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Elections en Catalogne, retour à la case départ… et humiliation pour Mariano Rajoy face aux séparatistes qui ont gagné la bataille de la légitimité
©PIERRE-PHILIPPE MARCOU / AFP

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Mariano Rajoy a parié sur une montée des partis anti-indépendance et sur une peur de la crise économique consécutive à la proclamation d’indépendance de la Catalogne. En bon technocrate désincarné, légaliste et enclin à sous-estimer les thèmes identitaires, il a cru à tort que l’application stricte de la "légalité constitutionnelle" et les préoccupations socio-économiques du peuple de Catalogne, touché par le chômage et la paupérisation, auraient le dessus sur les considérations identitaires.

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France SoirIl Liberal, etc.), il intervient dans des institutions patronales et européennes, et est chercheur associé au Cpfa (Center of Foreign and Political Affairs). Il a publié plusieurs essais en France et en Italie sur la faiblesse des démocraties, les guerres balkaniques, l'islamisme, la Turquie, la persécution des chrétiens, la Syrie et le terrorisme. 

Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacques Soppelsa, Vers un choc global ? La mondialisation dangereuse, est paru en 2023 aux Editions de l'Artilleur. 

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Afin de mettre un terme à la plus grande crise institutionnelle et « existentielle » jamais connue depuis la guerre civile espagnole par l’Espagne, menacée d’implosion depuis la « Déclaration d’indépendance unilatérale (DIU) de l’ex-exécutif Catalan, Mariano Rajoy avait décidé d’organiser de nouvelles élections ce 21 décembre. Il avait parié sur une montée des partis anti-indépendance et sur une peur de la crise économique consécutive à la proclamation d’indépendance de la Catalogne. En bon technocrate désincarné, légaliste et enclin à sous-estimer les  thèmes identitaires, Rajoy a cru à tort que l’application stricte de la « légalité constitutionnelle » et les préoccupations socio-économiques du peuple de Catalogne, touché par le chômage et la paupérisation, auraient le dessus sur les considérations identitaires. Il s’est lourdement trompé, car en Catalogne comme ailleurs en Europe, les questions identitaires taraudent les électeurs parfois même au détriment de leurs soucis économiques. Le pari de Rajoy était de toute façon très risqué et il l’a perdu car il a oublié que le principe de légalité ne pèse jamais autant, dans les consciences, que celui de légitimité, auquel son adversaire direct, Carles Puigdemont, n’a cessé de se référer habilement. Mariano Rajoy a eu également tort, comme Sarkozy face à Hollande, de sous-estimer un homme au départ peu charismatique et timide qui était devenu la première fois président de la Generalitat sans être élu grâce à un concours de circonstances. L’homme simple de la campagne à la coupe ridicule s’est avéré bien plus malin que le technocrate légaliste.

D'après les résultats quasi définitifs, les trois partis indépendantistes (ERC-CatSi, Ensemble pour la Catalogne, CUP) ont doncobtenu la majorité des sièges au parlement régional catalan— 70 sur 135, même si c’est le parti libéral anti-séparatiste Cuidadanos qui est arrivé en tête des suffrages avec 25 % des voix (37 sièges). Le fait que la participation ait atteint un niveau historique (82 %, contre 75 % en 2015)et que les indépendantistes aient retrouvé le même nombre de sièges que dans l’assemblée précédente dissoute, a donnéaux séparatistes une légitimité cette fois-ci encore plus incontestable qu’avant. Madrid est pris à son piège et ne peut pasle remettre en question. Et si Carles Puigdemont revient en Espagne, le nouveau casse-tête/piège tendu au gouvernement « répressif » de Rajoy consistera à laisser les juges le mettre en prison, ce qui radicalisera encore plus ses partisans contre l’Etat espagnol et fera encore monter le vote séparatiste…

La liste Junts per Catalunya du président séparatiste destitué Carles Puigdemont, a obtenu 34 élus, et la Gauche républicaine de Catalogne (ERC), de son ex-vice-président emprisonné, Oriol Junqueras, 32. Si on ajoute à ces suffrages ceux des séparatistes radicaux d’extrême-gauche de la CUP (4 élus), indépendantistes totalisent ensemble 70 sièges et ont donc de nouveau une majorité absolue dans le parlement catalan. Quant au parti de Mariano Rajoy, qui gouverne le pays, avec ses 3 députés, il est littéralement humilié.

