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L’avenir de la France se trouve à Londres et non à Berlin
©AFP

Disraeli Scanner

Lettre de Londres mise en forme par Edouard Husson. Nous recevons régulièrement des textes rédigés par un certain Benjamin Disraeli, homonyme du grand homme politique britannique du XIXè siècle.

Disraeli Scanner

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Benjamin Disraeli (1804-1881), fondateur du parti conservateur britannique moderne, a été Premier Ministre de Sa Majesté en 1868 puis entre 1874 et 1880.  Aussi avons-nous été quelque peu surpris de recevoir, depuis quelques semaines, des "lettres de Londres" signées par un homonyme du grand homme d'Etat.  L'intérêt des informations et des analyses a néanmoins convaincus  l'historien Edouard Husson de publier les textes reçus au moment où se dessine, en France et dans le monde, un nouveau clivage politique, entre "conservateurs" et "libéraux". Peut être suivi aussi sur @Disraeli1874

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Mon cher ami, 

Eh bien nous y voilà. Ce fut laborieux mais Theresa May a réussi. Elle a bouclé la première partie des négociations de sortie de l’Union Européenne. Rassurez-vous. Je ne vais pas entamer mon refrain favori, mon pari sur la longévité du Premier ministre britannique. Quel contraste avec la « Dame de fer » en son temps! Theresa May est un roseau. Elle plie mais se redresse toujours. 

Laissez-moi vous dire les conclusions que j’en tire pour votre pays. L’avenir de l’Europe n’est pas, contrairement à ce que rabâchent bien des vieillards de toutes les générations, à la n-ième relance du « moteur franco-allemand ». Ce qu’il nous faut, c’est une nouvelle « Entente Cordiale ». La France a tout à perdre si elle cherche à emprunter encore une fois le chemin plein d’ornières qui mène à Berlin. Elle a beaucoup à gagner si ses dirigeants prennent l’habitude de traverser la Manche plus souvent. 

Le désastre du leadership allemand sur l’Europe

Quel est le résultat de 25 ans d’Europe sur le modèle allemand, imposé grâce au manque de lucidité français? Une Allemagne forte économiquement mais de plus en plus divisée politiquement; une puissance qui s’est coupée de la Turquie, de la Russie et de la Grande-Bretagne, trois pays sans lesquels il n’y a pas d’équilibre européen, l’histoire nous l’enseigne. L’Allemagne s’est comportée en « Maison de Savoie » à la puissance dix; elle a fait non plus de la seule Italie du Sud a fait de toute la façade méditerranéenne un immense Mezzogiorno, par la faute d’une politique de la monnaie forte inadaptée aux sociétés qui ont dû l’adopter - tout ceci ne présage rien de bon tant  les rois unificateurs de l’Italie ont détruit la substance du Sud avant de plonger leur pays dans la Première Guerre mondiale puis le fascisme. L’Allemagne domine les Balkans mais si les troupes américaines s’en retiraient, la région serait à nouveau à feu et à sang. Je pourrais multiplier les exemples pour illustrer la réalité d’un leadership faible et qui sombre. Après avoir fait de si nombreux dégâts en Europe. 

La France, faute de politique monétaire adaptée, est accablée d’un chômage endémique; le pays évite une situation pire encore en laissant se développer une fiscalité protéiforme, une fonction publique pléthorique, façon de droguer un patient perclus de douleurs. Mais Giscard, Mitterrand, Chirac, Sarkozy, Hollande racontent l’histoire d’un long déclin causé par une politique monétaire inadaptée et une logique à la soviétique: plus le patient souffre de la méthode , plus on affirme que c’est parce qu’on n’a pas appliqué cette méthode avec suffisamment de radicalité qu’elle n’a pas marché. Chaque président français depuis quarante ans rajoute une dose de « modèle allemand » avec un effet toujours agravé. La France est à la fois une puissance de l’Europe du Nord et ses classes supérieures participent à, profitent de la construction européenne; mais elle est aussi une puissance de l’Europe du Sud, avec des classes populaires de plus en plus écrasée par des choix politiques qui ne leur conviennent pas - le biais allemand de la construction européenne. 

Est-ce Hollande qui va percer sous Bonaparte? 

Or voici que la France et l’Allemagne se trouvent dans une situation inédite depuis la réunification. L’Allemagne n’a plus de gouvernement politiquement légitime; la Chancelière est blessée à mort politiquement et les mois ou les années de répit que certains veulent lui procurer seraient une façon de repousser un terme inéluctable. La France au contraire a un jeune président, énergique, plein d’ambition, qui fait dire à la planète: « France is back! ». Or les admirateurs ne s’en rendent pas compte mais il s’apprête à tout dilapider du capital de confiance accumulé. Votre Rastignac devenu président s’obstine en effet, depuis longtemps, à chercher une entente avec Madame Merkel. Cet homme si intelligent a des oeillères dès qu’on parle d’Allemagne. C’est sur une « relance de l’Europe », entendez, un n-ème + 1 raliiement au « modèle allemand », qu’il entend fonder sa politique de réformes. Mais veut-il vraiment entrer dans le cortège funèbre de ses prédécesseurs, finir comme eux dans l’insignifiance de cohabitations prolongées ou de cotes de popularité au ras des paquerettes? Le monde croit avoir affaire à un nouveau Napoléon mais est-ce Hollande qui va percer sous Bonaparte? 

