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Entre honte et nostalgie : chronique d'un petit garçon qui se souvient de la guerre d'Algérie
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Le drame des pieds-noirs

"J’ai longtemps pensé que l’Algérie n’était pas mon histoire. Je suis pourtant née à Oran en 1959 et suis l’une de ces milliers d’enfants rapatriés en 1962. On n’est pas pied-noir quand on a 17 ans." Témoignage de Brigitte Benkemoun dans "La petite fille sur la photo: La guerre d'Algérie à hauteur d'enfant" (Extraits (1/2).

Brigitte Benkemoun

Brigitte Benkemoun

Rédactrice en chef de l’émission « Mots croisés » sur France 2, Brigitte Benkemoun a été chef des informations à France Inter, rédactrice en chef de « Ripostes » sur France 5 et longtemps journaliste à Europe 1.

Elle vient de publier La petite fille sur la photo (Fayard, 2012).

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Comment rencontrer d’autres enfants de la guerre d’Algérie ? Comment connaître d’autres histoires que la mienne ? Un message sur Facebook, comme une bouteille à la mer. Béatrice a été la première à me répondre, me conseillant d’appeler son cousin. Jacques Hadjaj avait 7 ans en 1962. Il est aujourd’hui comédien, metteur en scène, et il a raconté son voyage d’Alger à Créteil dans une pièce qu’il a écrite puis montée au théâtre du Lucernaire à Paris. Dis-leur que la vérité est belle retrace la vie, la guerre et l’exode d’une famille juive d’Algérie et, parallèlement, confie les tourments d’un homme qui, aujourd’hui, peine à expliquer à sa fille d’où il vient.

L’histoire commence à la naissance de Jacques, en 1955, au début d’une guerre qui ne dit pas encore son nom. Premiers massacres, premiers attentats, premières terreurs… Pour oublier que le temps est compté, on s’étourdit de rire, de football et de jazz. « Chez nous, l’amour est obligatoire ! » se plaît à répéter la mère. Sept ans plus tard, la famille, prise entre deux feux, est contrainte à l’exil. Jacques m’a parlé de tout cela lorsque nous nous sommes rencontrés la première fois. Mais son texte est encore plus fort :

« Tu ne m’avais pas dit, maman, que l’enfance finirait. Tu ne m’avais pas dit qu’Alger, la blanche Alger, se viderait comme un bidet, et que nous serions tous, tels de l’eau sale, dans le siphon, avalés ! […] Tu ne m’avais pas dit la fuite au petit matin, avec dans la valise tout ce que la main du dernier quart d’heure avait pu rafler, et même pas le temps d’un adieu ! Leïla. Tu ne m’avais pas dit mon père qui sourit pour ne pas pleurer, en donnant le dernier tour de clef, et sifflote, l’air de rien, un de ses bons vieux Charlie Parker. Et la honte ! Tu ne m’avais pas dit la honte, cette honte de l’exil, je n’ai jamais réussi à m’en défaire, c’est comme une seconde peau, cette honte qui a fait de moi un étranger[1]. »

« Tu as là tout ce tu cherches », me dit José, un autre gamin d’Alger qui m’accompagnait au théâtre. Toute une partie du puzzle se reconstitue en effet. Sans caricature, sans accent pittoresque, sans sombrer dans le mélo, Jacques parle d’une guerre qui n’est pas seulement algérienne ou coloniale, d’un chagrin qui n’a pas de couleur et d’un exil universel dont les enfants portent inévitablement des blessures identitaires.

Et la « honte »… Celle d’un petit garçon qui assiste impuissant à la déchéance du père. Jacques décrit un pater familias de la trempe de ceux qu’on met longtemps à cesser d’admirer : blagueur, affable et bon vivant. Il dirigeait une entreprise de déménagement. Un homme libre, modéré, tolérant, menacé par l’OAS pour avoir aidé des Français à déménager. Il devra filer en douce avec sa famille, sans avoir eu le temps de remplir son propre « cadre ». (...)

« Ah, la honte, on ne s’en défait jamais », dit-il… Jacques se souvient des premières semaines, entassés dans un hôtel miteux à Marseille, et des mois qui suivirent dans un meublé, à Boulogne. Il était interdit de manger dans les chambres, alors il fallait se cacher pour monter avec des provisions. Il se souvient des instituteurs qui les prenaient pour des Arabes et vérifiaient qu’ils parlaient bien français. (...)

Les parents de Jean-Louis non plus ne s’en sont jamais remis. Ils ont retrouvé du travail tous les deux, la mère comme institutrice, le père dans une structure médico-pédagogique. Mais ils n’ont jamais fait le deuil de ce pays perdu, ni accepté ce déracinement. Ils étaient amers, blessés d’avoir été si mal accueillis. Ils ne supportaient pas de s’entendre traiter de « colons », des « salauds », d’« exploitants ». Ils ressassaient la colère et le ressentiment, se morfondaient sans soleil, dans le brouillard bourguignon, critiquaient beaucoup l’Algérie indépendante.

Pour se sentir moins isolés, ils se sont impliqués dans une association, l’Anfanoma, ils écrivaient dans la revue L’Algérianiste. Ce monde associatif et nostalgique est devenu leur famille. Ils se retrouvaient une fois par an au grand rassemblement pied-noir de Santa Cruz, du coté de Nîmes. Ils lisaient Minute aussi, flirtaient par désespoir plus que par conviction avec l’extrême droite. « Les seuls qui ne nous aient pas abandonnés », disait-ils… Et peu à peu, pour éviter les disputes, Jean-Louis a cessé de parler de l’Algérie avec son père…

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Extraits de La petite fille sur la photo : La guerre d'Algérie à hauteur d'enfant, Fayard (7 mars 2012)



[1] Jacques Hadjaj, Dis-leur que la vérité est belle, Alna, 2008.

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