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Quand le corps est une prison
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Dans un coma artificiel

Transportées aux urgences pour un malaise, Angèle Lieby commence à avoir des difficultés à s’exprimer, puis perd connaissance. On la plonge dans un coma artificiel pour l’intuber. Le quatrième jour, elle ne se réveille pas. Mais Angèle est consciente et souffre sans pouvoir réagir. Extraits de "Une larme m'a sauvée" (1/2).

Angèle Lieby

Angèle Lieby

En Alsace où elle vit, Angèle a rencontré Hervé de Chalendar, journaliste à l' Alsace. Ému par son histoire, il en a fait le récit dans le quotidien où il travaille et a obtenu le prix Hachette. Ensemble, ils ont décidé d’écrire un livre.

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Le noir. Encore. Toujours. Ce noir total, auquel je m’habitue, car on s’habitue à tout. Ce noir absolu auquel mes pensées donnent des formes, apportent des nuances, imposent des dégradés.

Les jours ont passé. Je me suis réveillée, mais la nuit ne m’a pas quittée. Le savent-ils, les médecins, Ray, Cathy, que je suis de retour ? Tout est calme. J’entends cette respiration et ces bruits de machines en permanence, j’entends des voix régulièrement, mais elles ne me parlent jamais. J’ai l’impression que l’on m’ignore. D’être là sans l’être vraiment. Ou plutôt d’être présente sans que les autres le sachent, comme un fantôme…

Voici Ray ! Je l’ai reconnu. Il a parlé à quelqu’un, là, à l’instant, il a échangé quelques mots avec une femme, et il est à présent à côté de moi, je le sais. Je le sens. Il est là, mon mari, évidemment, il sera toujours près de moi, surtout dans les moments difficiles. Je frémis, j’en tremble. Je lui parle, mais ne résonne que le vacarme de mes pensées. Il ne répond pas, il ne dit rien. Ray, mon amour, est-ce que tu m’entends ? Est-ce que tu me vois trembler ? Est-ce que tu sens combien notre présence est forte, maintenant, l’un à l’autre ?

Dans ma nuit ne parviennent que des sanglots étouffés.

Ray est reparti, et je suis totalement perdue. Je comprends que ce que je ressens ne correspond pas à ce que je laisse paraître. J’ai l’impression d’être normale ; or, rien ne fonctionne. Je crois hurler, mais ce hurlement n’est qu’intérieur. Je crois bouger, mais je suis totalement inerte. Comment prévenir que je vais bien ? Comment leur dire de ne pas s’inquiéter ?

Où est la porte de sortie ? J’explore ce noir immobile dans lequel j’évolue comme une âme en peine, un être immatériel.

Je me compare à un arbre : ça ne bouge pas, un arbre, c’est inerte, ça ne dit rien, ça ne crie même pas quand on le coupe ; et pourtant, ça vit. Si l’on décidait de me débiter en tranches, là, maintenant, moi non plus, je ne pourrais pas protester.

Mais quitte à être un arbre, je voudrais être un tronc qui flotte sur la rivière. Car j’ai très chaud. Je me sens déshydratée, desséchée. Je rêve d’eau. Je rêve du bruit d’une fontaine, d’un robinet qui coule. L’eau, pour moi, à cet instant, est la plus grande richesse. Un bain, c’est l’image du bonheur absolu. Je pense à la source miraculeuse du mont Sainte-Odile, le pèlerinage à la patronne de l’Alsace, près de Strasbourg : il fait si frais là-haut, c’est si réconfortant et l’on s’y sent si bien…

J’ai l’impression d’être un arbre, d’être couverte d’une écorce épaisse, parce que je comprends bien, à présent, que je suis enfermée. Je suis comme dans un cercueil qui serait mon propre corps. Emmurée en moi-même. Je toque sur la paroi intérieure de ma peau, mais personne ne m’entend.

Je dois absolument leur envoyer un signe. Mais je ne peux ni crier ni bouger. Je peux seulement écouter et penser. Et pour penser, je pense… Je repense au tronc d’arbre qui glisse sur l’eau. Ce tronc se transforme : des yeux apparaissent sur le devant, ainsi que deux sortes de narines, il se rétrécit sur l’arrière pour former une queue… L’arbre est devenu un crocodile, qui ouvre sa gueule subitement, dans un grand claquement d’eau ! Lui au moins, il pourra se défendre si on entreprend de lui faire mal. Lui au moins, il mordra si on le touche. Ah, si j’étais un crocodile ! Je suis sans doute en train de rêver…

Je me réveille, soudain. Une lueur m’éblouit. Je ne vois rien qu’un grand soleil. Mais c’est une excellente nouvelle : le soleil existe encore ! Le noir n’est plus mon seul horizon. Cette lumière-là n’a pas de prix. C’est un espoir, l’espoir que ce tunnel dans lequel je suis engagée n’est pas sans fin : il y a un bout, puisqu’il y a une lueur. Il y a de la vie, puisqu’il y a du jour.

Mais le rideau de mes paupières se referme brutalement. Je retombe dans le noir.

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Extraits de Une larme m'a sauvée, ARENES EDITIONS (22 mars 2012)

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