Et pourtant....! L’Allemagne n’a pas de gouvernement, pour de longues semaines encore; tout est permis, y compris l’audace. Qui incarne l’avenir: Angela Merkel ou Theresa May? De quoi l’Europe risque-t-elle de périr? D’un mauvais leadership, certes pétri de bonne conscience. L’Allemagne, depuis le départ de Gerhard Schröder, ne veut plus faire de politique; elle pense que gouverner par les règles monétaires ou les normes juridiques suffit. Aucune vision politique ni géopolitique. Aucune véritable solidarité européenne. La France va-t-elle s’obstiner à suivre un pays qui la fait sortir de l’histoire? 

Reconstruire ensemble la substance de nos sociétés

Je vous propose un partenariat moins grandiloquent mais plus stable pour l’avenir. Réunissons Paris et Londres, pour le retour à une prospérité partagée dans les deux pays; pour la reconstitution des classes moyennes et de la consommation nationale. Pour la reconstitution de l’indépendance industrielle des deux pays. A présent que les négociations entre la Grande-Bretagne et l’Union européenne vont aborder la question commerciale, la France devrait se placer, exiger un accord rapide, équitable, équilibré avec la Grande-Bretagne. Soit cela réussit vite et Paris aura tout loisir d’établir des relations économiques privilégiées comme elles existent déjà dans le secteur de la défense. Soit l’Union Européenne continue à être une machine à étouffer la créativité et votre pays aura tout loisir d’en tirer les conséquences en se rapprochant de Londres malgré l’UE. L’’enjeu n’est pas seulement commercial - il concerne aussi la capacité d’investissement des deux pays dans les secteurs d’avenir. Leur disposition à mettre en place une politique qui remplace le néo-libéralisme exsangue -et qui s’en ira avec Angela Merkel. 

La Grande-Bretagne, comme la France, est une puissance nucléaire; les deux pays font un effort militaire considérable. Ils ont une présence, de par leur héritage impérial, sur toutes les mers du globe. Les deux pays ont une démographie dynamique. Ils ont, pour des raisons différentes, connu ces trente dernières années une désindustrialisation foudroyante et ils ont en commun le devoir de réinventer une industrie. Et puis la Grande-Bretagne a bien de quoi contrebalancer la puissance allemande: la City est la deuxième place boursière et financière du monde. Le chômage britannique est très bas. Le pays a les meilleures universités d’Europe. Tous facteurs qui doivent attirer la France. Il y a plus important encore: les deux pays partagent avec les Etats-Unis l’invention de la liberté politique moderne. Paris et Londres ont combattu ensemble durant les deux guerres mondiales pour empêcher l’Europe de passer sous la tyrannie wilhelmienne ou hitlérienne. En choisisssant le Brexit, la Grande-Bretagne a voté la sortie d’un édifice qui ressemble furieusement à ce que l’Europe aurait été si l’Allemagne avait gagné la Première Guerre mondiale. La France n’a pas intérêt à rester longtemps dans l’Union Européenne si la Grande-Bretagne n’y est plus - l’Europe de Bruxelles va s’éloigner encore plus des libertés parlementaires et des souverainetés populaires maintenant que la Grande-Bretagne en est sortie.

Quand l’Allemagne joue la Chine contre l’Europe.....

Je voudrais insister, mon cher ami, sur ce qui est en jeu. Il reste un atout à l’Allemagne: ses entreprises sont extrêment présentes tout au long de la « Nouvelle Route de la Soie » que veulent créer les Chinois. Il est sans aucun doute nécessaire que la France et la Grande-Bretagne soient elles-mêmes plus présentes sur le « One Belt. One Road ». Mais elles auront du mal à déloger l’Allemagne d’espaces où cette dernière a commencé à s’installer il y a deux ou trois décennies. L’Allemagne, non seulement, n’assure pas le leadership de l’Europe mais elle fait cavalier seul dans les relations avec la Chine, misant sur une relation bilatérale qu’elle est prête à assumer contre le reste de l’Europe. 

France et Grande-Bretagne ont suffisamment contribué à l’équilibre européen dans leur histoire pour savoir ce qu’il faut faire: se rapprocher, établir des relations commerciales privilégiées; confirmer la coopération de défense qui existe entre les deux pays; multiplier les accords entre les universités; prévoir un programme commun d’investissement massif dans tous les secteurs de la troisième révolution industrielle (nanotechs, biotechs, informatique etc....). Ensuite, il s’agira de développer une zone d’alliances communes. Avec les Etats-Unis. Avec la Russie, aussi. Ce dernier partenariat ne sera pas le plus facile à accepter du point de vue britannique. Mais il est souhaitable pour prendre pied le long du « One Belt. One Road ». A partir du moment où l’Allemagne joue la carte de la relation privilégiée avec la Chine, il faut se rapprocher de la Russie pour établir un rapport de force équilibré sur le plan économique - et géopolitique à travers l’Eurasie.  

Le choix à faire est tellement évident....que personne n’emprunte cette voie. Je suis bien d’accord que la tradition de coopération entre Paris et Londres est fragile, historiquement. Les périodes de véritable alliance ont été brêves. Pendant longtemps, vos manuels d’histoire s’obstinaient à parler « d’ennemi héréditaire » à propos de nous autres Brianniques. Alors que la Grande-Bretagne ne s’est jamais opposé....qu’aux fautes politiques de la France. Croyez-moi, dans ses profondeurs, mon pays vous respecte. Tendez la main, elle sera saisie. 

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