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Construction, stockage, archivage... comment fonctionnent nos souvenirs ?
©Allan Ajifo / Flickr

Bonnes feuilles

Notre cerveau nous permet de communiquer, sous forme de messages simples ou par l'ironie la plus subtile, il est le siège des émotions et de notre personnalité, il renferme les souvenirs, nous permet d'acquérir de nouveaux savoir-faire et de nouvelles connaissances... mais il peut tout aussi bien nous conduire à faire de mauvais choix ou nous entraîner dans le cycle infernal des addictions. Comment naissent nos pensées et nos émotions ? Qu'est-ce que la personnalité ? Comment apprend-on ? Ce livre dévoile les secrets de notre organe le plus fascinant. Extrait de "Mon cerveau superstar" de Kaja Nordengen aux éditions Eyrolles (1/2).

Kaja Nordengen

Kaja Nordengen

Kaja Nordengen est médecin spécialiste en neurologie à l'hôpital universitaire d'Akershus en Norvège. Elle a achevé un doctorat sur le cerveau en 2014, et a dispensé des cours sur le cerveau et le système nerveux à l'Université d'Oslo.

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Un souvenir n’est pas quelque chose que l’on retrouve inchangé et qu’on doit seulement dépoussiérer. La mémoire n’est pas tout à fait fiable. Nous stockons l’information sous forme d’un « souvenir squelette » qui n’a gardé que l’essentiel du souvenir. En nous remémorant ce souvenir, nous utilisons notre discernement pour remplir les vides avec des informations tirées d’hypothèses ou de notre vécu. Cela peut aussi être source d’erreurs. Des études ont montré que nous sommes réceptifs à des propositions qui nous aident à combler les trous dans nos souvenirs dès lors qu’il s’agit de construire ou reconstruire ceux-ci.

Beaucoup de souvenirs doivent être rafraîchis et mémorisés plusieurs fois avant d’être stockés durablement dans la mémoire à long terme. Toutefois, lors de la phase de réarchivage, le souvenir peut être entièrement transformé. Le rapport de force entre les liaisons de cellules nerveuses peut changer et le souvenir être associé à d’autres sentiments, rapports au milieu environnant, attentes et connaissances.

Elizabeth Lofthus est une neuroscientifique qui a consacré une grande partie de sa vie à l’étude des faux souvenirs. Elle a montré que la manière de formuler une affirmation est tout à fait déterminante pour la manière de s’en souvenir. Ainsi, elle a montré par exemple une photo de voiture accidentée à deux groupes différents.

À l’un, elle a raconté que la voiture était « fracassée », ce qui fit que ce groupe se rappela davantage le bris de verre que l’autre groupe à qui elle avait dit que la voiture avait été « heurtée ». Bien que les deux groupes aient vu strictement la même photo, le souvenir qu’ils en gardèrent fut différent. Nous sommes, en d’autres termes, influençables.

L’histoire de HM nous prouve, si besoin était, que nous avons tout lieu de nous réjouir d’avoir une mémoire non statique. HM a passé le restant de sa vie en croyant qu’il avait une trentaine d’années, c’est-à-dire à peu près l’âge qu’il avait quand on lui retira l’hippocampe. Lorsqu’il voyait une photo de lui plus âgé, il trouvait que ça ressemblait à son père, même si son père portait des lunettes. Il était étonné de se voir dans la glace tous les matins. Il n’avait gardé que les souvenirs avant son opération et ne se rappelait donc que son moi de vingt-sept ans.

Sans mémoire, on ne reconnaîtrait pas sa famille ni ses amis.

Sans mémoire, on ne se reconnaîtrait même pas soi-même.

Savoir apprécier l’oubli

Beaucoup aimeraient à se souvenir de davantage de choses, mais la mémoire peut s’avérer un cadeau empoisonné. Vous devriez plutôt être heureux si vous êtes doté d’une mémoire moyenne – cela ne voulant pas dire « mauvaise ». Le cerveau fait le tri, met en valeur ce qui est important et cache au loin ce qui ne l’est pas. Vous n’archivez pas tout ce que vous vivez. Votre mémoire fonctionne comme un filtre qui vous protège de la surabondance d’informations dont vous êtes bombardé chaque jour.

C’est rare, mais il existe des personnes qui se souviennent de tout ce qui leur arrive. Je ne parle pas ici de ceux qui détiennent le record de mémoire dans le Livre des records, car ce sont des gens qui s’entraînent spécialement avec des stratégies de mémorisation, ni des « savants », mais de quelques personnes au monde qui se souviennent de chaque jour de leur vie, sans exception.

La première personne que l’on a identifiée comme hypermnésique est une Américaine du nom de Jill Price. Quelle que soit la date que vous mentionnez, elle est capable de vous dire ce qu’elle faisait ce jour-là ainsi que les gens qui l’entouraient, les infos du jour et les conditions météo. Elle se souvient de tout, aussi de détails insignifiants. Elle-même décrit sa mémoire comme « passer un film qui ne s’arrêterait jamais ». Le monde est pour elle comme séparé en deux, elle voit le présent et le passé en même temps. La moindre chose du quotidien lui rappelle une série de moments antérieurs qu’elle revit aussitôt. Si la plupart qualifient sa mémoire de don, elle-même préfère le terme de « fardeau ».

Jill Price et Kim Peek sont connus pour leurs mémoires phénoménales tandis que HM est connu pour sa capacité d’oubli phénoménale. Même si HM a passé la plus grande partie de sa vie à oublier les choses, il nous a beaucoup appris sur le fonctionnement de la mémoire et l’on se souviendra encore de lui dans plusieurs générations.

Comprendre le fonctionnement de la mémoire peut vous aider à l’optimiser mais aussi à ne pas toujours se fier à elle. Les souvenirs ne sont pas des photos exactes du passé, et ils sont plus importants pour l’avenir que l’on ne pense. N’oubliez pas d’apprécier votre faculté normale d’oubli.

Extrait de "Mon cerveau superstar" de Kaja Nordengen aux éditions Eyrolles

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