Pour le parti du premier ministre, Mariano Rajoy, le Parti populaire (PP), il s’agit d’un véritable camouflet historique dont il sera difficile de se remettre sur le plan de la politique intérieure. Ses ennemis et rivaux au sein même de sa mouvance attendent déjà le moment pour lui donner l’estocade, et le parti Ciudadanos, qui a eu des positions bien plus claires et qui n’est pas tâché par des cas de corruption, risque de devenir un sérieux voire un mortel concurrent…

La stratégie légaliste de Rajoy qui a consisté à destituer les dirigeants indépendantistes puis à leur donner la possibilité de revenir de façon légitime par une élection organisée très peu de temps après le choc médiatique et politique de la « répression » orchestrée selon les catalanistes par l’Etat espagnol, n’a fait que conforter ces derniers au lieu de les dissuader. Et comme on l’a vu, le chiffon rouge de la fuite des entreprises catalanes et de la baisse du PIB catalan n’ont pas impressionné ni dissuadé les « nationalistes » catalans. Pour eux, il s’agit d’un combat existentiel et même d’un bras de fer avec l’Etat espagnol honni. L’Espagne va rester un Etat durablement divisé et affaibli. Et le risque de contagion dans d’autres régions espagnoles ne doit pas être sous-estimé…

Puigdemont jubile et défie ouvertement Mariano Rajoy

Sorti selon lui victorieux par KO dans ce bras de fer qui a été au coeur de toute sa , Puigdemont avait averti que le vainqueur serait ou « lui, ou Rajoy », l’ex-président déchu catalan jubile. Il a même déclaré que « Mariano Rajoy a été vaincu », qu’il s’agit d’une "victoire de la République catalane » sur l’Etat espagnol, et que c’est "un résultat que personne ne peut discuter ». Le Premier ministre espagnol "a perdu le plébiscite qu’il cherchait », la victoire des séparatistes est « une claque », a jubilé M. Puigdemont devant un petit parterre de militants indépendantistes catalans et de nationalistes flamands réunis dans le centre de Bruxelles.

Les séparatistes, dont les leaders sont emprisonnés ou en « exil », et qui se présentent comme des « victimes d’une persécution politique », ont séduit une partie de l’opinion publique catalane et nombres d’ex-indécis, plus que jamais scandalisés par la « répression espagnole-fasciste »depuis le fameux référendum du 1er octobre dernier, et encore plus avec l’incarcération de dirigeants politiques et associatifs indépendantistes catalans présentés comme des « prisonniers politiques » (« els presos politics »).

Chacun que se rappelle qu’à la suite de la tenue du référendum (illégal) d’indépendance organisé le 1er octobre dernier en Catalogne, le gouvernement de Mariano Rajoy (PP, droite conservatrice), a mis en application l’article 155 de la constitution espagnole qui a permis d’annuler le « processus » séparatiste (« el proces »)initié par le parlement catalan régional. Les dirigeants de l’exécutif catalan, dont l’ex-président Carles Puigdemont, « réfugié » à Bruxelles, ou encore son ex-vice-président, Oriol Junqueras, en prison, ont alors été démis de leursfonctions, ce qui a scandalisé et révolté des millions de Catalans plus que jamais remontés contre Madrid.

Face à la stratégie « asymétrique » des séparatistes catalans, dont l’arme redoutable consiste à retourner la force répressive légale de l’Etat espagnol contre lui-même afin de lui faire perdre sa légitimité morale, celle de Mariano Rajoy avait peu de chance de gagner le cœur des Catalans autonomistes modérés, qui sont plutôt tentés par une réaction de radicalisation. Rajoy est en fin de compte tombé dans le piège tendu par les révolutionnaires pacifiques séparatistes qui misaient sur un discrédit de l’Etat répressif poussé à la faute par leurs provocations sécessionnistes parfaitement orchestrées… Le pari d’organiser des élections en un temps si court a été très risqué pour Rajoy, qui est en train de jouer son destin national et qui est plus que jamais affaibli.

Un mouvement de fond, une fracture durable

Les enquêtes montrent que l’aspiration indépendantiste n’a cessé de progresser depuis 2010, depuis l’interdiction de plusieurs scrutins par Madrid et depuis que le gouvernement de Rajoy est revenu sur certaines concessions qui avaient été faites par ses prédécesseurs envers les catalanistes. Les pro-indépendance, jadis évalués entre 20 et 30 % maximum jusque dans les années 2000, sont aujourd’hui estimés, toutes tendances confondues, entre 50 et 55 %, voire plus, si l’on compte les nationalistes catalans « modérés » proches de Podemos.

