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Génération “enfultes” : ces adultes dont les comportements se calquent sur ceux des enfants  (et pas seulement pour leur liste de cadeaux Noël)
©Reuters

Phénomène

Garder une âme d'enfant peut-être une bonne chose... à condition de ne pas oublier que l'on est un adulte ! A l'arrivée des fêtes, il est parfois compliqué de savoir qui, des parents ou des enfants, est le plus excité à l'idée de recevoir ses cadeaux.

Michel Fize

Michel Fize

Michel Fize est un sociologue, ancien chercheur au CNRS, écrivain, ancien conseiller régional d'Ile de France, ardent défenseur de la cause animale.

Il est l'auteur d'une quarantaine d'ouvrages dont La Démocratie familiale (Presses de la Renaissance, 1990), Le Livre noir de la jeunesse (Presses de la Renaissance, 2007), L'Individualisme démocratique (L'Oeuvre, 2010), Jeunesses à l'abandon (Mimésis, 2016), La Crise morale de la France et des Français (Mimésis, 2017). Son dernier livre : De l'abîme à l'espoir (Mimésis, 2021)

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Atlantico : Le phénomène des "kidults" monte en puissance en Corée du sud : ces jeunes adultes de 20 à 40 ans consacrent une grande part de leur budget à l’achat de jouets tels que des legos ou des divertissements de haute technologie, pour un prix conséquent. Le mouvement a-t-il la même ampleur en France ?

Michel Fize : Les jeux vidéo le montrent, les premiers utilisateurs ne sont plus les adolescents, qui ont été pionniers en ce domaine à une époque, mais les adultes. On peut simplement se dire que ces adultes sont d’anciens ados qui ont commencé à jouer tôt, et qui n’ont jamais arrêté, mais je considère que cela en dit long sur notre société, qui est en crise. Tout naturellement, les adultes cherchent à oublier cet état de crise.

Parallèlement à cela, nous nous trouvons dans une société qu’un grand ethnologue a appelé la « société des loisirs » : tout y est ludique, amusement et pitreries, dont on voit chaque jour des exemples sur internet, même lorsque c’est pour la bonne cause. Je pense notamment à l’Ice bucket challenge.

Dans notre monde, le sérieux est mis à distance. Le sérieux, c’est l’adulte, donc si on n’est pas sérieux, cela veut dire que l’on se préserve de l’âge et de de ses tracas. C’est le jeunisme : il faut paraître jeune, et cela commence par l’habillement. Il existe même des « quinquados », c’est-à-dire des quinquagénaires encore ados dans leur tête, qui se comporte de la même manière. Cela renvoie au phénomène des lolitas, ces mères et filles habillées de la même manière, un peu sexy, et sui se baladent toujours ensemble. J’en avais croisé deux sur le plateau de Jean-Luc Delarue ; il était difficile de dire laquelle était la file, et laquelle était la mère ! Cette injonction à paraître jeune conduit à commettre des enfantillages, comme c’était le cas à l’époque du phénomène Jackass, même si c’est déjà de la préhistoire.

Quelles sont les caractéristiques des endultes/adulescents ? S'agit-il du même concept ?  

Le phénomène décrit ne peut pas être associé à l’adulescence, tranche d’âge qui se situe entre la fin de la vingtaine et le début de la trentaine. Il s’agit de jeunes et d’adultes pas tout à fait indépendants, qui ont le temps de prolonger un peu le temps de leur jeunesse.

Ce dont il est question ici, c’est du syndrome de Peter Pan, ce garçon qui ne veut pas grandir, à l’image des hommes et des femmes d’aujourd’hui : grandir, vieillir, tout cela fait peu. LA mort et la vieillesse, c’est pour les autres. C’est la grande illusion, tant que je fais plus jeune que moi, je me soustrais à la menace. Que l’on croit.

