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"J'étais dans ma maison et j'attendais que la pluie vienne" : ce n'est pas joyeux, mais c'est très profond et très fort
©Capture d'écran

Atlanti-culture

Jean-Luc Lagarce n'est pas un écrivain connu du grand public et, pourtant, c'est l' auteur de théâtre contemporain le plus joué en France. A juste titre, car il excelle dans la description d'un univers très sombre, comme en témoigne la pièce présentée au Théâtre du Nord Ouest.

Danielle Mathieu-Bouillon pour Culture-Tops

Danielle Mathieu-Bouillon pour Culture-Tops

Danielle Mathieu-Bouillon est chroniqueuse pour Culture-Tops.

Culture-Tops est un site de chroniques couvrant l'ensemble de l'activité culturelle (théâtre, One Man Shows, opéras, ballets, spectacles divers, cinéma, expos, livres, etc.).
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THEATRE

J'étais dans ma maison et j'attendais que la pluie vienne

de Jean-Luc Lagarce

Mise en scène : Magalie Claustres

Avec Hélène Martinez, Noëlie Merlo, Magalie Claustres

Marie-Cécile Veyrenc, Elidie Duranton

 INFORMATIONS

Théâtre du Nord-Ouest

13, rue du faubourg Montmartre Paris 9ème

Jusqu' au 3 février

Réservations: 0616885472

RECOMMANDATION : EXCELLENT 

THEME 

Dans un univers clos, éloigné, campagnard, une mère et ses cinq filles attendent. Depuis le départ du petit frère, disparu après une altercation avec son père plus forte de d’habitude ; il a passé le virage de la route et s’en est allé. On apprend très vite qu’il est revenu, après tant de temps, qu’il s’est effondré sans dire un mot et qu’il dort dans sa chambre. On ne le verra jamais. Cette absence, plus lourde qu’une présence, obsède ces cinq femmes qui, d’une certaine manière, ont sacrifié leur vie à l’attendre.

POINTS FORTS

1 – La pièce est magnifique. Une infinie poésie s’en dégage, par le langage d’abord, par cette forme de musicalité dans la scansion du texte, par des répétitions qui rythment le verbe. La mise en scène œuvre avec délicatesse au service de la pièce et de sa poésie, avec cinq femmes, toutes de noir vêtues, qui laissent à penser à la tragédie familiale qui s’est déroulée dans ce huis clos. Les seules couleurs viennent des personnages dont chacun à sa propre tonalité. 

Je n’ai pu m’empêcher de penser à Lorca. C’est un compliment bien sûr, mais il y a quelque chose de «  la Maison de Bernarda Alba », dans le spectacle. Peut-être suis-je victime de mon imagination ?

2 – J’ai particulièrement apprécié la partition de Magalie Claustres, avec des larmes et des sourires. C’est elle qui raconte l’attente d’avant et nous fait vivre ces moments où le temps s’étire dans ces univers solitaires. La mère particulièrement digne, raidie dans sa douleur au milieu de ses filles qu’elle n’a finalement pas incitées à vivre. Toutes dépeignent selon leur couleur, cette attente, cette incompréhension, ces vies gâchées.

3 – On a l’impression que c’est le retour de ce fils prodigue qui a débloqué la parole de ces femmes, chacune ressassant dans son esprit ce qu’il pouvait y avoir à penser. Avec le temps chaque fille a écrit sa propre version de l’histoire, celle qui l’arrange. Pourtant il y a des rires entre elles, des disputes, de la colère, quelque chose qui ressemble encore un peu à de la vie.

4 – Le personnage de la très jeune, très bien saisi par Noémie Merlo, celle qui était trop petite, celle qui ne comptait pas et qui pourtant a tout ressenti, crée le choc entre les autres. Il va y avoir des explications, houleuses, des rancunes, mais il y a toujours un reste d’amour et de tendresse. On se prend à espérer que cette dernière pourra s’en sortir ; la seconde fille qui rêve de sa robe rouge y parviendra peut-être. L’énergie de l’aînée laisse entendre, un instant qu’elle pourrait aussi un jour, enfin trouver un véritable amour… Mais tant de temps est passé, l’usure a fait son œuvre sur les corps, sur les cœurs… La plus vieille qui n’a plus d’illusion depuis longtemps est la seule à oser aller voir l’origine du bruit de la chambre qui a alerté la mère. Elles ont repris leurs places, peut-être resteront-elles ainsi, toutes les cinq, cloîtrées dans leur sacrifice commun.

POINTS FAIBLES 

C’est une production modeste, mais talentueuse et respectueuse de l’auteur. Je n’ai pas perçu de point faible.

EN DEUX MOTS 

Jean-Luc Lagarce, trop tôt disparu, était un véritable auteur, un poète, et cette pièce a la beauté et la grandeur d’une tragédie. 

UN EXTRAIT

«  Ce que nous faisons, le reste de la nuit, toute cette nuit, aujourd’hui, la nuit de son retour, le jeune frère, ce qu’on fait, on ne se couche pas, on chante notre chanson, on danse notre danse un peu lente, toutes les cinq, toutes toujours comme nous l’avons toujours été, comme nous avons toujours appris à le faire, toutes ces années perdues, notre pavane pour le jeune homme, cette histoire-là. »

L’AUTEUR

Jean-Luc Lagarce (1957-1995) est actuellement l’auteur contemporain le plus joué en France. Son œuvre connaît un succès grandissant depuis sa disparition. Elle est traduite en vingt-cinq langues. Il a fait des études philosophiques et écrit une dizaine de pièces dont certaines ont été adaptées à l’écran ou figurent au programme des études de Lettres ou de Théâtre

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