Le Partido Popular de Rajoy, déjà très bas depuis des années en Catalogne en raison de sa critique de la cause séparatiste, de son « héritage franquiste anti-catalaniste » et de la diabolisation de Mariano Rajoy accusé de « répression fasciste », a été également affaibli par la montée inattendue d’un autre parti loyaliste plus dynamique : Ciudadanos, né en réaction au processus séparatiste, mais bien plus jeune, plus social et non entaché par les scandales de corruption qui ont discrédité le PP. Les sondeurs estiment ainsi que 40 à 50 % des électeurs potentiels du PP ont donné leur vote à Ciudadanos, dont la leader en Catalogne, Inès Arrimadas, brillante, jeune et belle, a fait une campagne impeccable et est l’un des deux partis qui agagné le plus de suffrages avec la gauche républicaine (ERC) et la liste de Puigdemont (Junts per Catalunya). Humilié, le PP, n’a obtenu que 3 sièges, ce qui signifie une défaite cuisante pour Rajoy sur le plan de la politique nationale espagnole. Il est clair en effet que le fait d’être l’un des deux partis les moins votés (avec la CUP d’extrême-gauche) de la région la plus puissante du royaume aura nécessairement des conséquences sur le leadership du partido Popular et de Rajoy lui-même. D’ailleurs, son aile droite, proche de José Maria Aznar, qui lui préfère Ciudadanos, plus combatif, l’accuse en sous-main d’avoir très mal géré la crise et d’avoir été incapable d’anticiper le coup de force du référendum illégal du 1er octobre dernier.

Les forces en présence

Pour récapituler, depuis le « Procés », les forces en présence sont les suivantes :

1/-le PP de Mariano Rajoy,vaincu, dont le candidat aux élections locales catalanes, Xavier Garcia-Albiol, fait figure de politicien le plus détesté en Catalogne. Son parti est par ailleurs associé aux multiples dossiers de corruption au national, en plus d’être accusé d’avoir une généalogie franquiste et d’être foncièrement hostile au catalanisme et « espagnoliste ».

2/ le parti Ciudadanos, le parti arrivé en tête, avec 36 sièges. Il a commencé très modestement dans les années 2000, sur fond de refus de l’indépendantisme et de la corruption et a connu ses premiers succès lors des révoltes des Indignados à la suite de la crise économique de 2007-2008 et des grandes manifestations anti-Zapatero. Son leader national, Albert Ribera, a commencé à apparaître en 2011 seulement, mais il a vite été présenté comme l’équivalent de droite et anti-système/anti-corruption de Podemos. Pour de nombreux catalanistes qui sont outrés par les propos très durs anti-sépararistes et par l’« espagnolisme » de la branche catalane de Ciudadanos, la percée subite de ce mouvement jeune et considéré encore « plus à droite » que le PP - mais plus cohérent - est présentée comme le fruit d’une stratégie des « grandes sociétés » espagnoles et du complexe capitaliste-bancaire (ex : bancode Sabadell), comme l’explique le fameux cinéaste catalaniste Ferran Tomàs. La conséquence de cette perception très négative signifie que même en arrivant premier à l’issue de l’élection, Ciudadanos n’est pas en mesure de gouverner, même en arrivant en tête, car les séparatistes ont obtenu, si on les additionne, la majorité des sièges.

3/ Junts per Catalunya : cette liste concoctée depuis Bruxelles et au dernier moment par l’équipe de l’ex-« president » Carles Puigdemont,est le vrai vainqeur du scrutin. Très habile, Puigdemont y a associé Jordi Sanchez, l’ex President de la très populaire et puissante association Assemblea National Catalana (ANC, organisatrice des méga-manifestations séparatistes),et nombre d’autres indépendants, issus de la société civile, de l’administration, du monde de l’art, du Show bizz, sans oublier des professeurs prestigieux et autres personnalités catalanes encore plus connus que les politiciens. Ceci avec l’appui des deux grandes associations catalanistes ultra-populaires, la précitée ANC et Omnium cultural, dont les deux leaders, (« les Jordi »), sont en prison. Ceci confère d’ailleurs une forte légitimité victimaire à cette liste pro-Puigdemont qui se présente comme la seule qui défie le « coup d’Etat » orchestré par Mariano Rajoy. Audacieux, et de plus en plus radicalisé, Puigdemont n’hésite pas à déclarer depuis des jours que ce sera « lui ou Rajoy », le but étant de créer, en cas de victoire, un choc anti-Rajoy dans toute l’Espagne. Pari réussi…

La liste de Puigdemont a également eu l’intelligence de reprendre le mot « Junts » (ensemble), qui figurait dans la coalition précédente destituée (« Junts pel Si ») qui l’avait porté à la tête de la présidence et qui unissait son parti d’origine, Convergencia, et la gauche républicaine (ERC, de Junqueras, qui a décidé de faire jeu à part et n’apprécie guère cette « récup »).

