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Crise d’identité à gauche : Jean-Luc Mélenchon désarmé face au trou d’air dont il peine à comprendre les causes
©D.R

Emission politique

Jean Luc Mélenchon était l'invité de l'Emission politique hier soir sur France 2.

Chloé Morin

Chloé Morin

Chloé Morin est ex-conseillère Opinion du Premier ministre de 2012 à 2017, et Experte-associée à la Fondation Jean Jaurès.

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Atlantico : Jean Luc Mélenchon était l'invité de l'Emission politique ce 30 novembre. Selon un sondage Elabe BFMTV, La France Insoumise est encore perçue comme le premier parti d'opposition, mais concède une baisse de 7 points, (de 35 à 28 points depuis octobre). Comment expliquer cette baisse ? Comment Jean Luc Mélenchon cherche-t-il à enrayer cette spirale ? 

Chloé Morin :Tout le monde a noté que les appels répétés à « déferler » dans les rues contre le code du travail à l’automne se sont soldés par un échec. La France insoumise avait habilement su occuper le terrain médiatique, mais n’a pas réussi à faire la jonction entre une opposition pourtant majoritaire à la réforme du marché du travail, et la rue. Dans l’étude que nous avons réalisée la semaine dernière avec l’Ifop, nous avons constaté que - alors même que dans de nombreuses enquêtes, il occupait encore la première place de « l’opposition » à Emmanuel Macron - l’image de Jean-Luc Mélenchon s’était beaucoup dégradée par rapport à celle qu’il avait su donner pendant la présidentielle. Beaucoup de français que nous avons interrogé ont oublié le côté "vieux sage", l’orateur sincère, « vraiment de gauche », qui savait se faire comprendre de tous et ne ménageait pas ses efforts pour combattre les injustices. Aux yeux d’un grand nombre de français, il s’est enfermé dans une posture sectaire, une figure vociférante, individualiste, incapable de rassembler « l’opposition de gauche » car jouant trop sa carte personnelle, et s’opposant sans cesse et ne proposant rien. Finalement, Jean-Luc Mélenchon apparaissait dans notre enquête comme un « vieux politicien » au moment même où les gens espéraient voir se dégager une nouvelle manière de faire de la politique, plus désintéressée et collective, et néanmoins porteuse de justice sociale et d’égalité.

De toute évidence, Jean Luc Mélenchon a mal jugé les institutions, en ayant l’air de contester la légitimité de l’élection présidentielle, et mal dosé ses efforts… Il a cru que le combat contre l'exécutif pourrait être mené comme un sprint, alors qu’en réalité c’est une course de fond qui doit durer tout le quinquennat, et sera sanctionnée par des échéances électorales intermédiaires. Il a sans doute cru que le combat mené sur les plateaux télé suffirait à agréger les mécontentements… or les français de gauche sont à ce stade encore accrochés à l’idée que la majorité élue, qui ne fait pas toujours ce qu’ils espèrent, pourra encore trouver une voie vers un redressement « juste » du pays.

On note qu’il a donc réajusté sa stratégie ces dernières semaines, à la fois en diminuant son recours aux "coups d’éclat", en modérant ses propos dont la virulence lui a fait énormément de tort dans l’opinion, et en se fixant un nouvel horizon: les élections européennes. Depuis quelques jours - et on notait encore hier soir cet effort, même s’il n’était pas toujours couronné de succès -, il a tenté de modérer ses propos, et essaie de renouer avec le « bon » Mélenchon de la campagne. Son discours de samedi dernier en était un très bon exemple: il s’est posé en « passeur » pour la nouvelle génération plutôt qu’en leader, là où beaucoup de français jugent qu’il joue trop perso et que son égo fait obstacle à une nécessaire union de la gauche, au delà de son mouvement. 

Toute la question pour les mois qui viennent est la suivante: lui-est il encore possible de convaincre les français qu’il a « changé », qu’il s’est assagi, alors même qu’il a déjà réussi cet exploit une fois pour la Présidentielle, et que ceux-ci pourront sans doute se montrer plus méfiants? Et lui sera-t-il possible d’effectuer ce virage stratégique vers davantage de modération et de responsabilité, tout en restant LE seul opposant au Président, alors même que le PS va tenter de se reconstruire, et que LR sera bientôt en ordre de bataille derrière Laurent Wauquiez? Rien n’est moins sûr… 

La France Insoumise a été régulièrement mise en cause au cours de ces dernières semaines, notamment pour les positions concernant certains de ses membres concernant la laïcité. Manuel Valls a ainsi déclaré que Jean Luc Mélenchon "était prisonnier des personnalités de sa formation politique". En quoi ces questions ont elles pu peser sur la popularité de Jean Luc Mélenchon et de la France Insoumise ? 

Dans notre étude avec l’Ifop, nous avons noté que les récentes polémiques associant Mélenchon, à travers plusieurs de ses proches, à une certaine forme de complaisance vis-à-vis de l’islamisme étaient assez peu citées par les personnes interrogées. Cet épisode n’explique donc sans doute que marginalement le « passage à vide » de Jean-Luc Mélenchon, même si celui-ci coïncide avec la charge lancée par Manuel Valls sur sa prétendue ambiguïté sur la laïcité et l’islamisme. En tout état de cause, si ce sujet ne lui a sans doute nuit qu’à la marge, force est de constater que cette polémique a permis à son ennemi Manuel Valls de retrouver des couleurs dans l’opinion - comme en témoignent les derniers baromètres de popularité Kantar Public et Elabe...

En revanche, beaucoup de français que nous avions interrogés dénoncent une forme d’hypocrisie de Jean-Luc Mélenchon comme de ses lieutenants, un « trop grand décalage entre les envolées lyriques et la réalité : billets en classe affaires, télévision plutôt que combats d’idées », une contradiction « entre le patrimoine de Mélenchon et ses valeurs ». 

Quel est l'état des forces actuelles de la France Insoumise par rapport aux autres formations d'opposition ? 

Il faut distinguer plusieurs choses, même si elles ont évidemment des liens entre elles: la visibilité médiatique, le soutien déclaré par les français lorsqu’on les interroge dans les enquêtes, l’état des forces militantes… A ce jour, il est difficile de connaître le nombre exact de membres du mouvement LFI. S’agissant de son potentiel électoral, nous devons en rester aux indications - bien qu’imparfaites - données par le sondage Ifop-JDD qui avait « rejoué » la présidentielle six mois plus tard. Or, ce sondage indiquait plutôt une régression de l'électorat Mélenchon depuis mai dernier, à 18%. Pour ce qui est du soutien déclaré par les français à la France insoumise, on a constaté une progression de 4 points depuis un an, selon le baromètre des dynamiques politiques Kantar-Cevipof. Mais l’essentiel de l’essor du nombre de sympathisants s’est en réalité effectué entre décembre 2016 et avril 2017. Depuis avril dernier, la progression n’a été que de 1 point. De plus, à 10% de sympathisants, LFI domine un PS relégué à 6%, mais reste bien en dessous des autres partis d’opposition: 14% pour LR, et 14% pour le FN. Tous ces indicateurs relativisent donc la place prise par LFI dans le débat médiatique. Or, même si Jean-Luc Mélenchon a quelque peu perdu en capacité à créer l’évènement en permanence depuis quelques semaines, la surface médiatique de LFI reste très importante. Tout l’enjeu, pour eux, est de transformer cette surface en adhésion véritable. Et c’est sur ce problème que LFI butte depuis six mois...

Pour mieux comprendre ce qui se joue dans la lutte entre l’offre «  France insoumise » et les autres partis de gauche, et notamment celle du PS, je pense qu’il faut revenir à quelques éléments de contexte qui peuvent nous interpeler. Un sondage Ifop indiquait récemment une régression importante du nombre de personnes se situant « à gauche » sur une échelle graduée de 0 à 10. Le total de la gauche régresse ainsi de 8 points par rapport à mars dernier, à 15%. Dans le même temps, ceux qui se situent au centre (de 4 à 6, donc y compris au centre gauche ou au centre droit) progressent de 4 points, à 38%. Or, quand on regarde le détail, on se rend compte que beaucoup de personnes se déclarant proches de la France insoumise se situent… au centre (29%). Même phénomène pour beaucoup sympathisants socialistes (46%) et EELV (40%). Il est intéressant de noter que la droite ne semble pas touchée par cette migration vers le centre: le nombre de personnes se plaçant à droite ne régresse pas, et l’immense majorité des sympathisants LR se positionne bien à droite (79%). Ces évolutions pourraient relever d’une volonté, à gauche, de passer d’une logique de confrontation politique à une logique constructive, notamment vis à vis d’un exécutif qui s’autopositionne au centre du jeu politique. Mais c’est improbable car dans le même temps, de plus en plus de proches des partis dits de gauche rejettent la politique gouvernementale (71% des sympathisants FI, 64% au PS, 61 chez EELV, selon le dernier baromètre Kantar-Sofres pour le Figaro magazine), alors qu’à droite une majorité a confiance dans le Président de la République (53% chez LR). Je pense donc que ce mouvement d’une partie de la gauche vers le centre du jeu politique relève moins d’un pouvoir d’attraction du macronisme, que de deux autres facteurs: d’abord, le fait que J-L Mélenchon, perçu comme excessif par beaucoup de personnes de centre gauche, paraisse occuper seul l’espace de la gauche, a pu contribuer à repousser pas mal de gens vers le centre. Ensuite, de manière plus profonde, je pense que nous sommes face à une crise d’identité de la gauche, née notamment d’une crise des offres politiques existantes à gauche.

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