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"Les autres" : Grumberg, un des maîtres du théâtre français contemporain
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Atlanti-culture

Après la présentation de "Ca va" au Théâtre du Rond-Point, celle de "Les Autres" au Théâtre de l'Epée de Bois confirme que Jean-Claude Grumberg est vraiment l'un des meilleurs auteurs français actuels.

Danielle Mathieu-Bouillon pour Culture-Tops

Danielle Mathieu-Bouillon pour Culture-Tops

Danielle Mathieu-Bouillon est chroniqueuse pour Culture-Tops.

Culture-Tops est un site de chroniques couvrant l'ensemble de l'activité culturelle (théâtre, One Man Shows, opéras, ballets, spectacles divers, cinéma, expos, livres, etc.).
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THEATRE

Les Autres

de Jean-Claude Grumberg

Mise en scène : Jean-Louis Benoit

Avec : Philippe Duquesne, Nicole Max, Pierre Cuq,

Stéphane Robles, Antony Cochin

INFORMATIONS

Théâtre de l’ Epée de Bois

La Cartoucherie

route du champs de Manoeuvre 75012 Paris

ATTENTION: dernière, le  23 décembre

Du jeudi au samedi à 20h30

Samedi et dimanche à16h

Réservations : 01 48 08 39 74

www.epeedebois.com

RECOMMANDATION 

EXCELLENT

THEME 

Jean-Louis Benoit, le metteur en scène, a choisi de proposer, sous le titre "Les Autres", quatre courtes pièces de Jean-Claude Grumberg, écrites dans les années 1960 ( Michu, Les vacances, Rixe et La Vocation). Il a opté astucieusement pour une continuité qui met en scène une famille, dont le père Henri est omniprésent. On pourrait le qualifier de « beauf » dans toute l’horreur de sa médiocrité craintive et agressive à la fois. Henri déteste les autres, les « ratons », les « bougnoules », «  les négros », ceux qui piquent son travail, ne savent pas conduire et viennent manger son pain. 

Grâce au regard aigu de Jean-Claude Grumberg, qui compte sur le théâtre pour « guérir les cancers de notre société », on constate, avec une consternation compensée sans cesse par le rire, jusqu’où cette forme d’inadaptation est abominable, et même si les années 60, ici représentées, sont loin derrière nous, le propos de l’auteur résonne encore d’échos inquiétants, mais fort drôles ; car nous sommes au théâtre...

POINTS FORTS

1- L’idée de commencer la pièce comme une nuit cauchemardesque est amusante et intéressante. On saisit les angoisses de ce brave Henri, car il est brave dans le fond. Chacune des réflexions de son collègue Michu, aussi subtil que lui, le plonge dans des abîmes de perplexité vis-à-vis de lui-même. Si Michu le qualifie de pédéraste, il s’interroge, de communiste, de juif ou de franc-maçon, il panique aussitôt cherchant du réconfort auprès de sa femme, sans parvenir à se rassurer.

2 – Henri, en bon chef de famille, part en vacances avec sa femme et ses deux fils.  Tout ce petit monde vit sous son joug et ses sautes d’humeur. Les enfants se taisent, la femme tente d’arranger les choses. Ces vacances se déroulent paradoxalement à l’étranger où tout devient problème.  Henri peut alors manifester sa xénophobie et son racisme et déverser allègrement ses propos grossiers voire scatologiques. Rien ne le gène hormis ces « autres » décidément insupportables. L’énormité du propos fait rire évidemment. Philippe Duquesne (l’un des membres fondateurs des « Deschiens ») est remarquable

3 -  Le metteur en scène a su orienter les acteurs vers la rigueur. Il n’y a chez eux aucun débordement, facile dans ce type de situation extrême et de propos parfois outranciers. Ils sont tous remarquables. La scène de la Rixe va très loin dans l’abomination, puisque Henri sort sa carabine et n’hésite pas à tirer par la fenêtre. Ce n’est peut-être pas le coupable qu’il a atteint, mais qu’importe. Le  rire naît de ce décalage entre monstruosité et absurdité.

4 – Le dispositif sobre et astucieux signé par Jean Haas, permet de valoriser les espaces successifs des quatre séquences, sans jamais les rendre anecdotiques. La dernière pièce, celle qui fut la moins représentée est plus fine, plus élaborée psychologiquement. Henri est aussi un père qui se veut compréhensif et là encore…Patatras !

 POINTS FAIBLES

Je n’en ai pas noté.

