Et si la crise ressuscitait la politique mise à mal par les technocrates depuis 40 ans... <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Et si la crise ressuscitait la politique mise à mal par les technocrates depuis 40 ans...
©

Résurrection

A l'exception des populistes, les candidats de 2012 ne promettent plus un nouveau modèle de société alors que l'élection présidentielle se fait dans un contexte de crise historique. Mais pouvons nous encore nous contenter d'élus gestionnaires ?

Dominique Reynié

Dominique Reynié

Dominique Reynié est professeur des Universités en science politique à l’Institut d’études politiques de Paris et directeur général de la Fondation pour l'innovation politique (Fondapol).

Il est l'auteur de nombreux ouvrages dont Populismes : la pente fatale (Plon, 2011).

Voir la bio »

Atlantico : La campagne présidentielle peine à susciter le même entrain qu'il y a cinq ans auprès des électeurs. On entend peu de promesses des candidats, plutôt de petites mesures. Sommes-nous entrés dans une nouvelle ère de la politique ?

Dominique Reynié : Cette campagne a une caractéristique historique : elle se déroule sur un arrière fond extrêmement grave sur le plan des finances publiques et de la politique économique française et européenne. C'est ce qui explique cette situation.

On aurait pu imaginer que ce contexte allait dominer la campagne par sa gravité. Mais au contraire, il semble qu'il soit évacué par les candidats qui ne veulent pas en tirer les conséquences, c'est-à-dire modifier en profondeur leur façon de gouverner. Il y a de la peur, de l'incompréhension et de l'incapacité, car cela les force à penser très différemment la politique ; en particulier une élection présidentielle qui consiste généralement à dire, ce qui est maintenant impossible : « votez pour moi et je résoudrai les problèmes ».

J'ai été très frappé de voir que tous les candidats admettent qu'il y a un problème budgétaire. Le déficit à résorber par an se situe entre 80 et 100 milliards d'euros par an. Mais là où on voit cette incapacité culturelle ou politique à aller au-delà de ce constat, c'est que devant cette montagne la seule réponse est une hausse des prélèvements. Aucun des candidats n'a proposé de pistes de réduction de la dépense publique.

Tout se passe comme si on avait mis sous cloche la discussion, pour surtout ne pas parler du monde et de l'époque. D'où des petites mesures qui sont de l'ordre d'un ministre ou d'un secrétaire d'Etat, pas d'un président et encore moins d'un candidat à l'élection présidentielle qui devrait théoriquement partir de ce constat pour définir un horizon et un projet politique mobilisateur.

Cette prégnance de la crise dans la campagne marque-t-elle la fin de la politique, avec la technique qui dicte sa loi à l'économie, qui dicte sa loi à la politique ?

C'est l'inverse. Jusqu'ici, nous avions affaire à des techniciens, puisque la politique consistait à émettre des promesses qui étaient financées par de la technique financière, de l'emprunt principalement.

C'est maintenant que la politique va commencer. Les responsables devront arriver à penser la société française de manière fondamentale et non plus comme de simples techniciens gestionnaires, à penser un projet qui permet de faire vivre nos valeurs avec des moyens qui ne seront plus les mêmes, car on ne pourra plus emprunter chaque année 60 milliards. Il va vraiment falloir de la politique au sens premier du terme.


Ce n'est pas ce qu'on voit dans la campagne...

Non, on ne le voit pas. Je ne pensais pas que les candidats seraient à ce point dans le déni, pour reprendre la une de The Economist. Je pensais que le réel les forcerait à en parler beaucoup, mais ils sont trop déstabilisés pour cela. Ce n'est pas un problème d'âge, Nicolas Sarkozy et François Hollande ne sont pas des ancêtres, c'est un problème de culture, de difficulté à faire droit au réel tant il vient percuter une très ancienne façon de gouverner en France, celle d'un Etat-providence très dépensier.

La réelle politique devrait faire son retour en en 2017 ou 2022, sous la pression de la crise. On remarque d'ailleurs qu'elle a déjà commencé à revenir, avec les populistes. Eux ne font que de la politique, pas de la technique. Allez expliquer à Jean-Luc Mélenchon que son projet coûte 100 milliards... ce n'est pas son sujet ! C'est pareil avec Marine Le Pen.

Les techniciens, du moins ce qu'il en reste, sont en difficulté car discrédités. Ils se disent compétents, donnent des leçons au monde entier, mais les gens voient bien que la situation est catastrophique et qu'ils en sont responsables. On voit donc apparaître deux compétiteurs qui se caractérisent par un discours politique qui effraye notre ami François Langlet, qui représente le bien. Les techniciens ont pour habitude de passer les programmes au tamis de la technique mais ne comprennent pas que, même lorsqu'ils ne correspondent pas à la norme, les électeurs peuvent quand même s'y intéresser, car ils ont une demande forte de formulations politiques en réaction à la crise.


Pour autant, penser une nouvelle politique n'est pas suffisant. Ne faut-il pas des techniciens pour l'appliquer ?

Bien sûr, mais pas au même moment. Notre modèle actuel hérité de la libération, qui est en train de mourir, est parti d'une réflexion très politique remontant à la fin du XIXe siècle sur les notions de solidarité, de lien social, de redistribution. C'est bien plus tard qu'on l'a mis en œuvre avec des dispositifs publics qui ont permis de rendre fonctionnels ces concepts. Il faut donc des techniciens, mais avant de les lancer, il faut un véritable travail politique de discussion sur le modèle de société dans lequel nous voulons vivre, avec les ressources encore disponible.


A l'heure de l'Europe, les hommes politiques français ont-ils les capacités de mener ce travail de manière indépendante ?

Je ne crois pas. D'ailleurs, j'ai trouvé que l'Europe était très présente dans la campagne. Jean-Luc Mélenchon s'est affiché avec Oskar Lafontaine (le fondateur du parti allemand Die Linke, ndlr), Marine Le Pen est allée en Autriche rencontrer d'autres formations nationalistes, Eva Joly est allée soutenir les Grecs, François Hollande s'est déplacé à Londres et Berlin, Nicolas Sarkozy a le soutien de plusieurs dirigeants... Cette présence de l'Europe dans la campagne -et pas seulement sous la forme d'un problème- est inédite. D'ailleurs Nicolas Sarkozy a mentionné la nécessité, pour que la souveraineté existe, de l'activer avec les voisins. C'est donc une sorte de souveraineté européenne et un paradoxe de l’élection présidentielle : on nous demande d’élire quelqu'un qui ira négocier avec les autres.

Pour beaucoup d'électeurs, l'Union européenne est pourtant la quintessence de cette politique technocratique, où les hommes politiques n'ont pour fonction que de discuter des virgules sur les traités. Est-ce la bonne voie ?


L'Europe est technocratique car personne ne veut d'une Europe politique. La seule chose que les chefs d’État et de gouvernement la laissent faire, c'est de la technique. A chaque fois qu'il y a une politisation d'une décision, ils interviennent pour dire que ce n'est pas ce qui était prévu.

Pour redonner sens à la politique, il faut donc aller vers une européanisation de la puissance publique. Il faut des budgets communs plus importants, des politiques communes en plus grand nombre. Cela permettra d'avoir une capacité d'action plus grande et de réaliser des économies d’échelle. Cela suppose de sortir de cet espèce de nationalisme orgueilleux qui est au cœur de notre système politique et de l'élection présidentielle.

Propos recueillis par Morgan Bourven

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !