Politique de la ville : rien ne pourra se faire sans comprendre les liens entre misère et criminalité (et le lien de causalité n’est pas celui qu’on croit)<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Politique de la ville : rien ne pourra se faire sans comprendre les liens entre misère et criminalité (et le lien de causalité n’est pas celui qu’on croit)
©Reuters

Insécurité

L'état de désolation dans lequel se trouve certains quartiers jugés prioritaires demande expressément une vraie politique de la Ville. Mais encore faut-il faire le bon diagnostic.

Xavier Raufer

Xavier Raufer

Xavier Raufer est un criminologue français, directeur des études au Département de recherches sur les menaces criminelles contemporaines à l'Université Paris II, et auteur de nombreux ouvrages sur le sujet. Dernier en date:  La criminalité organisée dans le chaos mondial : mafias, triades, cartels, clans. Il est directeur d'études, pôle sécurité-défense-criminologie du Conservatoire National des Arts et Métiers. 

Voir la bio »

Figure de la Ve République Gaullo-Pompidolienne, mort en 1980, Alexandre Sanguinetti était un gaulliste corse tendance SAC, écouté pour sa sagesse insulaire un peu druidique. Son dicton favori : "En France, il ne faut jamais toucher à la Corse, ni à la justice". A cette leçon de gouverner-paisible, A. Sanguinetti ajouterait aujourd'hui - à coup sûr, en tête - la "Politique de la Ville". Car depuis François Mitterrand, nul n'a jamais touché à cette fameuse "Politique". 

Le nouveau Président soulève d'abord le couvercle du chaudron de sorcières, puis horrifié, le referme en hâte - espérant l'avoir assez vissé pour qu'il n'explose pas de sitôt et refile enfin le bébé (à peu près en l'état) à son successeur. Eh bien, le président Macron s'est conformé à cette prudente tradition, en forme de (tragi) comédie en trois actes.

ACTE I - Le quinquennat débute...

Flairant l'enivrante odeur du fric, des élus, droite et gauche unis - ce coup-ci, dans l'"Appel de Grigny"- crient au désespoir des "quartiers en difficulté"... Les discriminations ! La misère sociale ! Dans leur néo-soviétique novlangue, ces "quartiers populaires" (comme jadis, les "démocraties populaires") vont à la mort lente. Côté racket , il faut agir "avant que les quartiers n'explosent". Opportunément sorti de la naphtaline, M. Jean-Louis Borloo clame qu'il "faut sortir des promesses" !

ACTE II - Le nouveau président prend acte et va agir...

Bien endoctriné, le président sait que la "politique de la ville" concerne les 1 514 quartiers les plus pauvres et qu'en trente ans, 90 milliards d'euros ont été dépensés dans de tels lieux [Le Parisien, 25/01/2015 "Enquête sur les ghettos français"]. Exemple, le Plateau à Clichy-sous-Bois (93), où la seule "rénovation urbaine" à coûté 670 millions d'euros. 

Et en 2018, la "politique de la ville" coûtera encore 430 millions d'euros. Mais cette "Politique ", c'est tellement plus que cela ! car au-delà des "Contrats de ville", des programmes "réussite éducative", "adultes-relais", "Ville, vie, vacances", il y a les dizaines de milliards du Programme national de rénovation urbaine (PNRU), plus les "crédits de droit commun" ("Emplois d'avenir", "Garantie-jeunes") ; et bien sûr les fonds européens - au total, une moyenne de cinq milliards d'euros par an. [Assemblée nationale, 8/02/2017 "Coûts et résultats de la Politique de la Ville"]. 

Mais tout ça n'est pas à la hauteur de l'enjeu car en fait, "La République a démissionné". Elève Macron, peut et doit mieux faire !

ACTE III - Le président à l'action

Face au "défi immense", mobilisation nationale, clame le président. D'abord, la pub' : photos, selfies, foules bigarrées, élus concernés, tout l'appareil médiatico-démago d'un président Père-Noël. Rénovation urbaine ? Doublement des crédits, 10 milliards d'euros d'ici 2031 ; en plus : Retour des services publics ! des emplois ! Des stages et embauches ! du testing ! Des internats et crèches ! des maisons de santé ! Des gares et le métro ! Tout cela, pour réduire une bonne fois pour toutes, "les inégalités, l'exclusion, la discrimination" et "imposer la mixité sociale". 