Puigdemont a donc joué sur la connotation rassembleuse de Junts, et il a eu l’habilité de ne pas reprendre le nom de son parti d’origine, le PdCAT, continuation de Convergencia, sali et discrédité par d’énormes scandales de corruption (entre 2 et 3 milliards d’euros…) qui impliquent son leader historique, Jordi Pujol, lequel aurait blanchi en Andorre et dans d’autres paradis fiscaux d’énormes sommes issus des marchés publics...

Sous-estimée au début de la campagne, la stratégie électorale de Junts per Catalunya, qui a consisté à marteler un message simple et unique : le « retour du Président légitime », a finalement payé.

- l’ERC (Esquerra Republicana catalana) : cette Gauche républicaine catalane, ex-allié de Puigdemont, a décidé de jouer sa propre partition. Elle arrive derrière la liste de Puigdemont, mais elle a réussi en partie son pari, puisqu’elle participe à la (re)création d’une majorité. Son leader, Junqueras, ex-vice-président de la Generalitat, a fait difficilement campagne depuis sa prison. Toutefois, il reste l’un des favoris du scrutin. Faceà son nouveau concurrent ex-allié du Junts per Catalunya, il a récemment lancé un missile contre Puigdemont en déclarant « moi, je n’ai pas fui à Bruxelles, je suis resté et ai assumé mes responsabilités »… L’ERC rappelle à l’envi qu’il est le plus vieux parti catalaniste républicain, qu’il est l’héritier de l’expérience républicaine anti-fanquiste avortée de 1931, et qu’il est le vrai mouvement indépendantiste raisonnable face aux catalanistes pro-espagnols ou tièdes non séparatistes de Podemosou face aux extrémistes d’extrême-gauche de la CUP et bien sûr aux concurrents de « droite » de Junts per Catalunya.

- La CUP, Candidatura d’Unitat Popular, représente le camp séparatiste d’extrême-gauche le plus radicalement anti-espagnol et anti-monarchique (obsédé par la lutte contre les « Bourbons » et les capitalistes). Son leader, Carles Riera, n’a obtenu que 3 sièges, et fait partie des grands perdants. Cette frange radicale inquiète les indépendantistes ouverts au dialogue en raison de sa campagne qui n’a cessé de préconiser une « voir unilatérale » et donc de rupture radicale avec Madrid. L’un de ses leaders, Ana Gabriel, qui ne s’est pas représentée, s’était fait remarquer après les attentats de Barcelone et Cambrils de l’été 2017 lorsqu’elle avait attribué les attaques islamistes « au capitalisme et à la monarchie espagnole »…

- Catalunya en Comù-Podem,dont le noyau clef est la version catalane de « Podemos », allié à la Maire de Barcelone Ada Colau, a fait le choix de se poser, via son candidat à la présidence, Xavier Domenech, en rassembleur. Cette liste défend en effet les « prisonniers politiques catalans » tout en prônant un dialogue et un maintien d’une Catalogne plus autonome dans le giron espagnol. L’idée était également de concentrer les tirs contre ceux qui ont favorisé la précarité et de prôner une politique sociale qui aurait été oblitérée par le processus « irresponsable » de l’indépendance unilatérale (DIU). Finalement, cette stratégie d’entre-deux, mi figuemi raisin, pas assez polarisée sur le plan identitaire, n’a pas payé, en tout cas pas à la hauteur des espérances.

- Partido Socialista de Catalunya (PSC).Sur ce terrain ambigu, on retrouve aussi le PSC (branche locale du PSOE espagnol), dont le candidat investi à la présidence de la région, Miquel Iceta, se présentait comme le « seul recours possible », le seul capable de restaurer la paix civile et le dialogue en raison de sa défense de l’unité espagnole assortie d’un « appel au dialogue » avec les séparatistes, ceci sur fond de défense des thèmes sociaux. Toutefois, les positions nettement anti-séparatistes, de son dirigeant au niveau national, Pablo Iglesias, a rendu peu crédible le discours d’Iceta qui prétendait « dialoguer avec tout le monde » au niveau catalan et se poser en rassembleur tout en étant soutenu pendant la campagne par un anti-indépendantiste radical de son parti, l’ex-ministre Borrell. Comme Podemos, le PSC a été accusé par la CUP et les séparatistes d’ERC et de Junts per Catalunya d’avoir une attitude trop pro-espagnole et faussement ouverte aux nationalistes catalans. Il l’a payé par une relative défaite, arrivant largement derrière les pro-espagnols radicaux de Ciudadanos qu’il critiquait.

