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Connaissez-vous les six “tribus” politiques qui pourraient modeler le futur politique de l’Europe ?
©Pixabay

Intégration

Chatam House et Kantar public ont interrogé 10 000 européens situés dans 10 pays différents pour faire émerger six tendances vis-à-vis du sentiment d'intégration à l'Europe.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : Après avoir interrogé 10 000 européens dans 10 pays européens, Chatham House et Kantar public ont pu dresser une topologie du sentiment des citoyens à l'égard de l’intégration européenne. A l'inverse de la vision binaire habituellement proposée, entre européistes et europhobes, apparaît une fragmentation entre 6 tendances : européens hésitants (31%), européens satisfaits (23%), les "anti" (14%), les euro-frustrés (9%), les rebelles de l'austérité (9%), et les fédéralistes (8%). A quoi correspondent ces intitulés ? Comment apprécier ces différences d'approche d'un point de vue politique ?

Christophe Bouillaud : Chacun de ses intitulés correspond à la manière dont les spécialistes de Chatam House et Kantar ont travaillé pour constituer un classement des citoyens interrogés. Ils ont essayé par une méthode mathématique de constituer des regroupements cohérents de citoyens dont les réponses se ressemblent le plus. On trouvera la description de leur travail dans un site dédié, https://tribes.chathamhouse.org/fr/, dont il existe une version française. On y est d’ailleurs invité à faire soi-même le test pour se classer dans une des six tribus qu’ils définissent.  Cependant, il faut bien noter qu’ils n’ont souhaité interroger des gens que dans 10 pays  (Autriche, Belgique, France, Allemagne, Grèce, Hongrie, Italie, Pologne, Espagne et Royaume-Uni), ce qui constitue une limitation évidente de cette étude, puisqu’aucun pays scandinave n’est représenté ou puisque les petites nations sont absentes pour la plupart. Chaque intitulé choisi correspond donc selon eux à une manière commune de répondre à une batterie de questions ciblées sur l’Europe. Chaque groupe ainsi défini, une tribu dans leur langage imagé, tend à être érigé en réalité sociopolitique, par exemple, leurs 8% de fédéralistes sont à la fois satisfaits de l’Union européenne actuelle et veulent plus d’intégration européenne, mais ils se distinguent aussi par le fait que ce sont des  hommes à 66%, plutôt urbains, plutôt des gens à revenus élevés et âgés, satisfaits de la vie, et apparemment plus présents en Europe du sud (Italie, Espagne) qu’ailleurs. Inversement, les 14% de réfractaires à l’UE sont aussi des hommes à 54%, plutôt d’âge moyen, insatisfaits de la vie, plutôt vivant dans des petites villes ou le rural, et comme par un heureux hasard, particulièrement présents au Royaume-Uni, en Autriche et en Belgique. Il est donc clair que cette typologie ressemble fort à ce que l’on peut savoir par ailleurs de la composition des électorats nationaux par ailleurs et sur son opinion sur l’intégration européenne. 

Comment interpréter cette grille de lecture dans un débat qui est souvent arbitré entre pro et anti-européens ? Que nous révèle-t-elle de la perception de la population quant à l'Union ?

Comme les auteurs de l’étude veulent le souligner, il n’y aurait pas une opposition si forte que cela entre deux groupes bien constitués et majoritaires à eux deux dans l’opinion : les ‘pro’ et les ‘anti’. Ils trouvent en particulier l’existence d’un vaste marais d’indécis qui sont tout de même 36% de leur échantillon : ce sont surtout des femmes (57%), aux revenus bas et moyens, présents un peu partout dans leurs 10 pays. C’est le regroupement des gens non politisés en général, qui n’ont pas d’opinion bien arrêté sur l’Europe comme sur bien d’autres sujets. En réalité, au-delà de l’existence de ce marais, leurs données montrent plutôt des lignes de clivages multiples : entre les satisfaits et les insatisfaits de l’Europe ; entre ceux qui en voudraient plus, ceux qui en voudraient autant, et ceux qui en voudraient moins ; sur l’immigration et sa gestion en commun ou non ; sur les transferts financiers entre pays d’Europe. Vu ces multiples divisions, il n’y a donc pas de ligne majoritaire certes, mais il semble d’après leurs données que seuls deux groupes, soit les 8% de fédéralistes et les 9% de pro-européens frustrés, veulent majoritairement plus de transferts de pouvoir à l’Union européenne. C’est peut-être cela qu’il faudrait retenir de ce vaste sondage : les répondants qui veulent aller plus loin en général dans l’intégration européenne sont minoritaires, ce qui ne veut pas dire toutefois qu’une majorité se prononce nettement contre l’Union actuelle.   

L'étude ne proposant pas une division des résultats par pays, comment interpréter cette même grille de lecture au niveau des nations, notamment au regard des Eurobaromètres ? Quels seraient les ingrédients démocratiques permettant d'intégrer la vision majoritaire à la politique européenne ?

En fait, le site de Chatam House permet de se faire une idée des tribus les plus représentés dans chaque pays. On retrouve ce qu’on sait par ailleurs sur les grandes divisions de l’opinion européenne, par exemple le très fort rejet des quotas de réfugiés en Pologne et en Hongrie. On voit aussi qu’il existe dans le fond des opinions majoritaires à l’échelle de ces dix pays : tout le monde se dit plutôt fier d’être européen, mais considérer l’UE comme très démocratique et lui donner plus de pouvoir à l’UE qu’elle n’en a actuellement n’enthousiasme guère nulle part.

Les Eurobaromètres qui couvrent tous les 28 pays et qui sont faits régulièrement constituent une source concordante avec ces résultats par bien des côtés. Par contre, dès qu’on utilise les données Eurobaromètres, les différences nationales sautent aux yeux. Pour ne prendre qu’un seul exemple, on demande aux enquêtés s’ils ont le sentiment que leur voix est entendue en Europe. Au niveau agrégé des 28 pays, le sentiment est presque exactement partagé entre ceux qui pensent que leur voix est entendue et ceux qui pensent l’inverse, par contre, au niveau national, les écarts sont béants : 70% des Allemands et  86% des Suédois pensent être écoutés, mais seulement 21% des Grecs et 28% des Italiens (source EB88 Parlemeter, octobre 2017). Au-delà des personnes, il existe des différences d’ambiance nationale. Cela correspond bien sûr à des vies politiques qui prennent des tours différents. Le problème d’une enquête comme celle de Chatam House et Kantar qui tend à raisonner uniquement à l’échelle individuelle, c’est de négliger le cadre national de la vie politique, qui, à ce jour, est le seul qui compte vraiment pour la suite de l’histoire européenne. C’est vrai qu’au regard de ce sondage, il n’est pas évident que les Britanniques soient si différents des autres Européens, or, comme chacun le sait, il y a eu un vote pour le « Brexit ». 

Du coup, il n’y a pas de vision majoritaire à intégrer à la politique européenne. Si l’Union européenne veut être plus populaire auprès de ses citoyens, il faut qu’elle favorise le développement de chacun de ses pays membres pris individuellement. Est-ce un hasard si les Suédois et les Allemands se sentent entendus par l’Europe et pas les Italiens et les Grecs ? N’est pas tout simplement un reflet de la situation économique des uns et des autres ? Et du fonctionnement de l’UE actuelle ? De fait, les données Eurobaromètres par pays sont bien plus utiles pour estimer les forces et les faiblesses de l’Union actuelle.

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