Résultat prévu du tsunami d'annonces ? Rien. Lisons le "Bilan à mi-parcours du PNRU" [Le Monde, 25/04/2017] de 2010 à 2015, dans 594 quartiers (4 millions d'habitants) :

- total des habitants les plus pauvres ("premier quartile de revenus"), de 45,6 à 45,9,

- total des habitants les plus aisés ("dernier quartile de revenus") de 10 à 9,8%

Le néant. Rien n'a bougé.

De cela, des députés socialistes ("Lettre ouverte à Manuel Valls", 3/03/2015) s'indignent : ces "vrais ghettos français sont plus de 400, ce sont les quartiers de la politique de la ville". Dans l'article précité du Parisien, on lit: "Rien ne semble y changer hormis les logements rénovés. le chômage y est de plus en plus élevé, le niveau de vie au plus bas et le repli communautaire, plus puissant".

Plus, énorme échec de "l'éducation prioritaire" dans ces "ghettos". L'Education nationale dénonce, dans un énième et euphémistique rapport (AFP, 27/09/2016) le "rétrécissement de la composition sociale de ces écoles... un climat social moins favorable et un entourage de pairs peu porteurs". Décodeur : des coupe-gorge peuplés d'immigrés, où les voyous oppriment les élèves sérieux.

Origine du ruineux désastre : l'insécurité

Sur ces fameux "quartiers populaires", le Think-Tank Synopia souligne (Rapport sécurité, 2017) : "Environnement de sécurité très dégradé...économie souterraine... Refuge de bandes organisées...Interventions difficiles pour les services de sécurité et de secours... Puis une conclusion terrible "effacement progressif de la légalité républicaine".

Car dans ces quartiers, tout est dangereux. La rénovation urbaine y tourne souvent à la guérilla (France-Info, 20/12/2016, sur la Grande Borne à Grigny) : " Plusieurs incidents ont eu lieu sur le chantier. En trois ans, quatre opérateurs sur place ont été agressés et de nombreux engins de chantier, vandalisés ou incendiés ; préjudice, plus de 1,5 million d'euros. La mairie accuse les trafiquants de drogue de la Grande-Borne d'avoir commis ces actes malveillants".

Une équation simple : QPV=ZSP

Sous Hollande ont été créées 80 "zones de sécurité prioritaires", dont 77 en "zone QPV" (Quartiers de la Politique de la Ville). Dans Le Monde, 10/05/2017 "Banlieues, la grande impasse du quinquennat Hollande", on lit ceci : "Le taux de délinquance au sein des quartiers prioritaires est difficile à calculer précisément car le lieu de commission des infractions ne correspond pas à une adresse précise mais à une ligne de transport en commun ou un parking". Inouï ! Les malfaiteurs se déplacent ! Si on s'était douté de ça...

Un aveuglement fatal à toute politique de la ville

Elus bienséants, journalistes uberisés, fonctionnaires froussards, obnubilent un réel criminel au fondement pourtant simple : dans ces quartiers, le crime génère la misère, pas l'inverse. Car si, dans une cité :

- Le bus s'arrête deux stations avant son terminus, du fait de jets de pierres, de cocktails-Molotov et d'agressions de chauffeurs,

- La supérette, la boulangerie, la banque, ont fermé, en raison de braquages répétés,

- Le facteur ne distribue plus le courrier,

- Les véhicules privés sont incendiés pour intimider les habitants,

- Les habitants intégrés sont menacés, rackettés, contraints au recel, et leurs enfants volés et injuriés, 

- Alors que s'y multiplient les points de deal et les "marchés aux voleurs",

Nul moyen de subsistance légitime n'y existe plus ; l'économie souterraine s'y impose. Mais comme elle est statistiquement imperceptible, les matheux myopes de l'Insee et autres naïfs n'y voient plus qu'une "misère" - bien souvent effet d'optique, dans des ghettos où la richesse est illicite.

Tant que la classe politique n'aura pas compris cela, elle persévèrera, comme à présent, dans la com' et les simulacres.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !