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Relancer le pouvoir d’achat : 
et si l’on autorisait la revente 
à perte pour l’essence ?
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Comment doper le pouvoir d'achat

Et si revendre l'essence à perte était la solution pour stopper la spirale haussière du prix à la pompe ? Troisième épisode de notre série consacrée à la relance du pouvoir d'achat.

Emmanuel Combe

Emmanuel Combe

Emmanuel Combe est vice-président de l'Autorité de la concurrence et professeur affilié à ESCP-Europe. Il est également professeur des universités.

Spécialiste des questions de concurrence et de stratégie d’entreprise, il a publié de nombreux articles et ouvrages, notamment sur le modèle low cost (Le low cost, éditions La Découverte 2011). Il tient à jour un site Internet sur la concurrence.

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A lire :
- le 1er épisode :
Pour relancer le pouvoir d'achat des Français, il faut encourager la concurrence
- l'épisode 2 : Relancer le pouvoir d’achat : Ne bloquons pas l'entrée d'un marché à de nouveaux acteurs !

A l’heure où le prix de l’essence se met à nouveau à flamber, il n’est pas inutile de se demander quels outils permettraient d’en limiter la hausse. Faut-il bloquer les prix temporairement ? A vrai dire, il s’agit plutôt d’une fausse bonne idée puisqu’elle ne fait que reporter le problème dans le temps, alors même que le contexte est plutôt à la hausse tendancielle du prix des carburants. Baisser les taxes, qui représentent jusqu’à 80% du prix du produit final ? Difficile à faire, dans un contexte budgétaire tendu. Une troisième piste mérite d’être explorée : autoriser temporairement la revente à perte dans les carburants.

La revente à perte – c’est-à-dire le fait de revendre en l’état moins cher ce que l’on a soi-même acheté – a plutôt mauvaise presse dans l’imaginaire collectif : l’idée qu’une entreprise puisse volontairement faire des pertes est à priori suspecte. Voilà sans doute pourquoi ce type de pratique est strictement interdit en France depuis 1963, hors périodes de soldes : il existe dans notre pays un « seuil de revente à perte », en dessous duquel on ne peut descendre.

Pour justifier une telle interdiction de la revente à perte, plusieurs arguments sont généralement invoqués.

Premier argument, celui d’« un îlot de pertes dans un océan de profits » : si l’on autorise la revente à perte, un distributeur dominant cassera les prix afin d’acculer à la faillite son petit concurrent et remontera ensuite les prix lorsqu’il sera seul sur le marché. L’interdiction de la revente à perte est donc motivée par la défense du petit commerce, face aux comportements « prédateurs » de la grande distribution.

Second argument : la revente à perte peut nuire à la qualité et à l’image d’un produit, notamment lorsqu’elle conduit le distributeur à sacrifier le service qui accompagne la vente de ce produit.

Troisième argument : la revente à perte peut tromper le consommateur, dans la mesure où le manque à gagner sur le produit dont le prix est « cassé » est en réalité compensé par une marge plus forte sur d’autres produits. Il s’agit donc d’une baisse des prix en « trompe l’œil ».

A supposer que ces arguments soient fondés, ils sont assez peu pertinents dans le cas de la distribution de carburants. L’argument de défense du petit commerce n’a plus grand sens dans la France d’aujourd’hui : la plupart des stations services indépendantes ont disparu et l’essentiel du marché est aujourd’hui aux mains de quelques acteurs, de la grande distribution (60% de part de marché) et des sociétés pétrolières. D’ailleurs, si une entreprise venait à adopter un comportement de « prix prédateur » contre un petit distributeur, elle pourrait toujours être poursuivie par les pouvoirs publics au titre de l’abus de position dominante. Plus encore, une baisse de prix sur les carburants n’exerce aucune influence négative sur la qualité du produit, qui est standardisée.

On pourrait objecter que le marché de l’essence est déjà très concurrentiel en France, compte tenu de la rivalité entre GMS (Grandes et Moyenne Surfaces) et pétroliers. Il est vrai que les leaders de la distribution alimentaire exercent une forte pression concurrentielle, utilisant l’essence comme un produit d’appel pour attirer le consommateur (avec par exemple des opérations « à prix coûtant ») et se créent ainsi une réputation d’enseigne « bon marché ». Mais si les marges sont faibles en moyenne, les prix pratiqués apparaissent très variables sur le territoire. Lorsque le client est dans une situation « captive » comme sur l’autoroute, les prix et les marges sont plus élevés que lorsqu’il se trouve dans une zone commerciale avec plusieurs enseignes.

On pourrait également objecter que la faiblesse des marges dans la distribution de carburants – l’essentiel du prix étant constitué de taxes et du coût du brent –  ne permettrait de gagner que quelques centimes sur chaque litre d’essence, si l’on autorisait la revente à perte. C’est tout à fait possible mais pas certain du tout : on peut tout à fait imaginer des stratégies de baisses de prix agressives, temporaires et locales de la part de certains distributeurs.

La suppression du seuil de revente à perte n’est sans doute pas le remède miracle à l’inéluctable hausse du prix des carburants ; pour autant, ne mérite-telle pas d’être explorée ?

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