrés ? : c’est l’Europe qui n’est pas capable de les arrêter…. Bref l’Europe est désormais cause et principe de toutes choses pour peu qu’elles soient néfastes (ou tout simplement pas comme il faudrait qu’elles soient)…. Ce qui, avouons-le, offre des perspectives infinies d’insatisfaction et de rejet d’Europe…

Progressivement donc on a vu non seulement la plupart des candidats, et surtout les principaux favoris, en 2007, en 2012 et bien évidemment en 2017, aux primaires comme aux « vraies » élections, multiplier les critiques, les promesses de renégociation, les « vous allez voir ce que vous allez voir », les « Madame Merkel n’a qu’à bien se tenir », etc. Sans parler d’un Montebourg comparant l’Allemagne d’aujourd’hui à la Prusse de Bismarck ou d’un Mélenchon se prenant pour Tsipras tant que Tsipras n’était pas au pouvoir à Athènes… A ce jeu de dupes, les Français se sont pris au jeu de penser qu’ils allaient faire tourner les tables en Europe alors qu’ils étaient plus moqués qu’admirés, plus impuissants qu’actifs.

Emmanuel Macron a, là encore, choisi une toute autre posture. Assez unique en son genre puisque c’est la première fois qu’un candidat (affichant clairement ses ambitions de victoire) a osé se présenter avec le drapeau bleu aux étoiles d’or de l’Europe systématiquement dans tous ses meetings et cela depuis le début de sa campagne. Avec lui l’Europe n’était plus le « punchingball » facile du bateleur Mélenchon ni le repoussoir argenté de la candidate FN, tout juste susceptible d’employer des collaborateurs parlementaires. Macron a remis l’Europe au « milieu du village gaulois », en pleine campagne électorale. Ce n’était pas que courageux, c’était aussi prometteur pour la suite des opérations. On a tendance à le constater aujourd’hui par exemple sur la question des « travailleurs détachés ».

L’axiome N°4 en vigueur surtout depuis mai 2005, mais sous-entendu déjà depuis 1972 : « L’Europe est le lieu maudit des Français et nous met sous la domination germano-libérale » a été pulvérisé par Emmanuel Macron.

5)Pas de programme, ou au moins pas de slogan : pas de victoire

Qu’on s’en souvienne… VGE en 1974  « Giscard à la barre » ou encore « Le changement dans la continuité ». Mitterrand en 1981 : « La force tranquille » ou encore « Changez la vie » (phrase de Rimbaud devenue le principal slogan du PS dans les années 1970) ; en 1988 : « La France unie » et juste avant « Génération Mitterrand » pour accréditer l’idée que toute une génération ayant « grandi » sous Mitterrand s’identifiait à lui. Chirac en 1995 : lutter contre « la fracture sociale ». Sarkozy en 2007 : « Travailler plus pour gagner plus ». Hollande en 2012 : « Le changement c’est maintenant » ou encore « La finance est mon ennemi ». On dira que tout cela c’est de la communication. Qu’il faut considérer ces phrases chocs comme autant de slogans de « pubars » qui ne disent rien d’un programme politique. Certes elles ne sauraient contenir à elles seules la totalité d’un projet présidentiel. Mais il reste que, au-delà des mots, ces paroles sont restées justement. Elles sont demeurées présentes dans les mémoires parce qu’elles ont « imprimé » en quelque sorte. Autrement dit elles ont fonctionné comme autant de « symboles » donnant du sens et collant à la figure du candidat qui allait l’emporter. Bien évidemment qu’elles ont pu se retourner contre leur auteur. François Hollande y regarderait sans doute à deux fois si, aujourd’hui, on lui proposait de prononcer la fameuse phrase du discours du Bourget de janvier 2012 sur « la finance »… Car elle lui a collé aux doigts pendant cinq années, tel le sparadrap du capitaine Haddock dans « Vol 714 pour Sidney ». Quant à François Mitterrand, que rien n’arrêtait, alors que Jean-François Revel lui montre, en 1985, les « 110 propositions du candidat Mitterrand » présentées début 1981, il se tourne vers lui et lui dit, sans rire : « Ah  bon, « ils » avaient promis ça aussi ?… ». Dans la famille « cynisme politique », demandez « le père ».

Qui peut dire aujourd’hui, tout juste 7 mois après son élection, quelle a été la phrase choc d’Emmanuel Macron ? Son « totem  électoral » ? En dehors du fameux « Parce que c’est notre projet ! » qui se perd dans les aigüs, il ne reste rien. Hormis un tic de langage qui revient comme un mantra : « En même temps ». Cette proposition indexicale comme disent les linguistes est devenue un « acte de langage » pour parler comme J.L. Austin (« Quand dire c’est faire », Point, Seuil). Elle accrédite aujourd’hui le « et de droite et de gauche ». Mais elle révèle surtout un avantage tactique redoutable. Comme Emmanuel Macron n’a pas vraiment (en dehors de l’Europe) asséné un programme tranché et net, entretenant le « en même temps » sur tout, il peut désormais dire constamment et répéter à l’envi : « Je fais ce pourquoi j’ai été élu ». Et de cela, les sondages le montrent spectaculairement, les Français lui en sont gré.

C’est le cinquième axiome qu’aura ainsi éradiqué Emmanuel Macron : celui de la nécessité d’un programme et d’un slogan phare pour se faire élire. En réalité il n’en a pas affiché un seul : en même temps il en montrait plusieurs ce qui lui permet, aujourd’hui, de mettre en œuvre celui qui lui convient. Au rythme intense qu’il a clairement affiché en revanche.

Pour « poursuivre en marche », en guise de conclusion…

On l’a peu noté et c’est regrettable. Il y a eu peu de « couples » au sommet de l’Etat, entre le président de la République et le premier ministre (la fameuse dyarchie) où les deux étaient des énarques.

Si l’on compte 23 premiers ministres depuis 1958, il n’y a eu que 4 cas où les deux titulaires « en même temps » des deux plus hautes fonctions de l’Etat en France étaient passés par l’ENA.1974 : Giscard (PR) – Chirac (PM) ; 1995 : Chirac (PR) – Juppé (PM) ; 2005 : Chirac (PR) – Villepin (PM) et depuis mai 2017 : Macron (PR) – Philippe (PM). Pour être rigoureux il faudrait ajouter le cas particulier de la 3ème cohabitation entre 1997 et 2002 avec Chirac à l’Elysée et Jospin à Matignon, mais on conviendra que cette configuration est très particulière.

Certains observateurs interprètent la victoire de Macron à la présidentielle du printemps 2017 comme le fruit d’une volonté affirmée d’une partie de la haute fonction publique française de provoquer un choc tellurique inédit en faisant en sorte qu’explose le « vieux » clivage droite-gauche au profit d’une ligne de partage en cours de traçage entre « in et out », entre ceux qui sont dans la mondialisation et ceux qui ne s’y retrouvent pas, entre conservateurs et évolutionnistes. C’est peut-être ce qui explique que désormais les cadres structurants de la vie politique française n’ont pas encore fini de bouger sur leurs bases et que d’autres axiomes pourraient bien, à leur tour, voler en éclat.

Pour le plus grand bonheur des observateurs qui y trouveront matière à exploration des forces de changement confrontées aux forces de maintien. Pour la plus grande surprise de celles et ceux qui seront concernés, demain, par ces nouvelles explosions… ./.

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