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On la croyait dans le coma, 
elle était consciente
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Rien qu'une larme dans tes yeux

Transportée aux urgences pour un malaise, Angèle Lieby commence à avoir des difficultés à s’exprimer, puis perd connaissance. On la plonge dans un coma artificiel pour l’intuber. Le quatrième jour, elle ne se réveille pas. Mais Angèle est consciente et souffre sans pouvoir réagir. Extraits de "Une larme m'a sauvée" (2/2).

Angèle Lieby

Angèle Lieby

En Alsace où elle vit, Angèle a rencontré Hervé de Chalendar, journaliste à l' Alsace. Ému par son histoire, il en a fait le récit dans le quotidien où il travaille et a obtenu le prix Hachette. Ensemble, ils ont décidé d’écrire un livre.

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– C’est l’anniversaire de mariage ! Qu’est-ce qu’ils racontent ? Aujourd’hui ? Mince alors ! Je suis à l’hôpital depuis aussi longtemps !

Réfléchissons… Je suis arrivée aux urgences le 13 au soir. Et nous serions donc aujourd’hui le 24 ou le 25 juillet. Il y a deux dates, car Ray et moi nous sommes mariés le 24 à la mairie, et le 25 à l’église. (...) Que pense Ray aujourd’hui ? Quel est son état d’esprit ? Comment vit-il ? C’est le plus triste de tous nos anniversaires… Comme j’aimerais l’embrasser ! Ou simplement lui sourire. Simplement le faire sourire…

Où serons-nous pour nos quarante ans de mariage ? Y aura-t-il seulement une quarantième édition ? Une fête à la mesure de cet amour, de ce couple que nous avons si solidement construit ? Je pleure de nouveau, dans ma prison intérieure. Si seulement je pouvais leur dire ! Je sanglote une fois de plus, alors que je devrais me réjouir. Cathy me parle très tendrement.

– Ne t’en fais pas ma petite maman, je prends soin de papa, tout va bien…

Mon cœur est submergé par une vague d’émotion. Un mélange d’amour, de tristesse et de peur. Je ne suis que larmes au-dedans.

Elle poursuit :

– Tu ne dois pas nous quitter… Tu sais, je ne te l’ai pas encore dit, mais j’aimerais avoir un troisième enfant… Et cet enfant, tu dois absolument le connaître ! Et lui, il doit absolument connaître sa mamie…

Mon mari, ma fille, mes petits-enfants… Ma vie. Cette vie si intime, dont on me prive si curieusement… J’ai l’impression de suffoquer.

– Maman ?

Je sens Cathy se lever soudainement.

– Papa !

– Oui ?

– Papa, regarde !

– Qu’y a-t-il ?

Ils sont proches de moi comme jamais. Je perçois leur souffle, leur agitation.

– Mais regarde donc ! Maman pleure !

– Qu’est-ce que tu racontes ?

– La larme, là !… J’ai déjà eu cette impression qu’elle pleurait quand je lui parlais… Mais là, il n’y a pas de doute : regarde, c’est bien une larme qui coule, non ?

C’est au tour de Ray de se lever.

– Je vais chercher quelqu’un !

– Maman, maman…

La voix de ma fille semble hésiter entre la détresse et le bonheur. Ainsi, parfois, les rires ressemblent aux pleurs, et les pleurs au rire. Un brouhaha. Du monde entre dans la pièce. Cathy parle avec fougue :

– Maman a réagi ! Elle a pleuré ! Une larme vient de couler, sur sa joue !

Un silence.

Puis la sentence :

– C’est le gel.

– Pardon ?

– Ce doit être le gel. Vous savez, le gel, sur les paupières… Il ne faut pas se réjouir trop vite.

Mais si, Cathy veut se réjouir ! Maintenant, tout de suite ! Les bonnes nouvelles sont si rares, on ne peut pas les snober.

– Je sais qu’on lui met du gel ! Mais c’était bien une larme !

La personne est repartie. Depuis ma nuit noire, je crois l’avoir vue hausser les épaules… L’excitation de Cathy n’a pas cessé. Et avec moi, au moins, cette excitation est contagieuse. Je me sens vibrer. Je suis tout à son écoute. Elle me parle avec une ferveur, une conviction nouvelles.

– Maman, tu m’entends ? Est-ce que tu m’entends ? Si tu m’entends, dis-le-moi. Montre-le-moi ! Pleure ! Bouge quelque chose !

J’ai perçu comme une grande surprise. Suivie d’une phrase un peu hébétée, qui a provoqué un séisme dans tous les cœurs présents à ce moment-là :

– Elle a bougé un doigt !

Cette fois, c’est Ray qui a parlé.

– C’était très léger, mais elle a bougé le doigt ! Tu as vu ?

– Tu es sûr ?

– Angèle, ma chérie, c’est formidable ! Tu as bougé !

Alors, c’est comme si une lueur perçait enfin cette immense nuit… Comme si le carcan qui me tenait complètement immobile depuis un peu plus de dix jours commençait à se fissurer. J’ai tellement voulu que mon bras réussisse à s’écarter de mon corps pour les alerter, les accrocher, leur signifier ma présence ! J’ai tellement voulu que les larmes qui m’inondent intérieurement jaillissent à l’extérieur ! J’ai tellement essayé, tellement désiré, tellement prié… C’est comme si la prison de mon corps s’était entrouverte enfin sous les coups de boutoir de mon esprit. Je reviens vers mes amours. Je suis de retour dans la vraie vie. Je pleure de joie.

C’est le plus beau de tous nos anniversaires de mariage !

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Extraits de Une larme m'a sauvée, ARENES EDITIONS (22 mars 2012)

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