EN DEUX MOTS

Il y a des gens qui sont nés pour l’amour, d’autres pour la détestation. Les seconds hélas font plus de bruit que les premiers. Leurs propos résonnent partout ; la haine, la peur, la sottise, et le manque absolu de considération pour l’autre. Jean-Claude Grumberg est un grand auteur. Il est très bien servi ici par Jean-Louis Benoit qui a su traiter cette chronique d’une méchanceté ordinaire, avec beaucoup de fantaisie, mais de rigueur aussi. Le spectacle est drôle et efficace. 

Il convient de saluer la prestation de Philippe Duquesne dans le rôle d'Henri, irrésistible, exaspérant et touchant à la fois. Gardons l’espoir : tout sentiment d’humanité n’est peut-être pas mort en lui ?

UN EXTRAIT

En fait, un dialogue, qui donne une bonne idée du style Grumberg:

HENRI

« J’ai une soif ! On ne mange pas aujourd'hui ? (Il se verse un grand verre de

vin.)

AIMÉE

Assieds-toi ! (Henri s’assoit) Tout est archi prêt... ! (Aimée sort en courant pour

chercher un saladier) Alors explique-moi ; cet accident ?

Aimée sert le dîner.

HENRI.

Je n'ai pas eu d'accident !... J'ai failli en avoir un !

AIMÉE

Pendant une heure trois quarts ?

HENRI

En fait, j'ai eu une rixe !

AIMÉE après un court temps de suspens

Une quoi ?

HENRI

Une rixe ! Tu ne sais pas ce qu'est une rixe ?

AIMÉE se déplace vers sa place à table la face jardin

Mais si, je sais. C'est une dispute entre voyous ! (Aimée est arrivée assise)

HENRI

Justement ! (Il va expliquer tout en mangeant et buvant.) En sortant du

travail... je mets ma flèche (il fait le geste), je regarde, personne... Je

déboîte, je sors, vlan, arrive en bolide une espèce de... Je pile ! Il pile !

(en se servant un verre de vin :) Par bonheur on ne se touche pas ! Il boit.

AIMÉE

Alors ?

HENRI

Alors ? Je sors machinalement la tête et je lui dis : "Pouvez pas faire

attention ?" Il y avait du bruit, je ne sais pas ce qu'il a compris cette

espèce de... Enfin en deux secondes, ça a dégénéré et...

AIMÉE

Tu n'es pas descendu au moins ?

HENRI

Non, non, je me suis contenu... Enfin, lui voulait discuter ou je ne sais

quoi, et moi j'ai démarré ! En partant j'ai peut-être frôlé légèrement son

pare-chocs, enfin j'ai entendu un léger bruit de ferraille...

AIMÉE

Ah! Mais ce n'est pas une rixe, ça, mon chaton...

HENRI

Attends la suite !... Je ne m'occupe plus de lui et je roule... au premier

feu rouge, il est là, à côté de moi et il me crie... je ne sais trop quoi... son

pare-chocs... son... Enfin, il devient grossier, je démarre, je déboîte

immédiatement, sec, comme ça... il me suit. (Il repousse son assiette.) J’ai

plus faim. » 

L’AUTEUR

Jean-Claude Grumberg, est né en 1939. Claude Roy le qualifiait d’«Auteur tragique le plus drôle de sa génération». Fils d’une famille victime de la Shoah, avant de devenir comédien dans la compagnie Jacques Fabbri il exerce différents métiers, dont celui de tailleur, dont il se souviendra pour sa pièce devenue très célèbre : « l’Atelier », désormais au programme des écoles.

Il est l’auteur d’une trentaine de pièces de théâtre et de nombreux scénarios de films. 

Il a reçu le Grand Prix de l’Académie Française, le Grand Prix de la SACD pour l’ensemble de son œuvre, le prix de littérature de la ville de Paris et le Molière du meilleur auteur pour L’Atelier et Zone Libre. Il obtient le César du meilleur scénario pour Amen de Costa-Gavras. 

A propos du spectacle « Les Autres », il dit : « Le théâtre, je le sais aujourd’hui, je le pressentais déjà il y a cinquante ans, ne guérit ni les spectateurs, ni les acteurs, ni les auteurs des maladies passées ou présentes. Qu’il fasse rire encore, qu’il offre du plaisir à ceux qui le pratiquent, reste pour le vieil auteur que je suis devenu une consolation et un plaisir. »

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