Les préoccupations et les centres d’intérêt que l’on à l’âge adulte ne devraient-ils pas entrer en contradiction avec l’achat de jeux vidéo, consoles, drones et autres Lego géants ? Comment l’adulte et l’enfant cohabitent-ils dans une seule et même personne ?

Ils cohabitent en faisant bien la distinction entre la vie obligée et la « vraie vie », c’est-à-dire celle que l’on choisit. Le temps du travail, pour ceux qui en ont un, est obligatoire, et à l’heure de l’hypercompétitivité, il n’est pas toujours très drôle. Là où quelques uns ont réussi à cumuler plaisir et travail, en concevant des jeux vidéo par exemple, la plupart attendent la fin de la journée pour se sentir libres, faire ce qui leur passe par la tête.  C’est une société qui a effacé toute notion de ridicule, où plus rien ne choque. Il fut un temps où les âges étaient bien différenciés, les sexes également : garçon, on ne portait pas de rose, on ne portait pas un sac à la main… Tout cela était impensable.

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Ce mouvement se retrouve-t-il aussi dans la manière d’aborder les fêtes de fin d’année ? Les cadeaux que demandent ou se font entre eux ces « endultes » (ou enfultes, c’est selon) sont-ils différents de ceux de leurs parents dans les années 70-80 ? La quantité a-t-elle aussi évolué ?

Il est très difficile de répondre à cette question : sans données à se mettre sous les yeux on peut à la fois poser des hypothèses :

Il s’agit toujours d’un moment de célébration, avec des cadeaux, mais la crise étant passée par là ; les budgets se sont restreints. Il est en l’occurrence difficile de donner une vision globale de l’approche de Noël par ces adultes.

Je ne pense pas que Noël, et c’est pourtant un paradoxe, soit toujours l’événement exceptionnel qu’il était autrefois. Aujourd’hui on fait la fête souvent, tout y est prétexte. On ressuscite même des fêtes oubliées, ou qui ne font pas partie de notre culture : Mardi Gras par exemple, Halloween, etc. Noël reste important, mais pas autant qu’avant. C’est devenu, depuis un certain nombre d’années, la justification de notre consommation à outrance, un permis d’acheter plus que de raison.

Pourquoi un tel changement s’est-il opéré ? Quel a été le facteur déclencheur du passage d’une société où les adultes ne jouaient pas, à une société où le ludique est présent à tous les âges ?

Dans les années 60, le principe d’autorité a été déboulonné. C’est la première porte entrouverte qui explique le phénomène.

Deuxièmement, on a assisté à l’émergence d’une société d’individus indépendants les uns des autres, en lieu et place des classes sociales qui étaient ordonnées selon des systèmes de valeurs spécifiques. L’individu est seul aujourd’hui, sans repères, sans valeurs collectives, sans société pour lui dicter son comportement.

C’est au même moment qu’a émergé la civilisation de loisirs dont je parlais, avec la démultiplication des possibilités de se soustraire à la réalité contraignante, dont internet est le dernier avatar. Cette société de crise a généré une société que l’on peut qualifier de « Disneyland ».  Face à la crise, on pourrait s’attendre à ce que les gens se dressent, mais c’est la résignation qui l’emporte : face à la mondialisation, sans idéologie alternative, que reste-t-il… ? Oublier, en s’amusant, en anesthésiant le présent.

Ces adules Peter Pan sont-ils pour autant devenus la norme ?

Le phénomène n’est pas généralisé, non plus, les catégories d’adultes restent variées, allant des plus traditionnelles aux plus moderne. Mais  compte tenu du poids de l’image, même l’adulte le plus sérieux peut avoir des moments de relâchement.  Jeff Koons est l’archétype de cet adulte qui a gardé sa part d’enfance : ses allures d’homme d’affaires ne l’empêchent pas de concevoir des sculptures de chiens gonflables ou de Popeye… sa manifeste nostalgie d’enfant, il l’a transformée en activité professionnelle.

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