En guise de conclusion

Comme nous l’avions annoncé, le Bloc indépendantiste a gagné, par autant qu’il l’aurait souhaité, mais suffisamment pour avoir la majorité et pour retrouver, ce qui est déjà en soi une belle victoire, le nombre de sièges dont il disposait avant d’être démis au nom de l’article 155 par le gouvernement de Madrid. En réalité, si les indépendantistes semblent majoritaires, cela n’est peut être pas aussi net dans les faits, car il faut rappeler que le système électoral en vigueur pour les élections des « autonomias » (régions autonomes) depuis les années 1960 prévoit, en vertu de la loi d’Hondt, une surreprésentation des zones rurales par rapport aux zones citadines. Ce système de « rééquilibrage », qui n’a jamais été remis en questions, permet par exemple à la province de Lerida (Lleida) de faire élire des députés avec deux fois moins de voix par rapport à Barcelone, nettement sous-représentée, mais où se concentrent la majorité des anti-indépendantistes et des hispanophones. Cette loi « de rééquilibrage ruraux-citadins a certainement contribué à faire gagner les indépendantistes. « Cette loi avait un sens lorsque les zones rurales étaient déconnectées », coupées des zones citadines et défavorisées, explique l’avocate catalane Eva Garcia, « mais elle n’a plus de sens aujourd’hui, depuis que les progrès en matière de communication ont changé la donne et qu’il y a eu un rééquilibrage ».

N’oublions pas les lois de la géographie électorale, fondamentale en géopolitique et en sciences politiques : le séparatisme catalan, comme le séparatisme flamand, qui le soutient d’ailleurs, est une réalité au départ rurale. Il exprime une revanche des anciennes zones pauvres rurales et catalanophones devenues plus riches et anciennement dominées par des élites citadines hispanophones liées au pouvoir centrale. Le catalanisme est la revanche des anciens « cul-terreux » enracinés sur les « capitalistes-bourgeois » déracinés des villes, acculturés par « l’espagnolisme ». Et Puigdemont, qui vient de la province de Gerona, fief catalaniste de toujours et zone bien plus rurale que la province de Barcelone, incarne à merveille ce nationalisme enraciné, simple, anti-bourgeois, identitaire, hostile au cosmopolitisme citadin. Ceci explique par exemple pourquoi, face au manque de solidarité des pays européens et des institutions européennes après la répression du référendum du 1er octobre et la suspension de l’exécutif catalan, Carles Puigdemont a tout à coup retrouvé sans se forcer des accents populistes et formulé des propos violents contre cette « Europe décadente » qui persécute les identités locales et a laissé tombé la nation catalane.

On retrouve également ce « revanchisme » dans le mouvement indépendantiste flamand anti-francophone, qui a soutenu depuis le début Carles Puigdemont. Les anciennes terres pauvres et rurales des Flandres, qui jalousaient les élites flamandes francisées et les francophones des villes industrielles et commerçantes, sont en effet devenues progressivement plus riches que les zones industrielles francophones dont elles ont voulu s’émanciper. A certain égard, on peut parler dans les deux cas de « Révolution des ruraux ». D’après Eva Garcia, on peut même parler de « révolution dessimples », (« palurdos),en référence au chauvinisme rural des catalanistes qui présentent d’ailleurs régulièrement, lors des grandes manifestations pacifiques, marches ou élections illégales, leurs milliers de tracteurs conduits par les paysans séparatistes comme leur « armée de protection pacifique ».Ce narcissisme collectif propre aux chauvinismes est particulièrement présent dans le nationalisme catalan, et si les séparatistes se présentent souvent, dans les médias et dans leurs propagande destinée à l’étranger, comme des amis du cosmopolitisme, des « Européens », et des anti-racistes ouverts et tolérants, dans les faits, dans leurs manifestations et activités culturelles et manuels scolaires ils insistent bien plus sur l’enracinement local, le long passé de résistance face aux puissants et aux royaumes, et sur leurs formidables traditions rurales et paysannes. D’ailleurs, lors du référendum illégal du 1er octobre 2017, lorsque des milliers de tracteurs bloquèrent des accès et des routes pour rendre plus difficile le travail des « forces de répression » espagnoles et « protéger » la consultation pour l’indépendance, la presse espagnole présenta l’évènement comme la « révolution des tracteurs »…

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